L'écrivain

Combien de nos pensées sombrent dans l'abîme de l'oubli faute d'avoir été couchées sur un papier de bois ou d'électrons ? Combien se perdent dites au vent qui passe ? Que devient une pensée sans les mots pour l'exprimer ?

 

Les mots sont des cercueils dans lesquels nous enfermons ces pensées fugaces leur retirant la liberté de vivre. Nos livres sont des cimetières où on les enterre sous une épitaphe de quatrième de couverture tombale. Nos bibliothèques sont des musées où nous promenons notre regard d'œuvre en œuvre. Tout juste si les plus téméraires osent se saisir de l'une d'elles. Beaucoup se contentent du discours de guides disant les avoir lus et en faisant résumé et critique en savants qu'ils se prétendent. Quand les écrivains, tels des oiseaux sauvages, donnent à leur intelligence l'élan de leur plume, les critiques réduisent la leur aux limites des autres, qu'ils détaillent en de longs discours sucrés ou acides mais toujours oiseux.

 

Les écrivains sont des artistes de la plume comme les peintres le sont du pinceau. Ainsi leurs œuvres finissent dans des musées ou dans l'oublie. Musée est un mot magique dans la mémoire des hommes. Lieu de conservation de notre histoire où le visiteur va se recueillir devant œuvres et objets, décoratifs ou d'usage usagé. Un musée du contemporain est-il une antinomie ou un signe de notre époque où tout va si vite qu'hier est déjà désuet ? Ces musées du temps présent portent-ils bien leur nom ? Ne devrait-on pas les nommer maisons, comme ces lieux de vie où on entre et sort, où on se rencontre et échange mots et pensées ?

 

Entrer au musée comme d'autres au Panthéon est pour l'artiste la reconnaissance. Mais quel est le Panthéon des livres et écrivains ? Il y a les grandes bibliothèques, les bibliothèques nationales et les belles collections. Il y a aussi les éditions prestigieuses sélectionnant avec soin leurs auteurs pour des beaux livres au prix onéreux, gage de leur qualité. Loin de ces auteurs bourgeois lus par une élite et des connaisseurs sont les auteurs populaires lus par le peuple comme il regarde une série télévision. Certains de ces livres bourgeois ou populaires seront adaptés au cinéma ou à la télévision donnant, ici un succès petit ou grand, là un bide. Combien de livres parmi les millions écris par une génération lui survivent dans la suivante ? Combien de livres sont lus par les petits-enfants d'écrivains ? Ainsi se rabat l'orgueil d'un écrivain encensé ou à succès de son vivant, vite tombé dans les trous mémoriels, abîmes béants entre les générations passées et les générations présentes.

 

Leurs œuvres quitteront les échoppes des libraires pour les rayons poussiéreux de bibliothèques-musées ou leurs réserves sombres et froides. Nulles mains ne se les échangeront plus dans une cour d'école, à une machine-à-café ou dans un train de banlieue. Au moins auront-ils eu le loisir d'être publié de leur vivant quand tant d'autres resteront des écrivains de salle-à-manger aux œuvres de tiroir. Combien de Victor Hugo ou d'Honoré de Balzac ou encore de Simone de Beauvoir sont restés inconnus, jugés impubliables par des portiers-censeurs débordés ou fatigués ? Ont-ils conscience de leur responsabilité ces lecteurs-douaniers ouvrant à qui ils veulent la barrière de la publication et du succès ? Écrit-on pour être lu ou pour être publié ? Le second n'est-il que l'orgueil du premier et le succès l'Himalaya de l'orgueil suprême ?

 

Pourquoi écrire ? Écrire n'est-ce pas polir un miroir où on mire son reflet dans des phrases superficielles et celui de son âme en d'autres profondes et lourdes de sens ? Tenir entre ses mains un livre c'est aussi tenir la pensée et l'âme de son auteur, le lire les parcourir en voyeur pervers ou pudique. Il n'y a pas d'écrivain pudique. Tous sont impudiques, montrant d'eux tout ou partie selon leur audace dans des stripteases de mots. Au lecteur-voyeur, l'écrivain doit donner à rêver ou fantasmer, le touchant de flèches de mots au cœur de ses espoirs et de ses peurs. Fille publique, l'écrivain se donne autant qu'il se vend au premier venu qui voudra bien de lui pour satisfaire les pulsions inassouvies de ces badauds des pages noircies. Faut-il être orgueilleux ou pervers pour se livrer ainsi au commerce de nos pensées et de nos mots, ou juste assoiffé de l'amour de l'autre ?

 

L'écrivain n'est rien de tout cela. L'écrivain est tout ce qu'il met de lui et de son âme dans des mots et des phrases qui ne prennent sens que du regard que vous posez dessus. Avec votre naïveté de lecteur, dont la sensibilité et l'intelligence sont les cordes vibrantes de vos émotions, vous venez à la rencontre de celles de l'écrivain, petit ou grand, publié ou de salle-à-manger. Ainsi les livres sont des parcs et jardins de rencontres où écrivains et lecteurs s'embrassent au fil des mots sur un tapis de feuilles aux couleurs variées.

Livres lectrice 001

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×