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Troisième samedi de Carême

Rencontre 

Le Carême, chez les catholiques, est une période de quarante jours qui précèdent Pâques. Pâques est au cœur de la foi chrétienne, elle célèbre la résurrection de Jésus-Christ, vainqueur de la mort. Le Carême est une période de pénitence qui commence le Mercredi des Cendres et se termine le Jeudi Saint, dernier jeudi avant Pâques. Max est blanc, français de vieille souche, chrétien et catholique depuis toujours, depuis son baptême tout bébé. C'était il y a soixante ans. Il a connu, comme beaucoup, une période d'éloignement de l'Église n'allant que rarement à la messe. Homme spirituel depuis toujours, il a erré de religion en religion, de spiritualité en ésotérisme comme on voyage de pays en pays. Plus d'une fois, des croyants d'ailleurs lui ont fait signe, tendu une main qu'il a toujours refusé de saisir. Il est et reste chrétien et catholique. En 2013, sa vie à chaviré et la religion l'a sauvé du naufrage. Dix ans plus tard, sa vie aborde un nouveau tournant, vers un nouveau projet professionnel, vers un nouvel horizon qu'il atteindra peut-être ou pas. On est samedi, il n'est pas encore midi, comme depuis plusieurs semaines, plusieurs jours par semaine, il a prévu de passer l'après-midi à la médiathèque de la ville. C'est ce qu'il a dit à Marie-Claire, sa vieille amie et sa logeuse, en partant. Mais avant, il s'est arrêté acheter une colombe. Dans les évangiles et dans la foi chrétienne, elle est le symbole de l'Esprit Saint. C'est elle qui pend, tête vers le bas, sous la croix des protestants. Il a cette colombe dans un sac en papier qu'il tient à la main et va la déposer dans son boxe en attendant Pâques. C'est pour cette raison qu'il prend cette rue qu'il n'aurait jamais dû prendre pour aller à la médiathèque. Il fait beau, il a du temps, une envie de marcher, c'est pourquoi il a fait ce détour aujourd'hui pour acheter cette colombe. Elle est assise presque par terre sur le rebord d'une agence d'intérim aujourd'hui fermée face au soleil. Elle est noire, grande, fine, plutôt jolie, les cheveux courts, sûrement africaine. D'où ? Elle lui dira du Sénégal, de Dakar. Face à elle, est une femme debout élégamment habillée d'une jolie robe à fleurs. Elle est apparemment du même âge, également africaine. Sur le chemin du boxe, elle dira à Max être congolaise de Brazzaville. Il lui dira : "comme mon ami Matthieu". Quand il lui dira le nom de son ami, elle lui répondra qu'il est sûrement du même village qu'elle, du nord du Congo. Ça l'a toujours amusé cette façon très africaine de dire les choses qui donne l'impression que cet immense continent est un mouchoir de poche. Il lui parle aussi de son amie Charline. Charline, elle, est du Congo Kinshasa, le plus grand des deux Congo. Elle en est du sud et parle le tshiluba en plus du lingala, la langue la plus parlée dans ce pays et dans d'autres pays autour. Comme en Europe, les langues ne s'arrêtent pas aux frontières géographiques administratives, elles ont leurs propres frontières, dites linguistiques, séparant les peuples autant qu'elles les unissent. Cette femme, assise à côté d'une grande valise et d'un grand sac-de-voyage, tous deux noirs, s'appelle Fatoumata, Fatou en diminutif. Max passe devant ces deux femmes à grandes enjambées, un sac sur le dos, un autre avec la colombe à la main droite. Quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta droite, est-il écrit dans les évangiles. C'est demain le troisième dimanche de Carême, un temps idéal pour faire une aumône de charité, de donner un peu de soi, un peu de sa vie pour apporter un peu de joie, de bonheur à l'autre. En passant devant Fatou, il se dit qu'elle est sûrement à la rue. Il pense l'avoir déjà vue dans le centre-ville, il y a quelques jours, assise pareillement par terre discutant avec cette fois-ci avec un couple également noir. Il s'était également fait la même remarque sur sa situation mais il était très pressé. Ce samedi midi, il l'est moins. Qu'importe s'il arrive quelques minutes plus tard que prévu à son boxe et à la médiathèque. Qu'est-ce que ça changera à sa vie, qu'est-ce que ça changera à la vie de Fatou s'il passe quelques minutes avec elle ? C'est le Carême après tout, un temps d'intimité avec Dieu et il est écrit dans les évangiles cette parole de Jésus-Christ : tout ce que vous avez fait aux plus petits, c'est à moi que vous l'avez fait. Alors, quelques dizaines de mètres plus loin, il s'arrête et fait demi-tour. Il s'approche des deux femmes, coupe la parole à la congolaise et dit à Fatou d'un ton péremptoire : vous êtes à la rue ! Elle lui répond que oui et ils commencent à engager la conversation. La congolaise, mère de trois enfants, a connu cette situation d'être une femme, une belle femme, sans domicile fixe et sans abri. Max aussi l'a connu, sauf qu'il est un homme et n'avait pas ses enfants avec lui. C'est parce qu'ils ont connu la rue, sa solidarité et sa violence, qu'ils ont tout de suite reconnu une sœur de la grande famille des à-la-rue en Fatou. Comme pour toute les familles, on peut en sortir même si on y appartient pour toujours une fois y être entré. Fatou a quarante ans, comme les quarante jours de Jésus-Christ au désert, comme les quarante jours du Carême. C'est tout petit chez l'amie où Max habite, impossible d'y accueillir Fatou. Au bout d'un quart d'heure de conversation, il prend son smartphone et commence par appeler une amie avec laquelle il va en pèlerinage. Elle habite à une cinquantaine de kilomètres mais connaît du monde ici. Elle ne peut malheureusement rien faire. Il appelle son amie Charline puis Matthieu, aucun ne répond. Alors ils continuent, tous les trois, de parler de ce que doit faire Fatou pour trouver un hébergement, manger, se laver, mettre en sécurité ses affaires. Inutile de penser aux Restos du Cœur, au Secours Catholique ou au Secours Populaire, ces associations sont pour les gens qui ont déjà un toit, déjà un lit, déjà un réfrigérateur. Il les connaît bien pour y avoir été bénévole dans chacune et avoir sollicité le Secours Populaire pour nourrir ses enfants quand leur mère est partie les laissant seuls et sans ressources. On est samedi et les associations pour SDF sont fermées ainsi que les assistantes sociales. Fatou a une fille de huit ans et semble se méfier de ces dernières. Elle lui dit qu'elle est chez sa belle-sœur dans un village à vingt minutes en voiture de cette ville de bord de Marne. Ça fait un an qu'elle ne l'a pas vue et c'est pour cela qu'elle est venue ici, dans l'espoir de la revoir. Elle voudrait l'emmener au Sénégal où vit sa famille. Ça fait vingt ans que Fatou vit en France. Elle y a fait des études d'hôtellerie dans un autre village non loin du côté où est sa fille. Max connaît ce lycée hôtelier, pourquoi pas. Il n'a pas de raison de ne pas la croire. Il fait confiance là où d'autres se méfieraient parce qu'elle est noire et qu'elle est pauvre. Elle lui dit être également titulaire d'un master en management financier et des ressources humaines de l'Institut de Gestion Sociale de Paris. Il connaît aussi cette école, à lui-même fait beaucoup d'études durant plus de dix ans après le Bac qu'il n'a jamais passé, alors pourquoi ne pas la croire. Charline le rappelle. Il lui explique la situation et lui demande d'héberger Fatou ce weekend. Lundi, l'accueil de jour des SDF sera ouvert et ils pourront s'occuper d'elle. Laisse-moi réfléchir, je te rappelle dit-elle. Il raccroche, dit à Fatou qu'il doit aller à son boxe et lui demande d'attendre son retour. Elle n'a rien d'autre à faire, accepte. Ils repartent tous les deux avec l'autre femme qui rentre chez elle quelques centaines de mètres plus loin. Presque arrivé à son boxe, Charline le rappelle de nouveau. Elle accepte de la prendre chez elle ce weekend. Il se dépêche de déposer la Colombe du Saint-Esprit et repart rejoindre Fatou, priant en chemin, remerciant Dieu de cette rencontre en ce Carême. Fatou est toujours là, toujours assise par terre auprès de ses bagages noirs, triplement couverte se laissant réchauffer par le soleil de l'après-midi de cette fin d'hiver. Le bar-tabac d'en face à ouvert, est-ce de là qu'elle a eu cette canette de Coca-Cola ? Est-ce une bonne âme qui la lui a offerte ? Il l'aide à se relever et vont vers le centre-ville pour aller chercher sa voiture pour l'emmener chez Charline. A mi-chemin, l'église de Notre-Dame-de-Lourdes est ouverte. C'est samedi, Pauline et ses copines finissent de distribuer la "soupe" aux frères et sœurs de la rue. Il est quinze heures, elle a commencé à treize heures, ils étaient plus d'une douzaine, il n'y a plus rien. Qu'importe, il reste un peu de pain et des fruits qu'elle donne à Fatou. Elle n'est pas Jésus-Christ pour pouvoir multiplier le poisson et le pain à l'infini. Elle fait avec le peu qu'elle a et qu'on lui donne, parfois beaucoup, parfois trop, parfois pas assez comme aujourd'hui. Max laisse Fatou assise sur un banc plongée dans son smartphone le temps d'aller acheter un sandwich et une petite viennoise aux pépites de chocolat qu'il lui donne puis repart chercher sa voiture. En revenant, il se gare devant l'église à côté du petit square où jouent des enfants sous la surveillance de leurs parents. Il retrouve Fatou à l'intérieur assise, smartphone à la main, l'air épuisée. Tout est presque fini de ranger et quelques rares reconnaissants parmi les bénéficiaires des bonnes grâces de Pauline et ses copines balaient par terre pour que tout soit propre pour la messe du soir. C'est samedi, donc la messe du soir est celle anticipée du dimanche. D'une certaine façon, on est déjà le troisième dimanche de Carême. Il met les bagages à l'arrière de sa voiture pendant que Fatou monte à l'avant. Du square, un homme en train de jouer au football avec son fils lui fait signe. Il met quelques secondes avant de reconnaître Kader. Kader est un de ces arabes de France. Il est né et a grandi ici, a fondé une famille ici et travaille ici. Ils se sont rencontrés un lundi soir de juillet 2018 dans le centre-ville, il y a bientôt cinq ans. Kader était avec des SDF à célébrer encore la victoire de la France en huitième-finale de la coupe du monde de football. Max sortait d'aller voir le film Saint Paul au cinéma de la ville. C'est la Divine Providence qui t'envoie lui dit-il. Kader répond : "normal devant une église". Il lui raconte vite fait la situation de Fatou, amène la moi lundi à dix heures répond Kader. Il est éducateur à l'accueil de jour des SDF derrière la gare. Max avait prévu de le faire après avoir vu les assistantes sociales. Rendez-vous pris, il remonte dans sa voiture et part chez Charline. Charline les attend dans son fauteuil en regardant la messe de Lourdes sur KTO à la télévision. Il frappe rapidement à la porte et entre sans attendre une autorisation comme d'habitude. Charline dit bonjour à Fatou en Wolof. Cette dernière est surprise. Elle ne savait pas que Charline est noire et africaine. Max ne lui avait rien dit ni sur l'origine congolaise de son amie et de Matthieu. Chez Charline, Max s'appelle Mutombo. C'est sa famille qui l'a nommé ainsi. Un jour, Max Mutombo ira au Congo, mais pour l'instant, ils discutent et rient tous les deux pendant que Fatou est toujours plongée dans son smartphone comme tout le temps. Charline lui propose de se reposer sur le canapé où elle dormira le soir. Charline demande à Max si il peut aller lui faire quelques courses, notamment lui rapporter de la bière. Est-ce d'avoir été colonisé par la Belgique, les congolais sont de grands amateurs de bière. Fatou demande à ce qu'il lui rapporte une bouteille de vin rosé. Elle propose de lui donner de l'argent. Il refuse, une personne dans sa situation doit économiser son argent. Fatou est musulmane mais boit de l'alcool comme beaucoup de musulmans français. Métissage culturel des us et coutumes. N'oublions pas non plus que notamment l'Algérie est un pays producteur de vin comme d'autres pays musulmans. C'est d'Afrique du Nord que François 1er avait fait venir ceux à qui il avait confié ses vignes proches de Fontainebleau. Revenu de course, Fatou se précipite sur la bouteille rapportée par Max pour l'ouvrir et s'en servir un verre. Il connaît bien ce réflexe pour l'avoir vu si souvent faire par son ex-épouse alcoolique. L'heure est venue de rentrer chez lui où Marie-Claire, sa vieille amie, l'attend. Il lui avait envoyé un WhatsApp pour dire qu'il était chez Charline et pas à la médiathèque. Rentré, il lui raconte cette rencontre imprévue avant de reprendre le cours habituel de sa vie. 

 

Libération 

C'est dimanche, il est huit heures et Max déjeune d'un café noir et de ses habituelles tartines beurrées. Malgré le Carême, il n'a pas changé grand-chose à ses habitudes alimentaires. En surpoids important, il aurait pourtant bien besoin de jeûner. Il en profite pour juste manger un peu moins de sucre à cause notamment de son diabète. Pour vraiment maigrir, il lui faudrait une vraie motivation comme un nouveau grand amour. Sa vieille amie qui l'héberge n'est pas de celui-là, c'est juste une vieille tendresse commune qui ne lie ni l'un ni l'autre. Ils vivent l'un à côté de l'autre en frère et sœur. Dix heures approche, ça va bientôt être la messe, il doit y aller. On l'attend. Avant de passer la porte, il met dans sa poche un brassard noir marqué SÉCURITÉ CATHÉDRALE. Il est dix heures et quart, la cathédrale est presque pleine. C'est une messe des familles aujourd'hui. On approche de Pâques, les adolescents qui vont s'y faire baptiser en même temps que les adultes catéchumènes sont aux premiers rangs. Dans l'Église catholique, quand on n'a pas été baptisé bébé ou enfant sur la décision de ses parents, on peut le faire plus tard de sa propre volonté. La cathédrale va continuer de se remplir après le début de la messe comme toujours, elle sera pleine. Max met son brassard et affiche sur son smartphone les différents numéros d'appel de la police municipale, de la police nationale et de ses patrouilles. Il regarde si une personne pourrait représenter un risque pour la tranquillité de la cérémonie ou un danger. Sur quel critère ? Sur l'expérience. Il salue le prêtre qui va officier la messe. Il est malgache et vient d'arriver à l'été dernier. Il l'aime bien comme il apprécie la plupart des prêtres de la ville. Max et le recteur de la cathédrale se tutoient depuis l'arrivée de ce dernier, il y a trois ans. Ça s'est fait naturellement entre eux, comme si ils se connaissaient depuis toujours. Depuis, qu'il a été ordonné évêque auxiliaire, Max a dû s'habituer à l'appeler Monseigneur sans que ça ne change rien d'autre à leurs relations amicales. Avec l'évêque du diocèse, il a aussi de très bonnes relations mais plus distantes. Le vice-recteur de la cathédrale est polonais, ils se vouvoient. Max est bénévole et n'a aucun rôle précis à la cathédrale mais le vice-recteur n'hésite pas à l'appeler dès qu'il a besoin d'aide, comme pour surveiller le tournage d'un film à grand spectacle qui s'est déroulé dans la cathédrale durant un mois il y a un an. La messe approche de sa fin, la communion a été donnée et il surveille son smartphone. Un message de son ami Matthieu s'affiche : "on est partis, on arrive dans dix minutes". Il retire son brassard, reprend son sac-à-dos et s'en va. Il n'ouvrira pas les grandes portes à la fin de la messe comme d'habitude, ce n'est pas grave. Il s'arrête pour se soulager aux toilettes du jardin, l'après-midi va être long. Il est face au monument aux morts quand arrivent deux voitures. Matthieu est au volant de la première, il monte dans la seconde où se trouve le frère de Matthieu. Elle est conduite par une petite femme blanche à la retraite. Il s'assoit à l'arrière à côté d'une deuxième blanche également à la retraite. Ils ne sont pas nombreux à être blancs dans l'association de pèlerins. Ils sont encore moins à être blancs et français car, par exemple, sa voisine est espagnole. Les français les plus nombreux de l'association sont originaires des Antilles. Le plus grand nombre des membres vient de l'Afrique francophone et de l'île Maurice. Là où il vont, il va en être de même, toute l'assemblée sera à l'image de la composition de l'association dont les membres sont en presque totalité originaires d'autres continents. Il y aura cinq prêtres et un diacre, tous africains, pour animer cet après-midi spirituel de libération. L'association est à plusieurs cercles. Il y a le premier cercle d'une dizaine de personnes autour de Matthieu. Puis il y a le second cercle composé de celles et ceux qui viennent régulièrement en pèlerinage. Max y va quand il le peut, généralement, quand il est invité à conduire un des minibus. Pour les pèlerinages à l'étranger, il n'a pas les moyens de payer l'avion et l'hébergement. Le troisième et dernier cercle est composé des centaines de personnes qui viennent les après-midi de prières et d'adoration organisées dans Paris. Max ne se considère pas vraiment du premier cercle, pourtant Matthieu sait qu'il peut compter sur lui à tout moment, pour l'emmener à l'aéroport ou venir l'y chercher jour et nuit. Il lui demande aussi régulièrement d'aller chercher les livrets de prières chez l'imprimeur ou de réparer une statue abîmée, comme ce grand archange saint Michel arrivé d'Italie en plusieurs morceaux. Quand le téléphone sonne et que s'affiche le nom de Matthieu, Max sait que son ami a un besoin urgent de lui. Même si il râle au fond de lui-même, il ne lui dit jamais non. Si, le soir du Mercredi des Cendres de ce Carême qu'il avait passé au sanctuaire Sainte-Thérèse-de-Lisieux, quand Matthieu l'a appelé à vingt-trois heures pour l'emmener à trois heures du matin à Orly. C'est toi ou le taxi lui a-t-il dit. Max lui a répondu que ça sera le taxi en riant car Matthieu savait qu'il revenait de Normandie. Arrivé dans cette église d'une des portes de Paris, chacun, chacune se met immédiatement à sa tâche. Tous, toutes savent ce qu'ils ont à faire, ce n'est pas la première fois qu'ils participent à ces grandes messes. Dans une messe, surtout une grande messe et les cérémonies complexes comme cet après-midi du troisième dimanche de Carême, c'est toute une organisation où chacun, chacune a un rôle précis essentiel au bon déroulement. Les parisiens du premier cercle de l'association, arrivés plus tôt, ont installé le décor dès la fin de la messe dominicale. C'est Carême, période de pénitence, en plus de l'habituel blanc, la couleur est le violet. Il sera remplacé par le rouge à Pâques. Ils ont apporté les statues de saint Michel, saint Joseph, Notre-Dame du mont Carmel, patronne de l'association, une petite de Padré Pio. Il y a aussi un grand tableau en relief de saint Charbel, le grand saint du Liban et second patron de l'association. À côté, il y a un tableau de sainte Rafqa également du Liban. Matthieu a apporté avec lui un reliquaire de plusieurs saints du Liban, dont saint Charbel et sainte Rafqa, prêté par l'Éparchy maronite de France et d'Europe. Ce n'est pas la première fois, c'est presque devenu une habitude. L'association et l'Éparchy sont devenus très liés grâce à un prêtre libanais également prédicateur de l'Aide à l'Église en Détresse -AED- dans le monde. La présence régulière du reliquaire a nettement accru le nombre de participants aux cérémonies, obligeant Matthieu à devoir trouver des églises toujours plus grandes pour les accueillir. Cet après-midi, ce sont plus de quatre cents personnes qui sont présentes. Elles seront là silencieuses à prier, là à crier amen après les incantations du prêtre, à chanter religieusement ou en cœurs joyeux. On ne peut pas comprendre la force et la beauté de ces cérémonies à l'africaine sans les avoir vécues. Max prend dans sa poche de jean un petit étui en cuir blanc duquel il sort deux chapelets. L'un est un classique chapelet du Rosaire. Il vient du sanctuaire de l'Immaculée Conception de Santiago du Chili. Il lui a été offert par une presque amie, une amie virtuelle, danseuse professionnelle internationale. L'autre est un chapelet de sainte Philomène, sa sainte préférée dont il est dévot depuis 2014. Il l'a découverte en 2014, mais elle le connaissait depuis bien avant. On ne choisit pas ses saints et saintes, ce sont eux qui vous choisissent. Avec Matthieu, ils se sont connus en 2016. Ils allaient tous deux à la messe du midi, en semaine, dans le petit Carmel de la ville. Ils ne s'étaient jamais parlés, tout juste salués en se croisant. Quand Matthieu est à la messe, il est pénétré par Dieu et ne se laisse pas disperser. Il devait partir en pèlerinage à l'Annonciation à Lourdes avec un prêtre africain conduisant un deuxième minibus. Ce dernier dû annuler sa participation et la Vierge Marie lui a désigné ce blanc laïc pour le remplacer. Après s'être renseigné auprès d'amis communs, le premier jour du printemps, Matthieu a laissé un message à Max lui proposant de venir avec eux. Max hésitait à répondre positivement quand il a vu, sur son Twitter, une photo de la région de Lourdes prise de la station spatiale internationale par Thomas Pesquet. C'était un signe du Ciel qu'il devait accepter. Depuis, ils sont devenus amis et frères en Jésus-Christ. Cet après-midi, après avoir entouré sa main gauche de ses chapelets pour se protéger des démons, Max met un brassard orange vif marqué SÉCURITÉ. Cet après-midi, il n'est pas le seul à le porter, ils sont cinq, le frère de Matthieu, deux grands noirs costauds, un blanc de son âge habitué à faire la sécurité des matchs de football à Paris et lui. Contrairement à ce matin, il sait qu'il va y avoir de l'agitation. Matthieu le sait, les prêtres le savent, les autres membres de l'association le savent, toutes les personnes présentes ou presque le savent aussi. Tous et toutes sont là pour çà, c'est une messe de libération. Libération de quoi ? Libération du Mal ! Certains, certaines disent porter non seulement leurs péchés mais aussi les péchés de leurs parents, grands-parents et ancêtres. Ils sont ici pour s'en libérer, pour couper les liens. Il est quinze heures trente, la messe est terminée et un prêtre sort l'ostensoir du tabernacle avec le Saint-Sacrement à l'intérieur. Il va le porter au milieu de la foule des fidèles. Chacun, chacune va le regarder comme si ils regardaient Jésus-Christ dans les yeux. Ils se signent sur son passage, lui montrent des photos sur papier ou smartphone de proches dont ils désirent la guérison d'une maladie ou la libération du Mal. Certaines, certains commencent à trembler, d'autres s'agenouillent, d'autres encore pleurent. Un prêtre et le diacre le suivent et prient à haute voix en latin ou ordonne en français au Mal de s'éloigner. Dans le cœur de l'église, sur ses marches, à chaque micro de gauche et de droite, deux prêtres hurlent à tour de rôle des paroles menaçantes envers ceux et celles qui se laissent aller, qui ne sont pas de bons chrétiens, de bons catholiques. Ne vous étonnez pas d'être la proie du Mal, du Diable, de Lucifer, de Satan, leur crient-ils. C'est le Carême, faites pénitence, ajoutent-ils. Max, comme chaque fois qu'il est là, est derrière le prêtre qui tient le Saint-Sacrement ou devant. Il les protège, protège ce qu'il y a ici de plus sacré. Une première femme s'écroule entre les bancs aux paroles incantatoires du prêtre accompagnant. Elle s'agite et hurle. Max pousse les personnes autour et de la main appelle le frère de Matthieu et un autre au brassard SÉCURITÉ. Ils empoignent la femme, la soulèvent et l'emmènent à l'abri des regards dans la chapelle du fond fermée d'une porte pleine. Deux prêtres l'y attendent avec un autre costaud. Ils ont fait un cercle au sol avec du gros sel exorcisé. Ils ont une grosse bonbonne d'eau bénite et de l'huile du sanctuaire de Saint Michel, l'archange qui a vaincu Lucifer. Elle est la première mais pas la dernière à venir ici. Certaines arrivent en pleine crise, l'une est même écumante. On les assoit l'une après l'autre sur les bancs à attendre que les prêtres-exorcistes soient disponibles après avoir libéré, délivré du Mal celle d'avant. Malheureusement, la libération n'est pas toujours définitive. Comme pour un cancer, il y a parfois récidive et il faut un long traitement pour être définitivement libéré. Certaines sont déjà venues la dernière fois, il y a un mois. Il y a peu d'hommes qui viennent se faire exorciser. Pourquoi ? Ceux qui viennent, c'est pour une douleur quelque part dans leur corps. On leur impose de l'huile de saint Michel. C'est déjà arrivé à Max de se faire mettre de l'huile sur ses vieilles douleurs, mais c'était celle du Saint Sépulcre de Jérusalem. Ça l'a toujours soulagé même parfois guéri. A l'inverse, alors qu'il tenait le reliquaire des saints du Liban pour que chacun vienne l'embrasser, tel un couteau, une douleur a pénétré son côté comme la lance du légionnaire a transpercé le côté de Jésus-Christ. Il a porté durant des mois cette souffrance en sa chair. Elle était partie quand, adorant de nouveau le reliquaire, elle se réveilla pour plusieurs mois encore. Pourquoi ? Durant plus de deux heures, le Saint-Sacrement continue son périple faisant de nouvelles victimes. Il est dix-huit heures quand la cérémonie prend fin après l'imposition des mains des prêtres sur chaque fidèle. Certains, certaines crient à leur contact. L'après-midi n'est pas finie pour autant, il reste des personnes dans la chapelle avec les prêtres-exorcistes. Les autres prêtres ont quitté leurs vêtements de cérémonie et doivent accepter les nombreux témoignages d'admiration qu'ils reçoivent en remerciement avec des cadeaux personnels ou pour leur paroisse. Les costauds sont partis et Max reste le dernier auprès des prêtres pour assurer leur protection jusqu'à la fin. Les autres membres du premier cercle finissent de tout ranger et de passer l'aspirateur pendant ce temps. Il est vingt heures quand Max rentre chez sa vieille amie qui dort déjà. 

 

Révélation 

Lundi matin est arrivé, le weekend est terminé, tout rouvre, sauf les boutiques du centre-ville dont c'est le jour de fermeture habituel. Max s'est levé à huit heures et quart, Marie-Claire s'est levée plusieurs heures avant comme d'habitude. Elle se couche plus tôt, généralement entre vingt heures trente et vingt et une heure, se levant bien avant le soleil, hiver comme été. Il prend son café et ses tartines beurrées en regardant Télématin comme chaque jour. À neuf heures, il passera sur BFMTV et, aujourd'hui, à neuf heures trente, il partira chez son amie Charline chercher Fatou. Ils ont rendez-vous à dix heures avec Kader à l'accueil de jour des SDF. L'objet du rendez-vous est de faire prendre en charge Fatou pour qu'elle puisse dormir dans un hébergement d'urgence dès ce soir. Ici, on ne laisse pas une femme seule à la rue, sauf si elle le veut. Comment peut-on vouloir être ou rester à la rue ? Parce que les foyers ne sont pas des lieux d'une grande convivialité. Parce qu'avant d'accéder à un appartement pour soi tout seul, il faut suivre un parcours qui va durer plusieurs mois, voire plus d'un an, même plusieurs années parfois. On n'est pas toujours responsable de se retrouver à la rue et une fois que l'on y est, il est toujours difficile de s'en sortir. On ne s'en sort jamais seul. Il faut que d'autres vous tendent la main, particuliers, associations, services de l'État, du département, de la commune. Même quand on vous tend la main, il vous est parfois difficile de la saisir. On en saisit une, deux et la troisième glisse, vous échappe. Chaque main tendue a ses règles, des règles que l'on doit respecter. Les marges de négociation sont minces, on doit accepter un système, s'y soumettre ou retourner à la rue. Il le sait. Max n'a jamais accepté les foyers collectifs. Des associations lui ont tendu la main, toujours avec une échéance et comme à l'échéance la solution était toujours le foyer, alors il a fini à la rue. Il n'était pas que SDF, il était Sans-Abri. Il a connu les nuits à dormir seul dans la rue, sur un banc en bois ou en pierre, sur le devant d'un traîteur italien d'une rue piétonne, dans un fossé du grand parc près de la gare, entre une ligne de chemin-de-fer et la route caché dans les bosquets, sous un pont à côté d'une bruyante écluse de chasse avec un copain, seul dans les bois ou dans un cimetière, ou encore au pied de la Vierge Marie au milieu des champs. Non seulement il sait les difficultés de vivre à la rue mais aussi sa violence et combien il faut être fort pour y survivre et s'y faire respecter. Ne croyez pas que toutes ces personnes que vous voyez faire la manche dans la rue sont faibles, au contraire, elles sont très fortes. Le destin leur a fait vivre dans un autre monde que le vôtre mais pas si éloigné que ça. C'est pourquoi, très rares sont les femmes qui restent à la rue. Pas qu'elles sont moins fortes que les hommes, juste qu'elles sont des proies faciles pour beaucoup de prédateurs de toutes sortes. Pour une belle fille comme Fatou, le risque est d'être prise dans un réseau de prostitution dont elle ne sortira peut-être jamais vivante comme d'autres. Max le sait et c'est pour ça qu'il lui a tendu la main samedi pour l'aider à se relever et qu'il va faire son possible pour l'aider à sortir de la rue. C'est pour cette raison qu'il vient d'arriver chez Charline. Alors qu'il pensait repartir immédiatement voir Kader, Fatou est encore couchée pas encore habillée. Il est en colère contre son amie. C'est elle qui aurait dû la faire se lever et s'habiller. Derrière lui, entre le frère de Matthieu. Il attendait son bus pour le centre-ville alors Max lui a proposé de l'emmener. Lui n'est pas spécialement pressé. Le monde dans lequel vit ce bon samaritain de Max est bien éloigné de celui dans lequel il vivait dans sa vie d'avant. C'était celui de la banque où le temps c'est de l'argent et où toute faute ou erreur à un prix, un prix à payer. Dans ce nouveau monde, le temps n'a plus de prix d'argent. S'il a un prix, c'est celui de la vie, or ici la vie, si pour certains elle n'a pas de prix, pour d'autres, dans leur quotidien, elle a le prix qu'on lui donnent, d'une pièce, d'un billet, d'un sandwich, d'un peu de son temps. Et quand c'est la vie d'autres, on ne lui donne pas forcément beaucoup d'importance, moins qu'à la nôtre, qu'à celle de nos proches, de ceux et celles que l'on porte dans notre cœur. Plus on a souffert, réellement souffert, plus on sait qu'il ne faut pas trop s'attacher aux choses de la vie. Combien de fois, Max a vu de ses frères et sœurs de la rue ne pas aller à un rendez-vous important pour les aider à avoir des papiers administratifs qui vont leur ouvrir une aide. On s'habitue à sa vie quelle qu'elle soit, même quand elle paraît effroyable aux yeux des autres, de ces autres que l'on dit normaux. Il est dix heures trente quand ils arrivent à l'accueil de jour. Ils sont en retard, Kader n'est plus là, il est à l'extérieur. Max explique la situation à l'éducatrice présente, une jolie jeune femme africaine qui a sûrement grandi en France à son manque total d'accent. Les deux autres éducatrices sont en rendez-vous, elles en ont pour près d'une heure. Elle leur propose de s'asseoir et un café. Charline est venue avec eux. Elle dit avoir besoin d'aller à la banque mais c'est plus par curiosité. Elle veut voir cet accueil de jour dont son ami lui a tant de fois parlé. Celui-là est nouveau. Max allait dans l'ancien, un pavillon le long de la Marne. Il est fait de containers verts en métal empilés les uns sur les autres comme pour les chantiers. L'intérieur est propre, les murs recouverts de bois aggloméré de type OSB. Chaque container est coupé en deux sur sa largeur par des parois en plaques de plâtre. D'un côté ce sont les espaces collectifs, de l'autre les espaces techniques comme la cuisine, la douche et les toilettes. Il y a aussi des vestiaires en métal bleu. Au bout, il y a un escalier aussi en métal qui monte. Au premier étage, il y a des bureaux et des petites salles pour les entretiens et un autre escalier pour aller à l'étage où sont les hébergements où dorment les femmes. Ce n'est pas vraiment un foyer comme celui de l'autre côté de la ville où est allée Fatou il y a une semaine arrivant de Nantes, a-t-elle dit. Avant de retourner au Sénégal, Fatou, avait été prise en charge en Seine-Saint-Denis, c'est pourquoi le 115 de Seine-et-Marne lui a dit d'y retourner au bout des deux semaines qu'elle venait de passer ici. A chaque département de s'occuper de ses pauvres. Kader allait-il pouvoir faire quelque chose pour elle ? Rien n'est moins sûr. Le temps passe et les éducatrices redescendent. Il en connaît une, Christiane. Elle était dans l'accueil du pavillon. Elle s'occupe essentiellement des repas du matin et du midi ainsi que des machines-à-laver et des douches. Kader arrive au même moment. Il invite Fatou à monter avec lui et demande à son bon samaritain de les accompagner. Max est surpris, il ne s'y attendait pas. Faut dire qu'ils se connaissent bien. Ça montre la confiance qu'il a en lui. Depuis plusieurs années, Max voudrait devenir éducateur mais il n'arrive pas à trouver même un stage gratuit. Pourtant, il paraît que l'on manque de personnel dans le secteur. A la fin de l'année dernière, il avait réussi à être accepté dans une formation en alternance mais il n'est pas arrivé à trouver un employeur. L'un d'eux a été plus honnête que les autres et lui a dit qu'il est trop vieux à soixante ans. Phrase qui interroge alors que le Gouvernement a fait voter une loi pour passer l'âge légal de départ à la retraite de soixante-deux à soixante-quatre ans. Max a commencé à travailler à seize ans, dans la banque, mais ayant une carrière hachée, il devra attendre soixante-sept ans pour avoir le taux plein. Avant cet âge, sa pension de retraite serait gravement amputée. Les carrières hachées ne concernent pas seulement les femmes, surtout après ces décennies de chômage de masse. Kader écoute Fatou raconter des bribes de sa vie. Elle est arrivée en France à dix-neuf ans, il y a plus de vingt ans. Elle a suivi des études d'hôtellerie, puis a passé un Master en finance et ressources humaines. Elle a une fille de huit ans née en France, sa carte de séjour est périmée mais elle n'est pas expulsable pour cette raison. Comme elle ne peut pas s'en occuper, elle est chez sa belle-sœur. Tout çà, Max le sait déjà et facilite la fluidité de l'entretien. Kader s'inquiète de la santé de Fatou, si elle a l'AME, l'Aide Médicale d'État. Elle ne l'a pas mais n'a pas de problème de santé, dit-elle. Kader lui explique que demain est le jour des roulements. Des femmes là depuis deux semaines vont partir. Dix places vont se libérer. Elle doit s'inscrire au 115 aujourd'hui et confirmer demain matin à sept heures trente. Une amie de Charline est la responsable du 115 et de l'hébergement d'urgence du secteur. Elle ne peut rien faire pour l'instant mais pourra appuyer un dossier SIAO plus tard. Kader lui donne une attestation pour ouvrir une boîte-à-lettre dans une association où Max a aussi encore la sienne. Ils y iront cet après-midi. Il lui donne une autre feuille avec les différentes coordonnées des bureaux parisiens de la CIMADE pour l'aider dans toutes ses démarches. L'objectif de Fatou est de récupérer sa fille et de retourner au Sénégal. Elle n'a vécu que trois ans avec son père, un africain français comme elle dit. Il n'a pas reconnu sa fille et a refusé de s'en occuper depuis que Fatou a des problèmes. Ils y iront dans la semaine ou la semaine prochaine. L'entretien fini, ils retournent chez Charline où Max la laisse. Il va revenir à quatorze heures pour aller ouvrir la boîte-à-lettre. Il rentre chez lui se reposer un peu et s'occuper de son amie logeuse qui ne peut pas rester seule, qui a besoin d'une aide permanente pour faire à manger et entretenir son appartement. Demain, il l'emmènera voir sa mère de quatre-vingts-onze ans à Orléans dans l'EHPAD où elle est. Il y a un an, après plusieurs AVC et un Covid, Marie-Claire l'avait fait venir de chez elle, où elle ne pouvait plus rester seule, dans l'EHPAD de la ville. Étant à dix minutes à pied, elle allait la voir presque chaque jour et lui téléphonait quand elle n'y allait pas. À Orléans, quand elle était encore chez elle, elle lui téléphonait au même rythme. A chaque fois qu'elle a fait un malaise, c'est Marie-Claire qui a appelé les secours n'ayant pas de ses nouvelles. Sa mère est une femme infecte, souriante quand elle a besoin de vous et dénigrant tout le monde dès qu'on a le dos tourné. Elle est pareille avec sa fille unique qui lui reste attachée et dévouée malgré tout. De retour chez Charline, Max discute avec son amie pour s'assurer qu'elle accepte d'accueillir Fatou une nuit de plus. Elle n'en a pas envie, mais ne dit pas non. Elle dit qu'elle doit aller en Belgique. Il lui répond qu'elle n'est pas pressée, que ça peut attendre un jour ou deux. Elle n'a même pas réservé son billet de train. Ils se quittent sur ça. Il connaît bien Charline, elle a son caractère et peut parfois mettre de la mauvaise volonté. Elle est à la fois accueillante et égoïste. Il ne dirait pas d'elle qu'elle est généreuse. Ils se sont connus il y a sept ans lors d'un pèlerinage organisé par Matthieu. Durant sa période de vie à la rue, Max a plusieurs fois mangé chez elle mais n'y a jamais dormi bien qu'elle ait la place. Il se souvient de ce samedi d'août où il avait passé la journée chez elle avec ses enfants et ses amis pour une grande fête. Le soir, il était reparti avec ses sacs dormir à cinq cents mètres de chez elle au pied du monument anglais de la guerre de 14-18, pour revenir le lendemain matin l'emmener au marché avec sa fille. Charline ne conduit pas. Le dimanche soir, c'était au pied de la Vierge, après deux heures de marche à travers champs qu'il avait dormi. Fatou ne veut pas ouvrir cette domiciliation. Elle dit que ça ne sert à rien, qu'elle ne reçoit pas de courrier. Lui en sait l'importance. C'est son adresse officielle qu'il écrit sur tous ses documents depuis son expulsion de sa maison, le jour de la Nativité de la Vierge Marie, il y a six ans. Pour exister administrativement, on est obligé d'avoir une adresse en France. Dans cette association, tous les SDF, tous les migrants, toutes les mères isolées sans logement propre y ont leur adresse, qu'ils soient hébergés en foyer ou en colocation temporaire. Elle doit l'ouvrir ! Le petit animal fatigué, presque craintif, qu'elle était jusqu'à présent, a disparu. Elle se rebelle et le ton monte. Tu n'as pas à me dire ce que je dois faire, lui crie-t-elle alors qu'il vient de se garer. Je connais les hébergements, ça ne sert à rien, ajoute-t-elle. Les éducateurs comme les assistantes sociales remplissent des papiers comme lui ce matin, ils y mettent ce qu'ils veulent, disent n'importe quoi et après on est jeté dehors, affirme-t-elle. Max est effaré, il ne comprend pas ce qui se passe. Ils sont sortis de la voiture, il essaie de la calmer, de la raisonner. Fatou lui dit qu'il est tard, que sa fille sort de l'école à seize heures trente, qu'elle sera en retard pour la voir. A aucun moment, ils n'avaient parlé d'aller voir sa fille aujourd'hui. Elle ne le lui avait pas demandé. Bien sûr qu'il pensait l'emmener la voir mais après qu'elle ait appelé sa belle-sœur pour la prévenir. Fatou s'énerve de plus en plus. Elle lui dit de l'emmener à la gare pour qu'elle prenne le train avec ses bagages, qu'elle ira à la mairie du village où est sa fille, qu'ils lui trouveront un hébergement. Il tente une fois de plus de la raisonner en lui expliquant que ça ne se passe pas ainsi, qu'il faut qu'elle reste ici où elle pourra dormir à l'abri pour deux semaines dès demain, qu'ils iront voir sa fille mercredi. Elle s'énerve de plus en plus et devient agressive. Il a deux solutions : tout arrêter immédiatement et la déposer à la gare ou accéder à sa demande de voir sa fille pour la calmer. Après tout, il n'y a pas d'urgence à ouvrir cette boîte-à-lettre. Si il la laisse partir, tout ce qu'il a fait jusqu'à présent n'aura servi à rien et il ne l'aura sauvée de rien. C'est le Carême, c'est elle qui est en détresse, c'est à lui de s'adapter, de faire des efforts. Il comprend son besoin de voir sa fille alors qu'elle est à quinze minutes d'elle et qu'elle ne l'a pas vue depuis un an. Il accède à sa demande, programme le GPS et démarre la voiture. Un quart d'heure plus tard, ils sont dans le village, il est vraiment très petit. D'y voir une gare est presque surprenant en ces temps de restriction budgétaire ferroviaire. L'école en est à quelques dizaines de mètres accolée à la mairie. Quelques dizaines de mètres plus loin un café fait l'angle de la bien nommée rue de la gare et de l'unique rue principale du village. Ils laissent la voiture sur le parking d'en face en terre et entrent dans le café. C'est un bar-tabac classique comme il en existe des milliers à travers la France des villages. Il fait également PMU et FDJ et vend quelques journaux et magazines. Inutile de chercher la presse internationale, c'est plutôt la presse locale, voire très locale. Il y a quatre petites tables de quatre ou de deux le long de la vitrine et deux écrans de télévision accrochés au fond de la salle. Celui de gauche diffuse en direct les course hippiques, celui de droite les tirages de chiffres bleus et jaunes qui s'affichent aléatoirement sur une grille rouge. On en est au tirage 145. Le patron est un métisse chinois à l'allure sympathique. A droite, côté tabac et jeux, entre le comptoir et la presse, il y a un petit oratoire shintoïste posé par terre. Le patron est derrière de grandes plaques transparentes, héritage des restrictions de contacts humains imposées par le Gouvernement durant la période d'épidémie de Covid dont on sort à peine. Max prend un Perrier pendant que Fatou commande un verre de vin blanc. Elle lui propose de payer, il refuse. Il est moins dix, sa fille sort de l'école dans quarante minutes. Elle lui dit qu'elle y ira toute seule, qu'elle veut juste la voir de loin, pas lui parler. Il acquiesce. Il ne comprend pas cette distance après avoir fait tout ce cirque pour venir la voir. Qu'est-ce que ça peut bien cacher ? Il regarde silencieusement Fatou plongée une fois de plus dans son smartphone. Elle va sur Facebook et envoie des messages. A qui ? Dans la voiture, elle a appelé quelqu'un. Il ne sait pas ce qu'ils se sont dit, elle parlait wolof. Il lui redit qu'elle va dormir chez Charline ce soir et que demain matin, il faudra appeler le 115 dès sept heures trente, que c'est très important. Fatou lui répond que Charline ne veut pas d'elle. Une fois de plus, il ne comprend pas ou plutôt il commence à comprendre la réticence de son amie. Que s'est-il passé ? Elle lui dit qu'elle a voulu faire cuire du riz hier soir et qu'elle l'a fait brûler parce qu'elle ne connaît pas la cuisinière de Charline. Pourquoi pas, mais de là à ce que ça pousse Charline à ne plus vouloir d'elle… Il a dû se passer quelque chose d'autre. Il appelle Charline pour savoir si elle va encore l'accueillir ce soir. La réponse est fermement négative, il a Fatou sur les bras pour ce soir. Elle lui redit qu'elle va aller à la mairie, qu'ils vont lui trouver un lieu pour dormir. Pourquoi ne va-t-elle pas chez sa belle-sœur ? Il répète que ça ne marche pas comme ça. Il envoie alors un message à Marie-Claire pour lui demander son accord pour que Fatou dorme chez eux. Elles dormiront toutes deux dans le lit et lui sur le canapé. Elle est d'accord. Max a l'impression de s'être fait piéger et il n'aime pas ça du tout. Jusqu'à présent, il avait toujours été très prudent avec tous ceux et celles de la rue. Personne n'a son numéro de téléphone. Il a toujours donné que des rendez-vous à l'extérieur, très rare qui sait où il habite précisément. Elle va au comptoir acheter du crédit Internet pour son smartphone et commande un deuxième verre de vin blanc qu'elle paie. Cette commande ne fait rien pour le rassurer. Il est bientôt seize heures trente, Fatou part à l'école laissant son verre à moitié vidé. Elle lui demande de l'attendre. Il n'a pas vraiment le choix. Elle s'est en partie changée dans la voiture quand ils sont arrivés. Elle a échangé ses bottines contre des chaussures à talons-aiguilles et a retiré son gros manteau qui cachait un blouson rose en fausse laine moutonneuse. Elle a une jupe fine blanche façon guépard ou léopard. Elle a ainsi une certaine élégance bien loin de l'aspect qu'elle avait samedi quand il l'a rencontrée assise par terre. Ce n'est plus la même Fatou ! Un quart d'heure passe sans qu'elle revienne. Il se lève et commence à marcher dans le café. Il regarde à travers la vitre mais il n'aperçoit pas l'école d'où il est, il faudrait qu'il sorte. Les quelques clients discutent des courses et du jeu de la grille rouge. L'un dit qu'il lui faudrait une grosse côte pour se refaire de ce qu'il a perdu depuis le début du mois aux courses. Des ouvriers, apparemment de la ville, se demandent s'ils vont jouer à la grille rouge. Ils regardent les tirages s'enchaîner et voient des chiffres qu'ils auraient pu jouer sortir. Ils se décident à faire une grille et perdent. Ils finissent leur bière et sortent. Derrière lui, une jolie jeune femme habillée d'un jean moulant neuf s'écrie qu'elle a gagné cinq euros. A côté d'elle, un homme lui dit que si elle avait misé dix euros, elle aurait gagné cinquante euros. Ça fait une demie-heure que Fatou est partie. La sortie de l'école est terminée, que fait-elle ? Il demande au patron s'il peut laisser cinq minutes ses affaires et le verre à moitié bu qui accepte sans problème. Il ne reste que trois piliers de comptoir qui ne s'assayent jamais, il n'a pas vraiment besoin de la table. Il sort et s'approche prudemment de l'école sur le trottoir d'en face. Il voit Fatou parlant en agitant les bras face à un grand homme blanc qui reste immobile. Qui est-ce ? Que se disent-ils ? Il retourne au café pour l'attendre. Un quart d'heure plus tard, elle revient énervée. Elle s'assoit et commence à crier. Max l'appelle à baisser d'un ton, qu'il y a du monde autour. Elle s'exécute à peine continuant à enchaîner des propos qu'il ne comprend pas. Elle lui dit que sa fille l'a vue et qu'elle a dit à la directrice : "Maman est là". Il comprend que c'est à ce moment-là que ça a dégénéré et commence à comprendre pourquoi. Fatou n'avait pas à être là ! Il a de plus en plus l'impression d'avoir été manipulé. L'homme avec qui tu étais est blanc, c'est le mari de ta belle-sœur ? Elle lui répond que oui. Tout çà est incohérent. Elle continue de parler fort, autour d'eux les clients sont clairement gênés. Ici, c'est un petit village tranquille, un bar tranquille, que vient-elle faire à semer le désordre semblent-ils penser. Les regards qu'ils échangent avec Max semblent dire : mon pauvre vieux, tu t'es fait avoir. Comme lui dirait ses amis congolais : "tu es tombé sur la sorcière du village". Elle finit son verre de vin blanc et en commande un autre. Il lui dit que c'est le dernier, qu'il a à faire chez lui qu'ils doivent rentrer. Elle est toujours agressive, lui redisant qu'il n'a pas à lui dire ce qu'elle doit faire, de partir et de la laisser ici. Ce n'est pas l'envie qui lui manque de le faire, mais il n'en n'est pas question. Il a promis de s'occuper d'elle jusqu'à demain, il tiendra parole quoi qu'il lui en coûte. Il essaie de la calmer tout en faisant en sorte qu'elle finisse son verre afin qu'ils partent. Le téléphone de Fatou sonne, c'est la gendarmerie ! Il entend la conversation, elle n'a pas le droit de venir voir sa fille. Elle n'est pas chez sa belle-sœur, elle est dans une famille d'accueil, placée par une juge. Fatou s'emporte encore plus et hurle qu'elle n'en a rien à faire de la juge, qu'elle va reprendre sa fille et l'emmener au Sénégal. Le gendarme reste très calme et tente d'en placer une au milieu des vociférations de Fatou. Il finit par lui dire que si elle revient, ils l'emmèneront à l'hôpital. C'est un autre visage de Fatou qui se dessine, celui d'une femme agressive à l'équilibre mental perturbé. A-t-elle déjà été en hôpital psychiatrique pour que le gendarme la menace de l'hospitaliser et pas de l'arrêter ? Max le pense. Que va-t-il faire maintenant. La stratégie de communication avec une personne au bord de la crise de nerf, en partie alcoolisée, n'est plus la même qu'avec une personne équilibrée accessible à la raison. Communication terminée, il la laisse continuer de parler. Elle n'a plus de retenue et la vérité commence à apparaître. Son projet est bien d'emmener sa fille mais apparemment contre la volonté de l'enfant. Il est clair que c'est elle qui a alerté sur sa souffrance à vivre auprès de sa mère. Fatou dit : "tu te rends compte que la chair de mes entrailles s'est plaint auprès de la directrice parce que je suis venue la voir". Présenté ainsi, emmener sa fille au Sénégal s'apparente plus à un enlèvement qu'à un voyage familial, d'où l'interdiction d'approcher de sa fille. Max s'est bien fait piéger par Fatou et elle a menti à Kader le matin même. Il essaie tout de même de lui faire entendre raison, que si elle veut voir sa fille, l'approcher, elle doit accepter les règles d'un autre système, celui de l'Aide Sociale à l'Enfance -ASE- sous-entendu en danger… La victime vient de changer, ce n'est plus Fatou, c'est sa fille ! Doit-il pour autant la juger et la condamner ? Il est chrétien et ce n'est pas non plus dans son caractère. Il connaît trop la faiblesse de la nature humaine. Il ne sait pas ce qu'a pû vivre Fatou. Il ne sait pas d'où lui vient cet argent alors qu'elle n'a pas de revenus. Comment l'a-t-elle obtenu ? Qu'a-t-elle fait, dû subir pour l'avoir ? Il ne le sait pas et ne veut pas le savoir pour ne pas avoir à la juger aussi sur çà. Elle a fini son troisième verre de vin blanc et ils repartent. Elle continue de parler et encore parler sans s'arrêter. Lui a décidé d'adopter le silence jusqu'à ce qu'elle se soit calmée. Durant le chemin retour, elle entre aussi en silence. Arriver à l'appartement, il met les choses au point, il est hors de question qu'elle importune Marie-Claire avec ses histoires, elle est fragile. Sinon, il la met dehors quelque soit l'heure. Demain, ils appeleront le 115 et il l'amènera à l'accueil de jour qu'elle ait obtenu ou pas un hébergement. Il n'est pas fier de ce qu'il lui dit mais charité bien ordonnée commence par soi-même et il n'aime pas du tout la Fatou qu'il vient de découvrir. Ils entrent comme si rien ne s'était passé, il dira tout à Marie-Claire demain quand Fatou sera partie. Il a retrouvé la Fatou de samedi, calme et douce. Elle s'assoit sur le canapé à côté de la propriétaire des lieux, lui sur une chaise. Avec Marie-Claire, ils regardent N'oubliez pas les paroles puis basculent la télévision sur Quotidien avant de servir à manger. Fatou est toujours plongée dans son smartphone. Il reste de la brandade de morue qu'il a fait lui-même. Il la partage en trois et ajoute de la salade. Entre deux bouchées, Fatou reste silencieuse toujours et encore plongée dans son smartphone. En dessert, ce sont des fromages blancs. Comme à son habitude, Marie-Claire va se coucher vingt-et-une heures arrivé. Il reste seul avec Fatou et va s'asseoir à côté d'elle, une grande couverture grise en polaire roulée en boule entre eux. Fatou ne décolle pas de son smartphone. Max regarde Avenir sur TF1 avec Kev Adams, ce sont les deux derniers épisodes. Elle téléphone à quelqu'un et parle Wolof une fois de plus. Il ne comprend rien et ça l'énerve. Que magouille-t-elle ? Il le lui demande, elle répond que c'est un avocat. A vingt-deux heures, lui lance-t-il. Arrête et va te coucher, ajoute-t-il. Elle reste assise à côté de lui s'endormant à moitié. Il la regarde, elle est jolie, bien faite, qu'elle tristesse que tout çà. Le téléphone vibre, elle lui dit que c'est la petite. Il lui déconseille de répondre après ce qui s'est passé cet après-midi. Elle se rendort. Était-ce vrai ? Qu'est-ce qui est vrai dans tout ce que Fatou a dit depuis qu'ils se sont rencontrés ? A-t-elle vraiment fait des études d'hôtellerie à côté, ou se renseignant sur où est sa fille, elle a vu le lycée et s'est inventé une vie. A-t-elle vraiment un Master en finance et ressources humaines ? Max, oui ! Quand il parlait avec Marie-Claire ce soir, dès qu'ils citaient un lieu, elle le connaissait. Ici, elle est allée au lycée. Là, elle a une cousine. Là-bas, elle a une tante. La seule chose qui a pu ressembler enfin à de la vérité, c'est quand elle a dit avoir été ASH dans un ESAT. Qu'aurait dit le Docteur House d'elle ? Aurait-il détecté ses mensonges avant Max ? Tout le monde ment ! Fatou finit par aller se coucher au moment du premier voyage de la nuit de Marie-Claire au frigo pour des yaourts. Max reste seul, éteint la lumière du séjour, met un épisode de Dix pour cent en vidéo à la demande. Il en regardera deux avant de s'endormir. 

 

Séparation 

Il est sept heures, le smartphone de Max sonne. Marie-Claire est déjà debout depuis plusieurs heures. Comme d'habitude, elle a préparé du café et en a bu la moitié de la cafetière. Il prend le reste et refait une cafetière, aujourd'hui, ils sont trois. A sept heures et quart, il réveille Fatou. Elle est complètement recouverte de la couette jusqu'à la tête. Cinq minutes plus tard, elle arrive et s'assoit sur le canapé. Comme hier, Max est assis sur une chaise à la table. Avec tout ça, il n'a pas acheté de pain. Il sort des galettes Saint-Michel. Fatou demande du sucre. Eux n'en prennent pas, il lui apporte un paquet de sucre en poudre et une cuillère. L'ambiance est plutôt tendue. Il a informé Marie-Claire de la nouvelle situation. Il lui a assuré que, hébergement ou pas, elle part ce matin. Il est sept heures trente, Max appelle le 115. Hier après-midi, il avait mis une heure et demie avant de l'avoir. Il espère que ça va être plus rapide ce matin. Il met le haut-parleur et une voix répète inlassablement qu'un travailleur social va prendre la communication. Cinq minutes, dix minutes, vingt minutes, trente minutes, la voix l'invite à rappeler plus tard. Il raccroche et rappelle aussitôt. Cinq minutes, dix minutes, vingt minutes, il commence à craindre que les dix places de l'accueil de jour ne soient déjà prises. Dix places ce n'est pas beaucoup. Combien de personnes ont-elles déjà appelé le 115 ? Peut-être aurait-il dû appeler à sept heures vingt-cinq. Trente minutes et la voix l'invite de nouveau à rappeler plus tard. Il raccroche et rappelle sans plus vraiment y croire. Pourtant, hier, Kader donnait l'impression d'être sûr de lui en disant qu'elle aurait une place. Mais depuis, tellement de choses ont changé qu'il ne sait plus quoi croire. C'est le Carême, il avait cette raison pour aider cette inconnue et il s'est fait piéger. Là où est Dieu, le Diable n'est jamais bien loin… L'aurait-il fait à une autre période de l'année ? Une chose est sûre, il ne le refera pas avant longtemps. Hier, pendant qu'il attendait Fatou, celui qui lui avait préféré une jeune parce qu'il était trop vieux pour cette formation d'éducateur spécialisé en alternance, selon lui, l'avait appelé pour savoir si il était toujours disponible. Fragile, Cassandra n'a pas tenu le choc sous la double pression d'un travail difficile avec des handicapés âgés et une formation exigeante et vient de partir. Non, je suis sur un autre projet professionnel avait-il répondu. A l'humain menteur et versatile, Max préfère la mécanique complexe mais vraie des machines informatiques. Il demande à Fatou et à Marie-Claire d'appeler avec leur smartphone pour augmenter leurs chances. Fatou lui annonce qu'elle veut aller à Besançon. Étonné de cette nouvelle destination, il lui demande pourquoi. J'ai de la famille là-bas répond-elle. Et on t'attend, lui dit-il. Il ne croit pas un mot de tout ça mais après tout ça la regarde. Ils doivent partir à dix heures à Orléans et il la déposera avant à l'accueil de jour ou à la gare si elle le préfère. Elle lui demande de pouvoir prendre une douche. Il lui donne un gant-de-toilette et une serviette pendant qu'elle commence à se déshabiller devant lui. Il sort et ferme la porte. Marie-Claire et lui raccrochent, seul reste en communication avec le 115 celui de Fatou d'où sort la voix répétant inlassablement qu'un travailleur social va prendre la communication. Il regarde le temps d'appel déjà passé, vingt minutes. Il va dans la chambre s'habiller. Marie-Claire lui dit qu'elle va aller chercher des fleurs pour mettre sur la tombe de son père à Orléans tout à l'heure. Dans la salle-de-bain, on entend le bruit de la douche. Toutes les affaires de Fatou sont dans la voiture, elle devra remettre les mêmes, culotte comprise. Il regarde le smartphone, il reste cinq minutes avant que la voix l'invite une dernière fois à rappeler plus tard. Il s'assoit à la table et change de chaîne passant de Télématin à BFMTV. Bruce Toussaint annonce que Pierre Palmade reste en liberté surveillée avec interdiction de quitter l'hôpital quand une voix humaine dit dans le smartphone : allô, je vous écoute ! 

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