Les portes fermées

Sans nous en rendre compte notre vie est faite de portes, de portes fermées. Une porte a deux côté et il y a toujours un côté où vous n'êtes pas. Vous pouvez être dehors et la porte vous est fermée. Vous pouvez être dedans et la porte vous enferme. La porte vous enferme dedans car il n'y a pas de porte sans mur, sans grillage. Une fois dedans, derrière cette porte vous pouvez y être bien, vous y sentir à l'abri. Mais combien de portes fermées, complices de murs impénétrables, dissimulent de solitudes et de secrets ? La solitude ce n'est pas seulement être seul, c'est être seul avec soi. N'est-on pas parfois seul avec soi, au milieu des autres, enfermé derrière la porte de nos secrets ? Enfermé derrière une porte à secrets, nous sommes seuls avec nos secrets, nos secrets de violences, de souffrances, de pleures. Combien de femmes, d'enfants, d'hommes sont seuls face à l'autre ou aux autres, bloqués derrière une porte fermée comme celle d'une prison. Toutes les portes de prison n'ont pas un air repoussant; certaines sont même bien belles comme une porte de beau quartier.

 

Il y a aussi ces portes de chambre fermées où dans l'ombre un corps écrase un enfant, un enfant qui étouffe ses cris d'où l'amour s'est éloigné. Dans d'autres chambres, une femme bâillonnée et ligotée se soumet à la tyrannie du vice de l'autre ou d'autres. Il y a aussi ces hommes humiliés, dont seule la porte fermée sauve leur dignité et qui renvoient à d'autres, derrière la porte fermée de leur bureau, toute l'humiliation accumulée par ce manque de courage, qu'il ne faut peut-être pas appeler lâcheté mais faiblesse. Les portes fermées sont l'arme suprême de toutes les humiliations, qu'elles soient dans une maison, une entreprise, une école ou un commissariat, ou encore une prison. Les portes fermées sont aussi dans notre tête, interdits que l'on nous impose ou que l'on s'impose au nom de la morale ou de la prédestination. Interdits imposés à ces jeunes filles de rêver de ce qui est réservé à leur frère par la famille, la société ou l'habitude. Interdit à ces garçons d'être amoureux de ce qui est réservé à leurs sœurs par les bonnes mœurs et qu'ils osent derrière des portes fermées, protectrices de leurs désirs coupables aux yeux d'autres. Une porte fermée n'est pas toujours complice du bourreau, elle peut être aussi complice de la victime, la séparant de son bourreau.

 

On peut aussi être à l'extérieur de la porte fermée, comme cet enfant mis dehors, dans la nuit et le froid, frappant désespérément à cette porte fermée qui refuse de s'ouvrir et qu'une main parentale punitive garde fermée comme le cœur du censeur. Combien sont-ils dans la rue, en toute saison et par tous temps, à trouver porte fermée à leurs suppliques d'aide et de charité ? Combien de portes restent fermées au migrant qui demande refuge, fuyant guerre et misère, accompagné de femme et enfants, dans ces pays qu'il croyait de liberté ? Combien de portes sont fermées sous ce mot liberté ou sous la croix de celui qui donna sa vie pour sauver l'humanité ? Combien de portes de lieux dits sacrés sont fermées à ceux des autres lieux sacrés parce qu'ils ne partagent pas le même sacré d'un Dieu aux noms multiple ? Combien ont trouvé porte fermée à leurs rêves professionnels parce qu'ils n'ont pas fait la bonne école, ne viennent pas du bon quartier, n'ont pas la bonne couleur de peau, le bon accent ou le bon sexe ? Que c'est pratique une porte fermée. On n'a pas besoin d'expliquer juste de laisser la porte fermée. Pas besoin d'écrire dessus porte fermée, il suffit de vouloir l'ouvrir pour s'apercevoir qu'elle est fermée. C'est quand on s'aperçoit qu'elle ne s'ouvre pas que cette porte fermée en ferme tant d'autres en nous; et entre deux portes fermées s'écoulent nos chagrins et se prosternent nos rêves et nos espoirs.

 

Mais il y en a qui refusent les portes fermées et font de leur brisement l'énergie de leur vie. Après avoir brisé toutes ces portes qu'on leur a fermées, ils se font forts et gloire de briser les portes que l'on ferme aux autres, portes-complices de bourreaux, portes-prisons de rêves, portes-guillotines d'amours. Dans cette rage forgée dans leur volonté de briser les portes fermées, ils cherchent, trouvent et affrontent toute porte injustement fermée. Mais qui eux les prend dans ses bras et les console quand ils ont refermée leur porte, pour cacher leurs souffrances
et leurs pleures ?

Porte entrouverte

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