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Accompagner un parent âgé

Accompagner un parent âgé invalide ne s'arrête pas quand vous partez travailler

Comme souvent ça commence par un appel téléphonique. J'étais à la cantine, pardon au restaurant d'entreprise, dans la file d'attente quand mon portable a sonné. Une femme me dit que mon père venait d'être emmené à l'hôpital en urgence. A une personne normale, ce genre d'appel ferait immédiatement tout lâcher. Mais une culture familiale où le devoir et le sens du sacrifice tiennent une place importante, avec plusieurs dizaines d'années dans un environnement professionnel exigeant, très exigeant, et vous ne réagissez plus comme tout le monde.

 

Cet appel tombe mal, je participe l'après-midi à une importante réunion sur une réorganisation massive au sein de mon entreprise et suis un des experts de ce sujet au sein de mon syndicat. Je demande à la personne de me tenir informé et informe mes collègues de cet évènement familial grave. La réunion débute, j'interviens rapidement et organise un probable départ futur. Le téléphone de la salle de réunion sonne, un échange rapide sur l'aggravation prévisible, puis je pars. Ce fut ma dernière réunion de négociation, à présent, ma vie allait changer.

 

C'était un mercredi. Le samedi matin, Maman se retrouvait seule. Comme avant, elle était toujours hémiplégique, dans un fauteuil roulant, le bras droit paralysé, s'exprimant avec de grandes difficultés. Enfin pas tout à fait seule, elle avait trois enfants, dont moi. Le jeudi, nous avions rencontré les assistantes sociales de la ville. Elles nous avaient dit que notre mère ne pourrait pas rester seule dans ce pavillon de banlieue, où elle avait vécu depuis 1955 et voulait rester.

 

Quelques semaines plus tard, notre mère emménageait chez nous, loin de chez elle et d'un époux disparu. Bien sûr, nous reçûmes les félicitations de la famille, oncles, tantes, cousins et soeurs pour ce geste de dévouement, ainsi que l'assurance de pouvoir compter sur leur aide. D'autres, plus réalistes, nous dirent combien les mois à venir allaient être difficiles et de ne pas trop attendre de soutiens.

 

La vie continuait et le travail avait repris. Mon épouse partait tous les matins, comme avant, déposait les enfants à l'école quand ce n'était pas moi. Le soir, elle rentrait toujours tard, comme avant, fatiguée, encore plus qu'avant. Ma mère ne restait pas seule la journée, il y avait Thérèse. Comme beaucoup de couples de cadres, nous avions une aide ménagère, qui se transforma en assistante médicale permanente.

 

De quoi vous plaignez-vous, allez-vous dire, vous aviez l'argent de payer une personne pour s'occuper de votre mère à votre place. La vie des cadres paraît toujours belle à ceux qui ne le sont pas, car ils s'imaginent qu'il suffit de payer pour être débarrassé d'une tâche, d'une peine, d'un soucis. Ils s'imaginent que l'on peut continuer à vivre notre vie professionnelle de cadre comme avant.

 

L'accompagnement d'une personne âgée invalide ne s'arrête pas quand vous partez travailler. C'est toute votre vie qui s'en trouve chamboulée. Quand vous avez déjà trois enfants et un conjoint également salarié, c'est faire une croix sur les horaires tardifs et les déplacements de plusieurs jours. Au petit matin, elle vous appelle en entendant vos pas. Avant de s'occuper du petit-déjeuner, il faut s'occuper d'elle. S'occuper le matin d'une hémiplégique en grande partie paralysée, au cinéma avec des acteurs de talent, fait rire. Seule avec sa mère, d'autres sentiments vous envahissent.

 

Avant de partir, il faut s'assurer qu'elle ne sera pas seule et aura tout ce dont elle a besoin. Faire les courses en famille devient rare, car il doit toujours y avoir quelqu'un pour s'occuper d'elle. On aimerait bien de temps à autres sortir tous ensemble et oublier quelques heures cette pression de ne pas arriver à consoler cette personne esseulée et triste. Les promesses n'engageant que ceux qui les écoutent, l'aide promise est rare. Pire, nous devenons l'objet d'une surveillance familiale pour vérifier que nous assumons bien notre mission.

 

Dans ces conditions, le travail devient une échappatoire où la pression professionnelle fait oublier la pression familiale. Enfin, quand le téléphone ne sonne pas pour signaler quelques appels à l'aide. Alors, un rapide point médical se fait pour déboucher sur l'appel du médecin ou des pompiers. Cette fois-ci, vous rangez rapidement vos affaires et partez. Vous le pouvez car, il n'y a plus de réunion où vous êtes quasiment indispensables. Vous n'avez plus non plus de rendez-vous indéplaçable. Votre vie professionnelle a changé, d'important vous êtes passés à accessoire.

 

Votre dynamisme existe toujours, mais votre entreprise et vos collègues n'en profitent plus guère. Vous pointez soigneusement vos jours de congés restants et vos jours de RTT à prendre. Vous épluchez la convention collective cherchant le moindre congé possible à prendre pour être proche de celle que vous aimez depuis votre naissance. Être dans une grande entreprise a ses avantages, mais quand ça dure, tout à une limite. Les plaisanteries sur votre indisponibilité se multiplient suffisamment pour comprendre qu'elles ne font sans doute plus rire leurs auteurs.

 

Puis, on vous rappelle que comme tous les ans il y aura l'entretien d'évaluation, que l'on est gêné ne sachant pas quoi y écrire. On comprend votre situation, compatit, mais on se doit de rester professionnel. A ce moment là, vous prenez conscience que vous allez peut-être trop loin. Malgré tout votre amour, vous vous sentez seuls et par moments désemparés. La maison n'est pas un château. Les enfants veulent voir eux aussi leurs émissions préférées le soir. Chuchoter pour garder un semblant de vie intime devient trop pesant. Plusieurs mois de cette vie nouvelle avec une vie professionnelle encore pleine, même si elle n'a plus rien à voir avec avant, accumulent la fatigue sur les épaules de notre couple.

 

Un choix fut fait, Mamy sera la première occupante de cette toute nouvelle maison de retraite qui s'ouvre près de la gare dans quelques mois. On n'est pas bien fier. On aurait voulu faire mieux. S'il n'y avait pas eu les enfants. Si on n'avait pas été si jeune. Surtout si on avait osé arrêter de travailler. Mais voilà, il y a les enfants, la maison à payer et être invalide coûte si cher qu'il faut bien travailler.

 

Toutes ces aides dont se gargarisent nos politiciens à chaque élection sont bien minces face à l'ampleur de ce qu'est de s'occuper d'une personne âgée invalide. Dans cette vie moderne, où travailler est si essentiel à la vie quotidienne et dans nos esprits, aider une autre personne même quelques mois n'a rien d'héroïque, parce que la société et votre entreprise ne vous en seront jamais reconnaissant. Chacun dort avec sa conscience après tout.

 

Article publié originellement sur EXPRESS YOURSELF – Business et Sens le 31 octobre 2012

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