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Il n'y a que ça à faire

Ou la messe de l'exorcisme

  • Il ne reste plus qu'à attendre !
  • Oui, il n'y a que ça à faire.

En effet, il n'y avait que ça à faire dans cette bien nommée salle d'attente. Leur amie venait d'être prise en charge par un médecin après plusieurs heures d'attente et une messe un peu particulière. Son cas n'avait pas paru si urgent que çà, après une première évaluation et l'application d'un pansement propre sur son genou déchiqueté. Déchiqueté ? Avait dit l'infirmier à l'accueil des urgences de cet hôpital des frontières Est de l'Île-de-France. Déchiqueté ! Avait-il répondu. Il ne voyait pas d'autre mot pour ce genou transpercé par un de ces fers en T qui servent habituellement à former des clôtures de grillage. Elle était tombée dessus en entrant dans le jardin du Carmel pour aller à la messe quotidienne de 11h30. Un démon l'avait poussée lui avait-elle dit. Il n'avait même pas souri intérieurement, habitué aux histoires de son amie sur sa lutte avec les démons ou un démon. Elle ne savait pas trop car elle ne l'avait jamais vu. Très croyante et pratiquante, c'était sans doute sa façon à elle de donner un sens à tous les malheurs qui s'abattaient sur elle depuis l'enfance. Enfant sans doute non désiré, elle avait été la Causette de la famille. Elle avait rêvé de faire de la photographie dans cette nouvelle section qui s'était ouverte dans son lycée professionnel, sa mère l'avait laissée en apprentissage de teinturerie, de pressing comme on dit aujourd'hui. Plus tard, elle s'en était échappée réussissant à suivre des cours de comptabilité. Mais les tristes chiffres n'avaient rien des rêves de reporter-photo qu'elle avait faits. Il faut cultiver ses rêves avait dit la dame venue des îles, vendant au micro sa réussite comme l'exemple à suivre à ces enfants dits défavorisés. Mais comment cultiver des graines, quand d'autres vous les enlèvent pour les donner à d'autres, où les jettent aux oiseaux. Lui aussi en avait fait des rêves. Devenir chercheur en physique était son rêve d'enfant, malgré qu'il abreuvait son imaginaire des aventures des Six compagnons de la Croix-Rousse ou des exploits des supers héros aux supers pouvoirs.

 

Si le démon était discutable, indiscutable était la plaie à son genou. Malgré sa chute et la profondeur de l'attaque, qui s'était arrêtée à l'os, elle avait tenu à rester jusqu'au bout à la messe. Cette messe lui importait. Elle était à la fin de sa neuvaine à la Vierge Marie. C'était pour cela que le démon l'avait attaquée lui avait-elle dit. Des neuvaines, il en avait déjà fait, mais il n'avait jamais été attaqué que par cette naturelle résistance, qui cherche à nous faire stopper toute entreprise un peu difficile. Quand il fait une neuvaine, il ne fait pas que prier et allumer une bougie faite pour cela, ou chaque jour un cierge s'il prie sa Sainte Philomène qui n'en a pas. Il l'accompagne d'un jeûne et ou de longues marches. Simplement prier ne suffit pas pour lui, il faut d'autres exercices spirituels pour donner une dimension spéciale à ce moment important dans sa vie spirituelle. Elle des neuvaines, elle en fait à la filée, chez elle. Quand un jour il avait pris le café chez elle, il avait vu cette table remplie de prières à dire et ces plaques de bougies-chauffe-plat à bénir afin d'économiser celles, devenues trop chères, qu'offrent les églises contre un don de 1€ ou 2€ pièce. Elle pourrait faire ses neuvaines à l'église. Elle aussi a les clés de l'église. Lui en a même deux, choisissant celle du bout de sa rue ou à une heure à pied, celle de son  village à elle, où est sa Sainte Philomène, pour faire ses exercices spirituels dans un lieu consacré, où l'énergie spirituelle est par nature plus forte. Non, elle les faisait chez elle, afin que le démon qui y habite la laisse tranquille. Il lui avait conseillé de contacter le prêtre exorciste qu'il y a dans chaque diocèse. Elle l'avait fait. Il était venu chez elle et avait non seulement fait un rituel d'exorcisme mais aussi un de purification des générations précédentes. Il ignorait que cela fut possible. Elle lui avait expliqué qu'on pouvait porter de génération en génération les péchés de ses aïeux. Il s'était bien gardé de sourire par respect pour elle, mais tout cela n'était que de la superstition pour lui, bien loin de ses croyances et de sa pratique. Même les Saintes Reliques, il les regardait avec un certain scepticisme. Pourtant l'étrange n'était pas étranger à sa vie, faites de coïncidences à répétition. De ses goûts de lecture d'enfant, il avait même gardé celui de l'étrange et du mystérieux. A côté d'ouvrages de philosophie ou d'histoire des religions et mythes, sa bibliothèque était remplie d'autres traitant de religions antiques ou autres que la sienne, de traités d'Astrologie ou d'Alchimie et même de Magie.

 

Il avait aussi un tout petit ouvrage abordant plus que sérieusement l'existence du Diable. Il l'avait acheté jeune par hasard dans sa librairie habituelle. Son libraire venait d'en vendre un à un de ses Frères de compagnonnage quand il demanda s'il pouvait lui aussi l'acquérir. Les deux Compagnons s'étaient échangés un regard lourd de sens, avant qu'il n'accepte de lui en céder un exemplaire. Grave mise en garde, qui faisait qu'il avait toujours regardé ce petit livre avec un grand respect et l'avait bien caché au fond de sa bibliothèque, afin que personne n'en approche le regard sans y être préparé. Des livres inattendus, il en avait acheté plusieurs dans cette librairie. Le plus souvent, ils étaient posés sur une table au lieu d'être rangés dans le rayon à leur place normale. Depuis que l'informatique était entré dans la boutique, ils avaient même la manie de ne pas être référencés dans le stock de l'ordinateur. C'était devenu un jeu pour lui, chercher le livre qui l'attendait et qui n'était pas dans l'ordinateur. Il s'en amusait beaucoup car cela continué de marcher malgré les années passant et les déménagements de cette librairie, bien connue des amateurs de ces choses-là et des Francs-maçons, dont il ne faisait pas partie. Bien qu'il ne soit pas d'entre eux, il avait un instinct pour repérer les plus discrets. Il se faisait tout aussi discrètement remarqué d'eux, délaissant les autres, qui fanfaronnent à qui mieux mieux de leur appartenance à une de ces fraternités. Eux le reconnaissaient comme un demi-frère, à défaut d'un frère, et entretenaient des conversations philosophiques avec lui. Chacun respectait l'autre et il avait pu aussi bénéficier d'aide d'eux, dans certains moments délicats ou sensibles de sa vie, malgré sa non appartenance. C'est grâce à cet instinct qu'il avait demandait à cet ami très pratiquant pourquoi il l'avait quittée. Après un instant de surprise, il lui avait répondu parce qu'ils ne croient pas en la Vierge Marie. N'ayant pas d'autre chose à faire qu'attendre, son ami le questionnait, persuadé de son appartenance à la Franc-maçonnerie. Il avait beau lui jurer la main sur le cœur qu'il n'en était rien, il ne voulait pas le croire. Comment pouvait-il l'avoir reconnu si lui n'en faisait pas partie ?

 

Ancien commissaire de police, il avait lui aussi manqué sa vocation, celle de devenir prêtre. Déjà homme, il disait avoir reçu la grâce et depuis notait chaque matin ses rêves de la nuit. Lui, catholique de baptême, élevé au catéchisme du prêtre et de sa mère, il enviait toutes ces personnes qui un jour avaient eu une révélation, touchées par la grâce divine. Son rêve serait d'être lui aussi touché par la grâce divine, de connaître cette émerveillement dont ils parlaient tous. N'ayant même pas la foi du charbonnier, ayant déjà joué la brebis égarée, c'était des hallucinations toutes médicamenteuses qui l'avaient ramené à bergerie, auprès du bon Pasteur appelé Jésus-Christ. Rien de merveilleux, plutôt des cauchemars éveillés. Avait-il trop fréquenté ce petit ouvrage traitant du Diable, s'était-il demandé. Une chose était au moins certaine, c'est que l'abus de médicaments pour lutter contre le sommeil, même pathologique, est mauvais pour la santé mentale. Cette santé mentale qui avait plus que vacillée. Qu'il avait mis plus de trois ans à retrouver. Qu'il sentait toujours fragile. Durant trois ans, ce fut des consultations mensuelles avec le médecin responsable du service où il avait été interné. Consultations qu'il appréhendait à chaque fois comme un possible retour à la case prison, pour qui il manque une case. C'est ainsi qu'il se voyait et c'était pour cette raison qu'il cachait une partie de sa vie aux autres. Aujourd'hui, il ne la cache plus, en en parlant presque ouvertement, comme une psychanalyse ou un exorcisme. Deux grands croyants, chacun à sa façon, qui avaient rompu leur participation au rituel sacré de cette messe, qu'ils respectaient toujours religieusement, pour porter secours à leur sœur blessée. Il l'avait entendue haletante, arrivée en retard. Chez une autre, il n'aurait pas fait attention, mais elle n'était pas du genre à courir et à faire du bruit durant la messe. Il s'était rapproché et avait vu son jean ensanglanté au genou. Il avait soulevé le pantalon, pendant que la Sœur-Prieure lisait la Bible. Il avait trempé des mouchoirs en papier dans le bénitier pour laver la plaie pendant que le prêtre disait l'Évangile. Son ami, d'habitude les yeux fermés et les mains jointes si concentré sur les saintes paroles, avait quitté sa place pour l'aider. Ensembles, ils avaient pansé la plaie sanguinolente pendant que l'assemblée des fidèles priée en silence. Ensembles, ils étaient restés auprès d'elle qui refusait de partir à l'hôpital avant la fin de cette messe purificatrice et salutaire. Allant communié, il avait demandait au prêtre de venir jusqu'à elle, qui ne pouvait plus se déplacer, lui porter le corps du Christ-Sauveur vivant dans l'hostie. Il était resté debout quand les autres s'étaient assis, toujours en prière silencieuse, pour la lui signaler, comme un phare dans la nuit. De ce presque évènement, à leur départ, il ne restait qu'une large tache de sang rouge-sombre, sur la pierre froide, de cette sombre chapelle aux allures d'église abbatiale qu'elle fut, que la Soeur-Prieure allait laver.

 

Ensembles, ils l'avaient donc accompagnée jusqu'à l'hôpital où ils sont encore depuis des heures. Il l'a fait pour elle, comme il l'aurait fait pour n'importe qui, comme il l'a déjà fait pour n'importe qui. Télescopage de souvenirs, dans cette salle d'attente au plafond bas, presque sale, il se souvient de cette jeune femme en monokini, si jolie, qu'il admirait depuis un moment sur cette plage de Saint-Cyprien. C'était un de ces étés, où frappa sans prévenir le soleil de ses rayons de plomb, comme un terroriste dans la foule meurtrie. Un de ces étés caniculaires, où ce qu'il y a de plus fort à faire est de sauver toutes ces personnes âgées, ces malades et ces enfants qui risquent de mourir de cette chaleur, que tant d'autres recherchent pour oublier que d'autres souffrent. Il se souvient d'elle sortant de la mer et s'écroulant sur le sable dans des convulsions presque démoniaques. Anglaise, son frère ne parlait pas français et lui mal l'anglais. Pourtant ils s'unirent pour l'assister, se comprenant à peine. Il se souvient de cet attroupement autour d'eux pendant que chacun tirait sur un bras, de toutes ses forces, pour l'empêcher de s'étrangler. Elle venait de "boire la tasse" et c'est ce qui lui avait déclenché une des crises d'épilepsie auxquelles elle était habituée. Il se rappelle de cet homme partant soit disant chercher du secours en se dandinant tranquillement. D'instinct, il avait envoyé sa sœur en chercher de son côté. Il se rappelle de tous ces gens qui sont repartis tranquillement à leurs loisirs de plage, pendant qu'avec cet étranger, il surveillait cette belle étrangère, aux cheveux blonds et courts, à la longue silhouette de nymphe aux seins ronds, convulsant encore régulièrement, les yeux révulsés telle une sorcière en transe, en se tapant la tête sur le sol, dur au choc malgré qu'il soit de sable. Il se rappelle de ce secouriste grand et fort tentant de lui ouvrir, sans y parvenir, la bouche pour l'intuber. Il se rappelle d'elle repartant à grande vitesse sur la mer dans ce Zodiac, vers un autre hôpital, seul espoir de survivre à cette énième crise d'épilepsie. Ce jour-là, il n'y avait que ça à faire. Faire ce qu'il pouvait, ce qu'il devait, quand tant d'autres restèrent assis ou s'attroupèrent en curieux, seulement au moment le plus dramatique de leur feuilleton de vacances, pour immédiatement retourner à leur inconscience estivale. Ce jour-là, il ne reçut peut-être pas la grâce, mais il eut l'impression d'être vraiment Chrétien.

 

Lundi 18 avril 2016, 11h50, quelque part sur les ondes de l'océan de la vie

Plage 001

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