La danseuse silencieuse

Comment rencontre-t-on une étoile ? On ne rencontre pas une étoile, on la regarde de loin le soir ou la nuit quand le soleil s’est couché et que le noir se fait comme dans une salle de théâtre avant que le rideau s’ouvre. Parmi toutes celles qui luisent dans notre ciel, on en cherche une qui brille au milieu des autres. C'est elle qui devient notre étoile du berger, que l’on suit en roi-mage dans le désert de notre vie. Pourquoi elle ? Pourquoi pas une autre ? La raison en est la rencontre, la rencontre d'un regard silencieux qui a tellement à dire. La chanson disait c'est le jour 1 comme un signe du destin, le premier jour de la rencontre avec l’unique. Cette étoile unique parce que l’étoile du spectacle, celle que tous veulent voir, veulent approcher, veulent toucher.

 

La chanson disait c'est le jour 1 et chanteurs et chanteuses s’arrêtaient. Alors au son du violon du maestro, la danseuse surgissait, tel un tigre, puis se mouvait, sautillant de note en note sur la portée du violoniste la portant de la fougue de son archet mieux que n’importe qui d’autre de ses bras. Elle montait un bras et sa jambe le rejoignait dans l’air, puis elle tournoyait sur elle-même faisant voler la vaporeuse robe les yeux baissés dans un humble regard pour finir par s’en aller au fond de la scène et disparaître. Le violon se taisait, la chanson reprenait disant vouloir d’autres jours au jour 1. Alors le violon reprenait sa tempête de notes faisant ressurgir la danseuse se déliant dans de nouvelles arabesques silencieuses, dessinant dans l'air invisible d’invisibles mots, toujours le regard bas. La chanson se termine, le violon se tait, la danseuse s’agenouille laissant à notre vue son grand dos bossu qu'elle couvre de ses grands bras tel un de ces grands oiseaux marins se couvrant de ses ailes posé sur la plage après avoir volé dans l'air aux embruns. Dans un dernier geste du corps, elle tourne vers nous sa tête découvrant un regard noir de mystères.

 

Comme des millions de personnes, j'ai croisé à ce moment-là ce regard unique, me retenant quelques instants d’y plonger. Trop tard, il a disparu faisant place à un regard ordinaire posé sur un visage souriant que la danseuse silencieuse offre à son public de la salle et de l’écran le saluant. Je n’avais pas oublié la danseuse silencieuse ni ce regard quand j’achetai le DVD de ce spectacle caritatif. Ainsi, soir après soir, je retrouvais le vif violoniste, la danseuse silencieuse, ses arabesques et son regard mystérieux les clôturant. Je ne me souviens plus quand ni comment c'est arrivé mais un jour, peut-être un soir, je trouvais un compte Twitter au nom de la danseuse silencieuse. Les mois suivants, j’observais l’activité de ce compte non certifié cherchant à deviner si c'était elle ou une usurpatrice qui twittait. Je me renseignais auprès de certains twittos pouvant me le dire. Tous me répondaient, je ne suis pas sûr mais il se pourrait que ce soit elle. Ainsi le mystère de la danseuse silencieuse se continuait. De son côté, jamais de mots, juste quelques émojis venaient répondre ici et là. L’étoile était muette, pas un de ces bruyants pulsars qui inondent les réseaux sociaux de leurs commentaires dans des conversations souvent oiseuses. Puis vint le temps de Pâques, le temps des adieux de l’Étoile au théâtre où elle avait grandi dans l’ombre d'autres étoiles avant de l’être elle aussi. Ce fut un temps de tapage où les tambours et trompettes de la renommée résonnés et sonnées. Ce vacarme envahissait le compte Twitter,le ponctuant d’épisodes plus personnels donnant plus de véracité de sa propriétaire réelle. Les adieux passés, l’été arrivant, le calme revint, se faisant presque silence. C'est à ce moment-là que j’entrepris de traverser l’océan numérique pour rejoindre Instagram, espérant retrouver la danseuse silencieuse plus locace.

 

Là, je découvris un autre monde social aux mœurs plus apaisées. Le verbe n’y est pas maître mais photos et petites vidéos. La danseuse silencieuse y est bien présente et plus active sans être forcément plus bavarde. Si elle nous fait grâce de quelques phrases, c'est toujours avec mesure voir modération. Au travers d’elles, des photos et vidéos, c'est une autre femme que je découvre, une femme mère, une femme de la nuit, une femme paillettes dans le monde doré de la mode qui se démode comme disait Coco Chanel. Où est donc passée la femme simple à la robe vaporeuse se mouvant en de gracieuses arabesques ? Quelle désorientation face à cette inconnue derrière ce rideau de scène tiré au public mais s’ouvrant sur la scène des coulisses. Ces coulisses sont des nuits où tous et toutes se mélangent, où il devient elle, elle devient il, faisant des ils à ils, des elles à elles, des elles à eux, des eux à elles. Ce monde de la nuit, où on dit que tous les chats sont gris, avec ses restaurants, ses cabarets, ses bars sélectifs, ses salons privés, me rappelle ma jeunesse et ses nuits de danses psychédéliques jusqu'au petit matin sur les rythmes de dance-flor, ses palabres autour des alcools enivrants et des cigarettes fumantes entre connus et inconnus se finissant avec la nuit par des séparations parfois précédées d’unions éphémères. Il y a trente ans, nous aurions pu nous croiser dans une de ces nuits des brumes de l'apparence, nous rencontrer. Mais voilà, la Seine a coulé sous le pont des arts et vous étiez enfant quand j’étais jeune-homme. Aujourd'hui, votre scène dorée est bien loin de ma rue, scène de toutes les errances et mythomanies de ceux et celles qui n'ont que leurs rêves à défaut d’espérance quand vous faites de vos espérances des rêves que d’autres, riches ou pas, achètent à prix d’or pour les pauvres.

 

De vos douleurs vous avez fait vos forces créatrices chère Étoile quand de mes folies j'ai fait mes douleurs dévoreuses de ma vie sociale me précipitant dans le précipice loin de la société bien pensante. Ainsi va l’univers qui, de ses lois d’airain, défend aux étoiles d’approcher des trous noirs sous peine d’y perdre leur éclat et au risque d’y sombrer. Interdit des interdits, mon suprême interdit, m’approcher d'une étoile de peur d’y brûler mon âme, dussé-je en souffrir la mortifère douleur du cœur ou me l’imaginer souffrir les soirs de tristesse.

Comme me l’a écrit il y a longtemps déjà un maître du Zen, de mon âme à ton âme chère Étoile.

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×