Le rendez-vous du fou

Ce soir, il l'attend. Il sait qu'elle va venir. Depuis plusieurs jours, ils ont prévu ce rendez-vous. Il le sait, il l'a lu. Il a préparé cette soirée dans sa tête. Il ne sait pas s'ils vont diner là ou aller au restaurant. Il n'a pas grand-chose, quelques pizzas surgelées, une salade, de la grenadine, des pâtes, de la salade de fruit en boîte, du riz, de la saucisse au couteau. Il pourrait faire un rizotto. Il n'a pas de vin, ni de bière, habituellement, il n'en boit pas. L'épicier du village est ouvert jusqu'à 21h30, il pourra toujours y aller. Puis il y a la pizzéria à emporter d'à côté, ils vendent aussi du vin. Il regarde l'heure, 18h30. Il a le temps, le rendez-vous est à 21 heures.

 

Il se prépare. Il commence par donner à manger aux animaux, puis va prendre sa douche. Il ne s'est pas rasé depuis deux jours, il se rase, se lave les dents aussi. Hier, il est allé chez le coiffeur. Il le fallait, ce rendez-vous est important, il doit paraître à son mieux. Il remet sa croix et se coiffe. Il a acheté des sous-vêtements neufs. Il détache les chaussettes et les enfile. Elles sont fines, agréables. Il va choisir une chemisette. On est presque à la mi-juillet, il fait chaud, il met un short. Pour les chaussures, il a peu de choix entre ses baskets usées et celles trouées. Il est prêt, reste plus qu'à ranger la maison. Il passe l'aspirateur dans l'escalier plein des poils des animaux, puis la serpillère. Il range tous les papiers en vrac et le courrier non ouvert. Il sait ce qu'il y a dedans, des factures impayables pour le sans-argent qu'il est devenu. Il regarde tout autour de lui. Ce n'est pas parfait mais ça ira.

 

Il regarde par la fenêtre de la salle-de-bain du premier. Des voitures passent. L'une d'entre elles s'arrête sur le parking du café jouxtant la pizzéria d'en face, de l'autre côté croisement. Une femme en sort. Elle est grande, le teint mat, de longs cheveux sombres. Elle s'approche du café, parle aux fumeurs dehors. L'un d'eux montre du doigt dans la direction de sa maison. Elle retourne à sa voiture, prend son sac et entre dans le café. Le temps passe. Il s'assoit en attendant, regardant toujours le café. Au bout d'un quart d'heure, elle ressort. Elle met son sac à l'épaule et se dirige vers sa maison. Elle marche doucement avec souplesse, comme une panthère noire. Elle s'approche, passe devant et continue son chemin. Il la regarde, ce n'est pas elle. Il est déçu. Il quitte la fenêtre et regarde l'heure. Il est 21H30.

 

Il redescend, s'assoit sur la vieille banquette en cuir bleu-nuit usé, qui lui sert chaque jour de lit pour ses nuits solitaires jusqu'à ce qu'un rêve d'elle ne le tire de son sommeil qu'il va alors continuer dans sa chambre au lit effondré, puis il allume la télévision. Elle va venir, il en est sûr. Elle l'a dit. Du moins il le croit. Il l'a lu. Du moins il veut le croire. Il reprend son ordinateur et relie ses messages. Oui, elle l'a bien dit. Du moins il croit le lire et le relire. Il regarde l'heure. Il est 22 heures. L'épicier est fermé. Il se relève et retourne regarder à la fenêtre. Dehors, la pizzéria est toujours ouverte. A sa fenêtre servant de comptoir, des clients attendent sur le trottoir. La nuit tombe. Il allume la lumière et se rassoit sur sa banquette. La télévision fonctionne toujours, il la regarde sans la regarder. A côté de lui le chat s'est assis. A ses pieds, le chien dort. Il se retourne et s'allonge. Il ne regarde plus la télévision, il entend juste son bruit. Elle devait venir, elle l'avait dit. Du moins il l'avait cru. Il ferme les yeux et s'endort.

 

La télévision continue. Il ne l'entend plus, il dort. La lumière brule, il dort. Elle n'est pas venue. Dans son sommeil, il sourit. Il rêve d'elle. Ses rêves, seul lieu de leurs rencontres amoureuses. La télévision s'éteint automatiquement pendant que la lumière grésille en de petits sauts. Le jour se lève, le coq chante. Il se réveille. Le vent entre par la porte-fenêtre restée ouverte. Il a froid. Il se lève et va la refermer. Il se dirige vers la cuisine, allume la lumière, donne à manger aux animaux, puis prépare son café. Elle n'est pas venue. Il y avait cru, comme d'autres fois. Il le sait, par moment il veut y croire mais ce n'est jamais vrai. A chaque fois, les lendemains il se rend compte de sa folie, son amoureuse folie. Il porte sa longue tasse au drapeau anglais à ses lèvres, comme un baiser déposé à ce café-noir. Il retrouve ses esprits. Tout à l'heure, il a rendez-vous avec son médecin. Il lui dira que tout va bien, qu'il va mieux. Après tout c'est vrai, être amoureux et vouloir y croire n'est pas une maladie. Du moins il veut y croire. La prochaine fois, elle viendra. Du moins il veut encore y croire. Croire qu'il n'est pas fou, qu'un jour elle viendra vraiment. Enfin, peut-être.

Dimanche 29 novembre 2015, 12h00, quelque part sur les ondes de l'océan de la vie

Dormeur 001

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