J'ai rêvé d'elle

J'ai rêvé que ce matin elle frappait à ma porte; que j'ouvrais la fenêtre et la voyais là avec son sourire si simple. Elle serait entre les troènes, en haut des deux petites marches, face à la porte blanche, sa valise encore sur le trottoir. De l'autre côté de la rue le monospace noir de nos amis serait garé. Ils attendraient voir si je lui ouvre, si elle entre, si elle reste. Le moteur serait encore en route prêt à partir et à nous laisser tous deux ensembles. Sur leur visage sombre d'africains comme elle, un sourire se dessinerait.

 

Que fais-tu là serait cette phrase presque désagréable avec laquelle je l'accueillerais. De son bel accent et de ses yeux doux, elle me répondrait, tu m'as dit que je serais toujours la bienvenue alors je viens. L'air à la fois éberluer et heureux, je lui répondrais, je t'ouvre. La clé, toujours dans la serrure, attachée avec d'autres à une chainette à laquelle pend un petit étui en cuir vert-bouteille, tournerait et la porte s'ouvrirait. Je l'embrasserais, résistant à l'envie de la serrer dans mes bras. Je descendrais prendre sa valise et proposerais à nos amis d'entrer aussi. Ils refuseraient poliment renvoyant à une fois prochaine. Alors je rentrerais et refermerais la porte avec toujours cette envie si forte de la serrer dans mes bras.

 

Je lui dirais tu sais je n'ai pas de chauffage, juste deux poiles-à-pétrole pour chauffer ici et là. Elle me répondrait ce n'est pas grave toujours souriante. C'est sale, lui dirais-je. Je vais t'aider me répondrait-elle. Connaissant son courage et son dévouement, je sais bien qu'elle dit vrai et que la saleté de la maison d'un homme trop longtemps seul ne la rebute pas. Il est tôt, tu as déjeuné, lui demanderais-je. Oui j'ai mangé chez Rose-monde et Joachim me répondrait-elle. Tu viens d'arriver serait ma prochaine question. Oui serait ce mot unique disant tant de choses dans les silences l'entourant. J'arrive de l'aéroport et je voulais venir rapidement chez toi seraient ces phrases non dites avec d'autres et restées dans son sourire de Joconde africaine, toute de bleu-ciel vêtue de la tête aux pieds.

 

Je lui prendrais les mains, la regarderais dans les yeux, laisserais le silence dire tous ces mots qui seraient vrais mais si inconvenants entre elle et moi. Tu n'as qu'une valise serait la phrase choisie pour rompre ce moment de grâce où nos yeux dans nos yeux nous partagerions le seul amour qui nous soit permis. J'ai laissé les autres chez Rose-Monde et Joachim serait sa réponse. Réponse qui dirait dans son silence, on voit quelques jours, peut-être juste un, puis on décidera de la suite. Serons-nous seuls à décider, ou d'autres auront-ils leur mot à dire ? De notre amour ferons-nous un drapeau de révolte, noir comme celui des pirates ou rouge comme celui du christ ? Ou en dévots que nous sommes, demanderons-nous aux autorités compétentes la permission de vivre notre avenir l'un prés de l'autre ?

 

La connaissant, je sais qu'elle demandera déjà en son cœur au Christ le chemin à suivre. Peut-être lui a-t-il déjà parlé pour qu'elle soit ici, comme ce matin de notre rencontre prévue par Lui seul sur ce trottoir de Meaux. Que lui a-t-il dit ? Lui a-t-il donné une permission de minuit ou le carrosse l'attendra-t-il avant dehors devant ma porte. Peut-être lui a-t-il dit va, écoute ton cœur, vis ces jours que je t'offre prés de lui et attends mon appel pour me revenir. Ou bien a-t-il terminé par toi seule décidera en ton cœur, ton âme et ta conscience car je sais que quelque soi ta décision, tu seras toujours ma fille bien aimée, faisant toujours ma gloire dans tes gestes et actions, sans que tes prières ne m'oublient. Que peut-il bien lui avoir dit pour qu'elle soit là, si prés de moi que nos cœurs se sentent battre à l'unisson ?

 

Je lui proposerais la petite chambre du premier, celle des filles, avec son petit cabinet de toilette. Je lui installerais le radiateur électrique de la salle-de-bain. J'en achèterais un autre plus tard. En attendant, il ferait la navette entre les deux pièces. Nous rangerions ensemble la petite chambre pour qu'elle puisse trouver de la place pour ses affaires. Je lui proposerais de mettre un crochet au mur pour y suspendre un crucifix. J'ai au second celui de mes Grands-parents avec le visage de Marie lui dirais-je. Peut-être acceptera-t-elle, peut-être me dira-t-elle qu'elle voyage avec le sien. Je multiplierais les propositions pour qu'elle soit bien, qu'elle se sente chez elle. Qu'elle reste tout simplement.

 

Puis je la laisserais seule et irais de mon côté, prier et remercier Dieu. Lui dire que quelque soit le temps qu'il m'accorde avec elle, il sera un temps de joie immense. Que je ferai tout mon possible pour être digne de ces instants qu'il me laissera vivre auprès d'elle. Alors je me changerai, descendrai et commencerai à faire la vaisselle, avant de balayer et de laver par terre, réfléchissant à tout ce que je n'ai pas fait seul et que je pourrais oser de par son courage rayonnant dans sa voix ferme et ses yeux doux. Puis elle arrivera, ayant quitté ses habits de religieuse, déjà prête à m'aider.

 

Ainsi allait le rêve quand je me réveillai, bousculé par le chien me disant du bout de son museau lève toi. Point de cognement à la porte. Point de voiture garée en face de la maison. Juste un nouveau jour de solitude, commençant comme chaque jour depuis que ma dernière fille est partie de l'autre côté de Paris vivre sa vie, me laissant elle et ses sœurs seul avec mes rêves, mes rêves d'amour, d'amour toujours impossible.

Africaine bleue

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