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Mona Lisa et le Vieux Lion

Quand le Vieux Lion demanda à Francesco : "Permet moi de faire son portrait", Lisa fut émue au plus profond d'elle-même. Pourtant, comme à son habitude, elle ne laissa rien paraître, en femme discrète et sagement éduquée. Seul un sourire, à peine esquissé, presque énigmatique se dessinait sur son beau visage de femme-enfant.

Femme-enfant, elle l'était au milieu de ces deux hommes d'âge mur. Femme-enfant, elle venait de l'être en donnant la vie. Femme-enfant, elle le fut depuis son plus jeune âge, lui semble-t-il. Elle n'a jamais ri comme les autres enfants à gorge déployée. Le Vieux Lion lui disait que sa voix était comme le bruit de la rivière descendant de la montagne. Il aurait voulu être un pont sur cette rivière, la regardant descendre d'entre les monts. Pour le vieux lion, la vie était une rivière, parfois tumultueuse, parfois calme, toujours vive. Il voyait ces rivières sortant du sein de la terre comme des énigmes et comme des défis. Lisa était elle aussi une énigme et un défi. Cette admiration, il l'avait gardée en lui depuis leur première rencontre, début de leur amitié. Il l'avait transmise à son ami Francesco, son ami intime, si triste d'ennuis après la mort de son épouse. Lisa et Francesco se seraient-il connu, se seraient-ils unis, sans le Vieux Lion, leur ami commun ?

Alors comment Francesco pouvait dire non au Vieux Lion quand il lui demanda de faire le portrait de Lisa ? "Qu'est-ce un portrait ?", demanda Lisa, qui n'imaginait qu'un dessin fait en quelques heures dans le patio de la maison familiale. La suite fut comme un enseignement pour elle si avide de tout comprendre. Après la surprise de voir le Vieux Lion commencer ce portrait par le dessin de ses mains recommencé tant de fois, elle comprit qu'un portrait était, pour lui, autre chose qu'un dessin de visage. Elle comprit qu'il faudrait bien plus que quelques heures. Quelques jours, quelques semaines, peut-être plus, se disait-elle. Mais en ces temps d'incertitudes de l'année 1503, le temps était justement si imprévisible. Ce portrait, sera-t-il fini un jour ? Le verra-t-elle ? Lui ressemblera-t-il ? Dira-t-il autre-chose d'elle que cette jeunesse en passe de se ternir ? Plaira-t-il ? Sera-t-il accroché fièrement en quelque lieu d'un salon privé où de rares passants jetteront un regard furtif ? Qu'elle gloire pouvait-elle espérer de plus, elle, fidèle épouse d'un simple marchand en cette belle ville de Florence, où la gloire appartenait à ces princes de Médicis qui dinaient à la table des rois et du Pape ?

L'homme est la création de Dieu et de Dame-Nature ; il est comme une mécanique avec la vie en plus, expliquait le Vieux Lion en lui montrant tous ces dessins représentant chacun une partie de son corps. En les assemblant en un unique portrait, ils deviendront vous, Lisa, lui lance-t-il dans ce regard perçant et tendre à la fois dont il aimait la couvrir. Les dessins sont des traits, les portraits sont l'âme et la peinture leur donne la vie, lui avait-il dit dans la fraicheur d'un soir de fin d'été. A travers ce portrait, c'est l'âme de Lisa qu'il voulait capter et emmener partout où il irait. Quand je lui aurai donnée vie et que la mienne commencera à partir, je vous le renverrai Lisa, dit le Vieux Lion. Ainsi, quand vous le regarderez, vous vous verrez dans un miroir, un miroir où l'âme est vivante sans que la vie ne la cache.

A Francesco, qui lui demandait combien il voulait être payé pour faire le portrait de Lisa, le Vieux Lion répondit : " Mon vieil ami, je ne suis pas Michel-Ange et Lisa n'est pas Notre-Dame, même si elle en a la grâce. Pourtant, pour réaliser l'oeuvre que je veux faire, il faudrait les moyens d'un roi comme celui de France, la beauté de son pays, Le temps libre d'un prince, tout le savoir-faire d'un artiste plus grand que je ne serai jamais et l'amour d'un homme envers elle que notre amitié m'interdit. Si Dieu me donnait ces choses, le portrait de Lisa deviendrait le chef-d'oeuvre qu'elle mérite pour que les générations à travers le monde et le temps admirent la perfection de Notre-Dame-Nature en cette femme-enfant.

O Lisa, ma Lisa, unique Lisa, disait le Vieux Lion, admirant ce portrait, qu'il venait de dérouler. Comme un précieux trésor, il le protégeait du vent soufflant à ce col alpin en s'appuyant contre son mulet. Combien de fois, son fidèle apprenti, compagnon d'exil, l'avait vu dérouler cette esquisse et entendu prononcer ces paroles. Il savait que le voyage retour vers Lisa ce serait à lui de le faire. En ce point séparant l'Italie de la France, le Vieux Lion avait voulu s'arrêter. Ce point est nulle-part, dit-il à son compagnon. Il n'est ni l'Italie, ni la France. Alorsc'est ici que je veux remercier Dieu d'être Dieu, lui montrer le chef-d'oeuvre que je poursuis et lui demander d'accomplir mes prières. Moi, pas suffisamment humble et si imparfait, c'est ici que je veux implorer Dame-Nature de me pardonner mon orgueil de vouloir l'imiter, sachant que je ne pourrai jamais la dépasser. C'est ici que je veux qu'ils me foudroient et m'ensevelissent ou me laissent partir pour accomplir mon chef-d'oeuvre comme promesse de me donner tout qu'il me faudra pour y parvenir.

Au loin, Lisa errait en ce patio, où quelques mines de plomb étaient restées là en souvenir de ces moments passés avec le Vieux Lion, parti au-delà des montagnes pour aller chercher cet absolu, dont il disait qu'elle était la plus belle des images. Chaque soir, ses prières adressaient à Notre-Dame lui demandait de protéger ce Vieux Lion qu'elle savait ne jamais revoir. A moins que Dieu ne les unissent dans la mort, ou peut-être dans ce portrait si désiré par eux, au point qu'elle ne sait plus s'il la prise ou si elle s'offrit. Dans le lointain de la vallée de la Loire, un roi attend sans savoir que les victoires et les défaites, dont il est et sera le jouet, ne seront rien pour l'histoire au regard d'une seule phrase dite au Vieux Lion : "Fais ce que tu veux !"

La joconde 001

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