Créer un site internet

Résumé d'une vie

Ma chère amie, vous m'avez dit que la rue apprend tout, je peux vous dire que rien n'apprend tout ! C'est une succession d'expériences qui permet d'accumuler comportements, savoirs et compétences, d'apprendre seulement presque tout. Certaines expériences vous portent, d'autres vous font chuter bas, très bas, parfois dans un abîme. Derrière, il faut remonter. Ça prend du temps, beaucoup de temps. Il faut de la patience, de la volonté et de la pugnacité. C'est ce que l'on appelle la résilience. 

Pour moi, ça a commencé enfant à la maison avec la violence maternelle et à l'école primaire avec le harcèlement. Au collège, je m’en suis sorti parce qu'il paraît que je suis très intelligent. A partir de dix ans, j'ai fait différents sports individuels et collectifs : judo, hand-ball, natation, water-polo, tennis-de-table, basket-ball, équitation, tir à l'arc, Yoseikan Budo, Jō-Do, vélo. Un grand entraîneur d’athlétisme du Racing Club de France, où je m’essayais à devenir un bon coureur, m’a dit que j’avais fait trop de choses pour les avoir bien faites. J'ai été très vexé car je savais qu'il avait raison. A seize ans, j'ai passé le brevet de secouriste ranimateur et ai été bénévole à la Protection Civile durant plus de deux ans. Le 2 mai 1979, j’ai commencé à travailler à seize ans aussi, à la BNP à Paris, boulevard des Italiens à côté de l’Opéra et des grands magasins. C'était dans la direction stratégique Afrique avec des personnes bien plus âgées et bien plus cultivées que moi. J’avais quitté le lycée en seconde et sortais de ma banlieue ouvrière de Sevran en Seine-Saint-Denis. Elles étaient presque toutes cadres. Le directeur était cadre dirigeant de l’entreprise, deux niveaux sous son président. Mon chef était un franco-libanais qui m’a appris à écrire autre chose que des rédactions scolaires et bien mieux le français. Il m’a aussi expliqué le respect qu'il pratiquait vis à vis de moi tout comme le directeur. Je lui dois beaucoup. Certains avaient longtemps travaillé en Afrique et au Proche Orient. C'était un milieu très riche culturellement. J’y ai découvert le monde sans voyager. Les week-ends, c'était des nuits entières à danser à l'Échapatoire. C'était une discothèque célèbre où j’entrais avec ma deuxième sœur aînée et ses amis sans faire la queue. Après, il y a eu le service militaire. J'étais sous-officier au centre d'instruction militaire de la Cité de l'Air durant un an. Une nouvelle classe arrivait tous les deux mois : des jeunes gens ordinaires, des pistonnés, des scientifiques travaillant pour l’Armée de l’Air notamment sur le futur Rafale, des sportifs de haut niveau. J'ai ainsi fait un an de classes militaire. C'était très physique avec de longues marches par tout temps, des combats de jour et de nuit. Durant six semaines, je commandais des jeunes hommes avec lesquels je dormais dans la même chambrée et qui n’avaient pas forcément envie d'être là. J’étais à une demie heure de chez mes parents mais moins souvent chez moi qu'un cousin faisant le sien en Allemagne. Démobilisé le 31 mai 1984, je suis rappelé comme réserviste à la base aérienne de Taverny en septembre pour la création d'un escadron d'intervention de protection rapide d'une dizaine d'officiers et de sous-officiers pouvant encadrer deux-cent-cinquante soldats du rang. Je le suis resté trois ans avant de rencontrer MCM, mon ex-épouse. Après mon service militaire, je me suis mis au sport en salle : musculation, aérobic, stretching. Je courais aussi le dimanche. Le soir le week-end, parfois dès le jeudi, j’allais dans un restaurant musical à côté de la place de la Contrescarpe. J’y aidais en cuisine et dînais avec le personnel, deux guitaristes chanteurs animant les soirées et le patron, un italien de Montmartre de soixante ans également chanteur à l’accent chantant aussi. Il fermait à deux heures, après je trainais souvent dans Paris parfois jusqu'au matin flirtant avec les vices de la nuit. Avec la BNP, j'ai aussi fait du ski, du ski de fond essentiellement, de la randonnée en montagne et de la plongée-sous-marine. J'ai perdu deux copains morts durant une plongée à Antibes. Nous sommes descendus à quatre, remontés à deux vivants dont moi. En avril 1988, je me suis marié avec MCM après un an ensemble. Elle était enceinte de sept mois de notre première fille. Grâce à elle, Je me suis remis aux cours de banque que j’avais laissé tomber n’arrivant pas à faire une dissertation. Ça était le Brevet Professionnel puis le diplôme d'études supérieures de l'Institut Technique de Banque, trois ans chacun. Nous avons fondé une famille heureuse avec l'arrivée de nos trois filles. Je le vois dans la joie de vivre de mes filles aujourd'hui. En 1993, sur un coup de colère, je me syndique et commence une carrière syndicale locale, nationale et interprofessionnelle. Je rencontre et fais face aux dirigeants de la BNP, de patrons de PME ou d’association et d'élus locaux. Je défends l’humain au sein d’une des plus grandes banques du monde, symbole de l’argent. En 1999, je vis de l'intérieur, jour après jour, la plus grande bataille boursière de l'histoire mondiale entre la BNP et la Société Générale pour le contrôle de Paribas. Derrière, c'est la création de BNP Paribas, une des rares fusions réussies entre grandes entreprises dans l'histoire et le monde. Fatigué de ce miroir aux alouettes du syndicalisme, en 2000, je décide de faire un Master en ressources humaines, pas dans une petite école, à l'IAE de Paris. A l'automne 2001, mon père meurt brusquement après s'être empoisonné avec une conserve de petits pois périmée et je dois prendre en charge ma mère parce que mes deux sœurs n’en sont pas capables. Elle est handicapée en fauteuil-roulant avec le bras droit mort et aphasique suite à des AVC importants. Elle était restée trois mois à l'hôpital dont plusieurs semaines dans le coma en 1988 alors que MCM attendait notre première fille. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes mariés entre deux témoins, un couple d'amis à elle, seulement à la mairie. Elle est restée avec nous deux travaillant à temps plein et nos trois enfants cinq mois avant d'entrer en EHPAD à dix minutes de la maison. Heureusement, nous avions les moyens d'avoir une aide-ménagère et médicale. J'allais la voir plusieurs fois par semaine à l'EHPAD. C'est moi qui lui ai fermé les yeux trois ans plus tard à l’hôpital un soir revenant du travail. Elle était dans une chambre seule dans le coma depuis plusieurs semaines au fond d'un couloir. En 2002, Master en poche, j'ai arrêté le syndicat et suis devenu responsable formation dans un centre administratif de 300 personnes derrière le cinéma Grand Rex. Deux ans plus tard, je participais à la création de la cellule ingénierie de formation nationale des back offices du réseau commercial France de BNP Paribas. Entre-temps, j'avais fait un an de formation supérieure au CNAM Paris en ingénierie de didactique et de formation, soir et weekend comme pour le Master Ressources Humaines, pour me spécialiser. Dans cette fonction, j'étais en déplacement en France trois semaines par mois pour animer des formations souvent créées par moi. J'ai aussi pensé un logiciel intranet de gestion des compétences et de la formation pour les cinq mille employés de cette direction répartis sur toute la France dans tous ses métiers. Le mardi 13 septembre 2005, MCM a un accident de karting lors d'un séminaire du côté de Arras. Je suis coincé à Lyon à animer une formation avec 26 personnes en face de moi. Je la rejoins le vendredi après-midi. Polyfracturée : jambe, bassin, colonne, poignet, elle resta sans pouvoir travailler durant plus de quatre ans. J'ai quitté BNP Paribas dans les mois suivants et ai racheté une brocante. En février 2008, je dépose le bilan et me retrouve au chômage jusqu'à aujourd'hui. Après son accident, MCM a sombré dans l'alcoolisme et ne put plus jamais retravailler normalement. Elle est aujourd'hui à la retraite. Avant l'accident, elle était responsable juridique pour la banque de détail en Afrique, au Moyen-Orient, en Turquie et dans les DOM-TOM de BNP Paribas. Nous nous séparons dans une ambiance de violence en novembre 2012 et divorçons en février 2016. Après, nous restons en contact dans une relation apaisée autour de nos filles. Elle s'était mise en couple avec un voisin alcoolique qui profitait d'elle mais n’était pas méchant au début. Début 2013, elle s'installe à Meaux avec lui où elle vit encore. L'alcool faisant, la violence s'installe dans leur couple. J'interviens et le fait interpellé par la police. Il ne doit plus l’approcher et est interdit de séjour à Meaux. Plus tard, elle se met avec un autre alcoolique violent qui la frappe sans que je le sache. Avant notre séparation sans coup, il n'y avait jamais eu de violence entre nous. Nous nous aimions et étions solidaires face aux épreuves communes comme à celles de l’un et de l'autre. Les voisins de l'immeuble ont prévenu la police et il est interpellé en flagrant délit de violence sur elle. Handicapée depuis son accident, il fait trois mois de prison et a deux ans d'interdiction de l'approcher. L’interdiction à peine tombée, il reprend contact et ils se remettent ensemble mais chacun chez lui. Comme, je vis chez elle, je l’en protège, lui faisant déposer une plainte en 2022 après qu'il soit venu défoncer la porte de son appartement. Heureusement, j'étais présent pour la protéger et le mettre en fuite. Plainte qu'elle va retirer rapidement. Ils sont toujours en lien aujourd'hui. Psychologiquement fragile, elle est une femme sous influence à protéger. Elle continue d'aller chez lui trois à cinq jours toutes les deux semaines. Lui, gravement malade de par son alcoolisme, a ses jours sans doute comptés. Après le dépôt de bilan de ma brocante en 2008 et les problèmes avec MCM, je suis tombé petit à petit en dépression. Comme je prenais du Modiodal, depuis la mort de mon père pour lutter contre l’hypersomnie, tombé dans des prises excessives, j'ai eu des hallucinations au printemps 2013. Fin juin, je suis hospitalisé en psychiatrie fermée avec de vrais fous et folles durant un mois. Je vivais seul avec ma troisième fille dans notre ancienne maison. Je vivais du RSA depuis ma séparation d'avec mon ex-épouse et faisais du bénévolat dans des associations dont le Secours Populaire où je récupérais des paniers-repas. Après son Bac, elle est partie en foyer universitaire de l'autre côté de Paris. Toutes nos filles étaient à l’université, vivaient seules et venaient régulièrement à la maison le week-end et durant les vacances retrouver leur père et voir leur mère chez elle. C'est elles que j’ai appelé au secours pour être hospitalisé en urgence. J'en suis sorti en grande dépression. J'ai mis plusieurs années à m’en sortir. Impossible dans cet état de retrouver du travail. Le temps de chômage s'étant trop allongé, je suis considéré comme plus employable à cinquante ans. Le crédit de notre maison n'étant plus remboursé, elle est saisie et vendue aux enchères à bas prix. Le 8 septembre 2018, fête de la Nativité de la Vierge, je suis expulsé de ma maison. Je donne les clés à un huissier à 18h30 après avoir mis ce que je pouvais comme affaires, surtout des livres, des CD, des cassettes vidéos et des DVD, dans un box de six mètres carrés où elles sont encore. Le soir-même, je dors à l’hôtel Lemon à Penchard payé par mon ami Patrick de mon groupe de pèlerinage et deux prêtres. C'est le début de ma vie de SDF. Penchard fut là où on avait fait construire notre première maison. J’y reste onze jours avec des migrants d’Afghanistan et du Pakistan logés par l’État français avant d'aller à La présence à May-en-Multien aidé moralement par un prêtre et financièrement par une riche bourgeoise de Meaux. C'est un ancien monastère devenu un foyer d'accueil pour marginaux rattaché au Village Saint-Joseph de Bretagne. J’y suis rapidement seul et y reste 9 jours. J’y participe à la reconstruction d'une copie de la grotte de Lourdes. En désaccord avec le propriétaire, mais pas fâché avec, je pars et vais être hébergé durant neuf mois dans la sacristie de l’église de Penchard. Le 30 juin 2018, je la quitte pour être sans abri jusqu'au 7 novembre. J'ai dormi dans un fossé, sous un pont, sur des bancs, par terre dans la rue, puis dans un cimetière dans un village proche de Meaux. Je vis avec les autres sans-abri de Meaux parmi lesquels je me fais respecter. Pour manger, me laver et laver mon linge je vais à l’accueil de jour des SDF de la ville. Pour certains, je suis l’Ancien, pour d'autres, le Prêtre car croyant et pratiquant. Je m’y lie d'amitié avec plusieurs SDF, notamment un grand vicking effrayant. Il a fait dix-huit ans de prison en trois fois pour violences volontaires aggravées. Il est sorti de Fresnes il y a quelques mois où il était pour avoir poignardé un autre SDF et ami commun. C'est ça la rue mais pas que. C'est aussi des règles, du respect des plus faibles, de la solidarité et du partage. C'est surtout une liberté qui parfois me manque entre les quatre murs de l’appartement de MCM. Après, ce fut la collocation jusqu'au 18 avril 2019 avec un copain sans-abri algérien un peu plus âgé que moi durant un mois et demi et un africain témoin de Jéhovah déséquilibré mental. Mon copain put avoir un appartement et fut remplacé par un migrant guinéen d'une trentaine d'années qui hurlait la nuit pour avoir été torturé dans son pays. Il a disparu volontairement un matin au bout d'un mois. Début janvier 2019, MCM m’a appris qu'on vient de lui diagnostiquer un cancer du sein. Elle vit seule et je l’accompagne pour ses examens médicaux. Le Vendredi Saint 19 avril, je m’installe chez elle alors qu'elle se fait opérer. Je nettoie tout dans son appartement. Il y a des poubelles non sorties depuis plusieurs semaines. Depuis, j’habite sagement et fraternellement chez elle dormant dans le même lit qu'elle. Elle a été déclarée guérie en août 2024. Elle arrêta de boire à l’annonce de son cancer mais continua de fumer. Elle a repris à boire chez son copain alcoolique en décembre 2023 après la peur d'une récidive. Elle ne boit pas avec moi. Après plusieurs mois d'excès, elle a repris le contrôle de sa consommation. Le mélange des médicaments et de l’alcool depuis son accident fait qu'elle est devenue très fragile. Elle voit un psychiatre tous les mois et prend beaucoup de cachets au quotidien. De mon côté, d'avoir une adresse stable de nouveau m’a permis d'être accompagné pour trouver des formations afin de retrouver du travail depuis novembre 2019. Ça était très difficile. Plusieurs projets ont échoué : trop chers ou pour cause de COVID. Durant les confinements, je n'ai pas été vraiment enfermé. Avec MCM, on sortait matin et après-midi trafiquant nos autorisations. Bénévole à la sécurité de la cathédrale, j’y allais quotidiennement dès sa réouverture. Une amie virtuelle, danseuse célèbre, me demanda d'aider un de ses amis à faire un grand ménage chez lui. Il était moine et était logé dans une grande église parisienne. J'allais ainsi à Paris plusieurs fois par semaine muni d'une autorisation ad-hoc. Je l’ai fait d'octobre à décembre 2022. Elle s'est fâchée avec lui avant la fin, me plantant avec les frais engagés pour l’aider alors que je vivais toujours du RSA comme encore aujourd'hui. On est en froid depuis plus d'un an pour d'autres raisons. C'est aussi ça les grandes célébrités… Ma fusée de résilience a fini par décoller en juillet 2023 avec la Piscine de l’École 42. Le premier étage s'est allumé avec une formation en communication digitale au CNAM payée par l’École 42 d’octobre 2023 à mai 2024. Le deuxième étage s'est allumé en décembre 2024 avec la formation Assistant Ressources Humaines d'IFOCOP jusque fin mars 2025 financée par France Travail dans le cadre du plan Atout Senior. En recherche de stage en entreprise depuis début avril, la capsule va se diriger vers la Lune normalement le 18 août, si tout va bien, pour quatre mois. C'est grâce à une rencontre improbable dans l’ascenseur de IFOCOP le 30 avril, jour de jobdating, avec un dirigeant de France Travail et son conseiller Seniors. Après, ce sera peut-être la Lune : un vrai travail avec un vrai salaire et peut-être un chez moi à moi. Parallèlement à cette vie réelle, j'ai développé une vie virtuelle quotidienne très active sur Internet et les réseaux sociaux depuis le dépôt de bilan de ma brocante en février 2008. C'est en grande partie grâce à elle et grâce à ma foi catholique renouvelée à ma sortie de l'hôpital psychiatrique que j'ai trouvé la force de me battre toutes ces années. J'y ai rencontré toutes sortes de personnes : des ordinaires, des célébrités, des artistes, des journalistes, des riches, des honnêtes, des menteurs et des menteuses. J'y ai trouvé de la sympathie et des malentendus, de la colère et de la haine mais aussi de l’amitié et de l'amour, l'un et l'autre hélas toujours virtuels. J'attends beaucoup de ce stage en entreprise pour reprendre contact avec une vie professionnelle proche de celle d'avant. Si je décroche un emploi avec un salaire, je me sentirais de nouveau normal. Comme tout le monde, si jamais je l’ai été un jour. Durant ce temps à venir, j'aurai aussi ma retraite à préparer pour dans cinq ans. Voilà un rapide résumé de soixante-deux ans de vie, de ma vie.

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×