Allo, tout va bien ou presque

Je me souviens de ce mardi 13 septembre 2005 dans une chambre d'hôtel à Lyon. Le téléphone sonna vers 18h30. A l'autre bout du fil, il y avait mon épouse me disant, j'ai eu un accident mais ne t'inquiète pas. J'ai le poigné cassé et la cuisse transpercée mais ne t'inquiète pas. Ils vont m'opérer demain matin. Ancien secouriste et sportif, je savais que cela n'avait rien de rassurant. Alors je suis sorti et suis allé faire un tour avant de rentrer pour ressortir manger. Elle était près d'Arras, dans le Nord, pour un séminaire professionnel organisé par notre employeur commun, une grande banque internationale. Elle avait hésité entre y aller et aller en Turquie pour son travail. Je lui avais dit va à ce séminaire, ça va te changer les idées et Arras est moins risquer que la Turquie.

 

Pour la fin du séminaire, ils avaient organisé une initiation au karting. C'était la première fois qu'elle en faisait. En bas d'une descente, son kart a pris de la vitesse, elle s'est bloquée et dans le virage qui la terminait elle a traversé la barrière de pneus mal faite. Elle a fini sa course dans un mur en béton après avoir traverser le parking et perdu son casque. Cette partie amovible du circuit n'était pas agréée. Résultat, une double fracture radius, cubitus avec le poigné en vrac, une fracture du plateau d'une lombaire, une fracture du bassin et une ouverture de 8 cm de large sur 8cm de profondeur à la cuisse. Ni l'artère fémorale, ni le nerf sciatique, ni le muscle ne furent touchés, un vrai miracle. Ce jour là, la vie de toute une famille venait de basculer.

 

Le lendemain, je prévenais la Direction locale de l'accident et du risque de devoir partir à tout moment. Cette semaine là, j'animais une formation avec 26 personnes que j'informai également. De ma Direction parisienne, je n'ai eu aucune nouvelle durant toute la semaine. Je m'organisai pour finir une demi-journée plus tôt et pouvoir partir le vendredi matin. J'avais appelé et prévenu une gentille tante qui gardait les enfants de l'accident et de savoir si elle pouvait rester jusqu'au vendredi, car mon épouse aurait dû rentrer le mercredi. De Lyon, je rentrais sur Meaux puis partais immédiatement pour Arras. Je pouvais enfin voir mon épouse. Elle avait le sourire et hormis le pansement à la jambe, le plâtre au bras, et le corset, elle semblait aller. Elle avait de l'espoir. Tout allait bien disait-elle.

 

Je rentrais le soir pour repartir le samedi avec les enfants. C'était important qu'elle les voie et qu'ils la voient allant bien ou presque. Nous avions loué une chambre d'hôte, ça avait presque un goût de vacances. Toutes nos visites dans le Nord, durant 1 an, à cet hôpital eurent ainsi un goût de vacances. A la maison, il fallu s'organiser. Un lit médicalisé fut installé durant 3 mois en bas dans le séjour. Je me souviens de sa première sortie à Meaux. Elle croyait pouvoir aller rapidement. Au bout de quelques pas, elle s'arrêta essoufflée. Ce fut ainsi pour tout. Ses espoirs de guérison et d'un retour rapide à une vie normale s'effondraient les uns après les autres. Elle avait cru pouvoir reprendre rapidement le travail mais les semaines de convalescence devinrent des mois. A l'hôpital, elle avait eu son cartable avec son ordinateur et ses dossiers. Elle les ramena à la maison. Une gentille voisine, également secrétaire dans sa Direction, faisait la liaison entre la maison et le bureau ou alors c'était un Chrono Post. Ainsi elle continuait à travailler. Elle avait encore de l'espoir.

 

Plus pragmatique et expérimenté dans les Ressources Humaines, j'essayais de lui faire comprendre que cette situation anormale n'allait pas durer. Arriva le jour où tout s'arrêta, que la gentille voisine vint reprendre tous les dossiers. Juste le téléphone professionnel et l'ordinateur restèrent, jusqu'au jour où le téléphone fut coupé et l'ordinateur repris. Les mois passaient et impossible de retravailler. Après Arras et les infiltrations, ce fut l'opération de la main. Elle était restée bloquée, en "coup-de-vent" comme on dit si joliment. La grande habilité d'un chirurgien mondialement renommé lui redonna sa fonctionnalité. Pour la force, il fallu attendre plusieurs années. Ainsi ce qu'elle croyait devoir compter en semaines ou en mois, dû se compter en années. Sa carrière, elle était malheureusement terminée.

 

Isolée chez elle, désœuvrée, souffrant en permanence, elle mélangea médicaments et alcool. De la cadre dynamique d'une direction internationale d'une grande banque responsable d'un service juridique, elle était devenue, une pauvre femme désespérée. Voici comment, un mardi de septembre, une vie et une famille furent brisées par l'incompétence et l'avidité de personnes qui mettent l'argent au-dessus de la vie humaine.

Karting accident 001

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