Toi cousin, mon presque frère

Tu étais presque mon frère. Nous étions nés presque la même année, toi le premier. Depuis tout petit nous jouions ensemble chaque fois que nous nous rencontrions. Quand Mémé était encore de ce monde, c’était dans son appartement de la cité Emmaüs d’à côté que l’on se retrouvait. Elle avait la télévision, elle. C’était presque un luxe, le seul qu’elle avait. Notre luxe à nous était d’avoir des pantalons le dimanche et pas des culottes courtes. Ces pantalons que l’on déchirait dans nos jeux d’enfants terribles, dans ma cour. De là-haut, tu te rappelles sûrement nos dégringolades dans la descente de la cave où seul le mur nous arrêtait. J’avais la chance d’avoir des jouets dont tu profitais allègrement. Quand ils étaient cassés, c’était toujours toi qui prenais, pauvre de toi.

 

Puis nous avons grandi presque ensembles. Nous avons eu des vacances ensembles. Quand Patrice s’énervait, c’était moi qui le calmait, parfois brusquement. Il était le « petit » de notre bande de presque frères. Tu m’as présenté tes copines. Il est vrai que tu as toujours été plus dévergondé que moi. Je t’admirais en secret pour çà. Tu ne l’as jamais su. Il y a eu aussi ces après-midi flippeurs ou baby-foot au bar de la gare d'Aulnay-s/s-bois. Moitié loulous, on y était tranquille, tu connaissais tellement de monde. Avec tes cheveux blonds, longs, tu avais un côté Renaud. Il manquait juste le perfecto. Au soir, nous rentrions chacun chez nous, toi à pied, moi en vélo. On eut aussi une mémorable soirée spaghetti entre mecs avec tes copains. Jolie bande de presque voyous, on l’a finie au Rallye, repère de brigands où nous eûmes le comptoir pour nous seuls. C’était ainsi avec toi, toujours entre chiens et loups. Tu étais plus loup, moi plus chien. Mais nous étions tous deux animaux de la nuit.

 

Enfin vint les amours plus durables. Tu fus le premier, retrouvant un amour éphémère ancien. Tu fus aussi le premier papa. Alors tu quittas cet appartement de Rosny que je pris juste derrière toi. Même là, nous étions toujours presque frères. Avant moi, tu as aussi connu le désarroi de la séparation. Puis tu as erré, toujours en loup solitaire. La tristesse a rempli ta vie, t’emmenant là où les hommes sont enfermés, entre violence et cris. Toujours à côté de chez moi, je ne l’avais pas su. Tu étais fier, tes rires et plaisanteries cachaient cette douleur au fond de ton cœur d’être cet errant aux nombreux amis. Une fois encore l’amour t’a souri et pas très loin tu t’installas au milieu de notre belle campagne.

 

Le jour où Papy laissa Mamy seule, c’est toi qui m’aidas à lui faire une chambre. Tu étais amusé qu’on ait ainsi poussé les murs quand, pour une fois, j’étais plus optimiste que toi. C’est après que le crabe commença son chemin en toi, ce crabe implacable. Nous allions  chez vous, vous veniez chez nous et nos soirées reprenaient un goût d’adolescence. Famille et amis, nous t’entourions comme nous pouvions. Étonnant rendez-vous de la vie, sur cette pente descendante, tu étais avec le père de celle qui était devenue presque ta fille, lui aussi rongé par le crabe. Vous l’avez finie presque ensembles à quelques chambres l’un de l’autre, dans cet hôpital au nom de Président, toi le premier.

 

Cette fin ne fut pas celle de notre histoire. A la sortie de l’église, c’est de ma voiture, portes et coffre ouverts, que ta chanson raisonna, Voilà c'est fini de Jean-Louis Aubert. Je l’écoute encore en pensant à toi. Mon cœur fut bouleversé comme jamais il ne le fut, j’avais perdu mon presque frère, mon cousin. C’est à moi que l’on confia tes cendres le temps d’une brouille familiale. Tu trônais là, en haut du buffet de Papy et Mamy, à côté de la table familiale. C’est dans un ange, auprès de celui qui avait décidé d'être ton père en épousant ta mère, et dans la mer que tes cendres terrestres se sont éparpillées. Elles sont près de cette plage où tombèrent tant d’hommes pour notre liberté et où nous nous baignâmes, ensembles, au soleil de la Côte-d'Azur.

 

A Dieu Thierry, mon presque frère. Je pense souvent à toi. Je t’aime.

 

Thierry mer cendres 001

Commentaires

  • LE GUERN

    1 LE GUERN Le 18/10/2019

    Bravo, donne moi de tes nouvelles
    Bizh

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