Rêve ou réalité, ça change quoi ?

Il ouvre les yeux, c'est le matin. L'heure qu'il est ? L'heure de se réveiller ! L'heure qu'il est a perdu de son importance depuis que plus rien ni personne ne l'attend. Comme un Dark Vador voulant voir de ses propres yeux, il éteint sa machine à survivre et enlève son masque. Signe habituel du lever, son chien se précipite sur le lit et aboie joyeusement, seul à lui dire bonjour chaque matin et bonne nuit chaque soir. Il tente de se rappeller des derniers rêves qu'il vient de faire. Il leur cherche un sens, les seuls pouvant encore en avoir un dans sa vie qui n'en a plus. Se réveille-t-il vraiment ? Le souhaite-t-il ? Il s'assoit et met ses lunettes, le chien continue d'aboyer. Il lui lance son "arrête !" son bonjour habituel envers son compagnon d'infortune. On voudrait le lui enlever, comme on voudrait qu'il quitte cette maison, dernière possession d'une vie effondrée.

 

Avant de quitter ses attributs nocturnes, il a regardé comme chaque matin son smartphone. La photo bleue d'une femme et une autre d'une enfant vêtue de rose aux grands yeux noirs écarquillés ont été ses premiers contacts avec la réalité diurne. Réalité ? Non, un rêve de plus. Un de ces rêves que l'on fait et auxquels on s'accroche, croyant que sans eux la vie ne vaut plus vraiment la peine d'être vécue. Pourtant, il dit vouloir abandonner ce rêve d'une vie nouvelle avec une femme et une famille nouvelles. Son médecin lui a dit que l'amour ne dure que trois ans, le seuil fatidique approche, plus que quelques mois à attendre pour savoir. Quand on est seul, être amoureux vous rend plus malheureux qu'heureux quand cet amour n'est qu'un rêve sans fin qui se prolonge stérilement. Fatigué de tout à force du rien et du vide, il se demande pourquoi il se lève. Sans doute est-ce pour cela qu'il ne vit plus qu'une vie électronique que seule la nécessité du ventre rompe de quelques sorties pour quelques courses.

 

Cette vie électronique, il la commence dès son réveil. Parfois, il saute l'étape photos, mais ce n'est pas pour cela qu'il ne pense pas à elle dès ses yeux entrouverts. Il l'a laissée à l'endormissement, il la retrouve au réveil, dernière et première secondes de l'horloge de son coeur. Après les twittes s'affichent, nouvelles d'une silencieuse radio du matin. Va-t-il twitter ? Chaque matin, il se le demande. Il y eut tous ces matins où il voulait lui dire : Je suis réveiller et toi ? Après, il scrutait son premier twitte l'interprétant comme son bonjour à elle. Réalité, rêve ou folie ? Maintenant, il se demande juste à quoi tout cela sert. Il parcourt sa twitte-line, jusqu'au moment où une nouvelle l'amène comme d'habitude à réagir. Alors, il retwitte le bonjour d'un journal ou d'une radio, premier message lancé comme fait un radio-amateur cherchant dans l'espace un contact. Puis il retwitte sa réaction, début de sa journée électronique que certains appellent virtuelle.

 

D'autres jours, c'est une pensée qui lui est venue comme un de ces rêves avortés qui nous suivent au réveil. Très souvent le silence qui l'entoure est rompu dans sa tête par une chanson toujours tronquée. Selon son humeur, il cherche à l'oublier ou recherche les paroles manquantes et son titre. Peut-être, sera-t-elle la première twittée de ses play-listes dont il abreuve ses twittos, parfois jusqu'à leur écœurement. Rares sont ces jours où sa peine est si profonde que, comme un SOS dans une bouteille vide, il observe sa twitte-line sans rien émettre. Par moment, il se dit qu'il va suspendre son compte. Après toutes ces portes et fenêtres fermées dans sa vie, fermer ses comptes Twitter et Facebook serait mettre la clé dans la porte d'entrée devenue la porte de sa fuite. Fuir, autre rêve qu'il fait. Fuir, mais vers où, vers quoi ? Fuir quoi et qui ? Une fuite comme un suicide social pour cet homme qui meurt aux autres petit à petit. Cancer social, la précarité ronge tous ces hommes et ces femmes, jetés à la rue ou enfermés chez eux, voyant se briser jour après jour ces brins de vie, un sourire, une parole, une bise, une poignée de main, jusqu'au dernier regard qui se détourne, les rejetant de la société dans des no-man's-land où l'espoir n'a plus cours et le désespoir devenu inutile.

 

Alors, il descend faire sortir le chien, rentrer le chat, s'il a dormi dehors, puis les nourrir. Il vaque ensuite à ses propres besoins, met son café à réchauffer ou en fait du frais, fait griller les tranches de bagueetes fraiche ou d'hier ou à défaut de pain de mie blanc, sort le beurre du frigidaire, en ouvre le papier, pose sur la planchette de porcelaine décorée le couteau prêt à servir. Protocole matinal, il est un des derniers qui rattache sa vie à un semblant de réalité. Selon les jours et l'humeur, il allume ou pas la radio. Il écoute toujours la même station ne voulant pas perdre ce fin réglage laborieusement obtenu. Il en est de même avec ses deux radios-réveils, chacun réglé sur une station différente et une heure différente, d'été et d'hiver. Dans le bruit ou le silence, il déjeune seul maintenant que toutes sont parties vivre leur vie ailleurs, vidant par la même la sienne sans se rendre compte des dégâts que leur absence afflige à son cœur esseulé. Dans cette trop grande maison à laquelle il s'accroche, les fantômes de ses souvenirs d'un temps heureux sont avec son chien et son chat ses seuls compagnons d'infortune. Ni rêve, ni réalité, ces fantômes sont justes souvenirs. Souvenirs qui se conjuguent toujours au passé, parfois simple, souvent imparfait ou antérieur, rarement au plus-que-parfait, d'une vie sans indicatif, se réalisant au présent du subjonctif avec un futur loin d'être simple, ressemblant à s'y méprendre au présent du conditionnel.

 

Ce protocole d'un semblant de vie est l'occasion de poursuivre ses rêves, d'en faire de nouveaux ou de laisser s'écouler les larmes de la cruelle solitude. Solitude, réalité des désenchantements que le café du matin jette comme un mauvais sort de la baguette maléfique de la fée Carabosse de son enfance qui ne savait plus prononcer le mot amour. Cette fée Carabosse avait enlevé une enfant pour l'aider à lui faire retrouver ce mot amour, rêve perdu dans sa mémoire par défaut d'avoir été suffisamment utilisé. Belle fin de ce roman initiatique qui voit enfin ce mot amour toujours cherché, par moment sous-entendu et jamais écrit tout du long du livre. L'amour n'est-il toujours qu'un rêve même quand on croit le vivre et le toucher du bout des doigts ?

 

Il regarde de nouveau ses twittes et en voit un en anglais d'une twittos nouvellement arrivée dans ses écrans radars. C'est une écrivaine franco-anglaise à succès dont deux de ses romans ont été adaptés au cinéma, Tatiana de Rosnay. Il le lit : "There comes a time when you realize that everything is a dream, and only those things preserved in writing have any possibility of being real." Pas très bon en anglais, il pense tout de même en saisir le sens général. Alors il se dit que tous ces twittes postés, tous ces textes mis en ligne et partagés avec d'autres, toutes ces play-listes aux messages cryptés, il a eu raison de les faire, car un instant d'éternité virtuelle il a réalisé ses rêves à défaut de les vivre réellement. Si toute réalité est un rêve et que tout rêve peut devenir réalité, qu'elle lourde responsabilité de devoir choisir dans les rêves des autres ceux qu'on voudra bien qu'ils réalisent. Dépend-t-on toujours des autres, même pour nos rêves ? L'écrivain et le poète ne dépendent que d'eux-mêmes pour écrire, mais n'est-ce pas là qu'un rêve égoïste et stérile si jamais personne ne les lit ?

 

J'ai rêvé d'une étoile, mais il ne dépend que d'elle que mon rêve se réalise.

Samedi 4 novembre 2015, 15h00, quelque part sur les ondes de l'océan de la vie

Chambre lit 001

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