Malak, bébé venu de l'autre rive

Sur cette photo, Malak, de toi nous voyons qu'une petite tête endormie et un petit pied qui dépassent d'une couverture rose. Elle est rose comme la couleur symbolisant les filles. Elle est rose comme la belle histoire que veut nous raconter cette photo d'un père aimant embrassant sa fille, comme n'importe quel père aimant. Dans notre culture de l'image, cette photo ressemble à une image sainte qu'on voudrait nous vendre pour nous faire oublier l'horreur de l'immigration forcée et exploitée. Beaucoup n'ont pas eu ta chance d'arriver vivants sur cette rive européenne comme toi. Combien gisent au fond de la mer parmi les poissons et les sirènes, anges de la mer accueillant le naufragé en ses abysses. Faribole, diront certains, mais ne peut-on laisser une part de rêve mythologique en ces rives de la Grèce au milieu des cauchemars? A te voir dans les bras de ton père, j'ai envie de rêver.

J'ai envie de rêver que devant l'horreur et la bêtise, nos cœurs s'ouvrent enfin, nous rendant digne du nom d'humain. J'ai envie de rêver que plutôt que de demander à nos navires de guerre de bloquer sur l'autre rive méditerranéenne ces hommes, ces femmes et leurs enfants fuyants la misère et la guerre, nous organisions une armada d'amour. Que par mer et par air nous les sauvions des griffes des tyrans et des fous. J'ai envie de rêver que nos gouvernants trouvent au milieu de tous nos gaspillages de pays développés ce qui manque pour accueillir plus dignement ces migrants d'aujourd'hui. Chez moi, la crèche est toujours sortie car j'aime à rêver que chaque jour puisse être un jour de Noël pour quelqu'un ici ou ailleurs. Ce bout de port n'est pas une crèche. Malak ne s'appelle pas Jésus, ni Mohamed, Joseph. Mais ce jour est un jour de Noël quand même.

Sur cette photo, Malak, nous ne pouvons nous empêcher d'être frapper par le contrastes des couleurs entre le noir et le gris sombre qui vous entoure face à l'éclatant orange du gilet-de-sauvetage de ton père Mohamed et le doux rose de ta couverture. Le calme apparent qui vous entoure, avec cette mer d'huile en toile de fond rend encore plus merveilleux ce baiser d'amour de ton père. Je suis trop habitué à coder et décoder des messages depuis des années pour ne pas savoir que cette belle photo est posée, organisée par un professionnel. Est-ce une raison pour en dénigrer le symbole et oublier que ton père t'a fait traverser une mer pour te donner une vie meilleure. Est-ce une raison pour oublier que vous êtes des centaines de milliers à venir chercher chez nous une vie meilleure, pour laquelle vous avez quitté votre vie d'avant.

Cette vie d'avant fut sûrement faite de peines et de délices, comme n'importe quelle vie, avant que tyrans et fous viennent la briser et la piétiner. Vous aviez sans-doute une petite maison dans une banlieue ou un quartier de grande ville devenue une ruine éventrée. Ta mère était sûrement belle à tes yeux quand les ouvrant pour la première fois tu l'a vie et aux yeux aimant de ton père. Oui, ta mère, où est-elle? Elle l'absente de cette photo! T'a-t-elle laissée en te mettant au monde? Est-elle allée rejoindre les sirènes durant ce voyage? Est-elle restée sur l'autre rive vivante ou sans vie? Peut-être le sera-t-on un jour, si quelqu'un continue de s'intéresser à ton histoire qui paraît être une belle histoire en regardant cette photo d'un baiser d'amour paternel. Une belle histoire, en est-on sûr? Peut-on appeler une belle histoire cette fuite à l'aube de ta vie, à travers une mer vorace dans les bras d'un père sûrement apeuré sans une mère absente.

Ce sera une belle histoire si des personnes avec un vrai cœur vous accueillent et vous aident à rester en Grèce ou ailleurs en Europe. Ce sera une belle histoire si, dans des dizaines d'années, tu regardes cette photo, en famille avec tes amis en disant, j'avais deux mois, je venais d'arriver en Grèce, un beau pays et mon père, cet homme courageux, m'aima au point de risquer sa vie pour sauver la mienne. Et des belles histoires comme celle-là, s'il y en avait des centaines de milliers, ce serait vraiment Noël en ce monde trop souvent égoïste.