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Lettre d'Israël pour un Juste

Souvenir d'une lettre d'Israël pour un Juste silencieux

En recherche généalogique sur le Net, je tape, une fois de plus, les noms et prénoms familiaux d'hier et d'aujourd'hui. A celui de Clément, mon grand-père, pour la première fois, Google affiche une série de liens. Mieux, à la deuxième ligne apparaît celui de ma grand-mère Jeanne. Tous ces liens renvoient vers le site l'AJPN, une association qui tente de recenser ceux qui sont appelés les Justes parmi les nations. Ils sont ces personnes qui aidèrent à sauver des juifs, hommes, femmes, enfants, français ou étrangers de la cruauté nazie. En cette année 2012, Clément et Jeanne viennent d'y être inscrit. Je le savais depuis peu. Depuis un soir d'août 2001. Ce soir-là, comme beaucoup de vacanciers de retour, nous avions une pile de lettres qui nous attendaient sur la table, gentiment déposées par une voisine. L'une d'entre elles venait d'Israël, adressée à mon épouse. Travaillant sur le Moyen-Orient, nous étions à peine étonnés. Sans doute un collègue de là-bas qui lui écrivait. Ouverte et lue, elle revient vers moi et me la tend l'air grave en disant: " Cette lettre est pour toi."

 

Pourquoi une lettre pour moi était adressée à mon épouse ? Parce que cette lettre n'était ni pour elle, ni pour moi, elle était pour mon père. L'expéditeur, au hasard de l'annuaire téléphonique, a trouvé le nom de mon épouse, dans une ville éloignée, mais pas tant que çà, d'où il a vécu le début de sa vie. Alors comme une bouteille jetée à la mer, il a écrit une lettre et l'a envoyée à quelqu'un, qu'il l'espèrait, allait l'aider à retrouver celui qu'il cherchait. Miracle de la vie, malgré le double nom d'une femme mariée dans une autre ville, il avait envoyé sa lettre au bon endroit. Dedans, j'y apprenais l'existence d'un enfant, lui, qu'auraient hébergé durant les années noires mes grands-parents. Ignorant cela, je le crois à peine. Le lieu et les prénoms sont justes, il s'agit bien d'eux. Bousculé d'apprendre l'existence de ce secret de famille, je range la lettre, le temps d'espérer comprendre.

 

Au cours d'un diner familial, quelques semaines plus tard, j'en parle à mon père. En effet, il se rappelle d'un petit Samy. Mais, il a juste passé quelques mois, rien de bien important. Ces quelques mois étaient en vérité des années. Ma mère, hémiplégique et s'exprimant avec difficulté, le savait et parla aussi d'une autre personne, une fille témoin de leur mariage. Nous nous mettons d'accord, il lui répondra dans quelques semaines. Chez nous, le temps n'est jamais pressé, surtout avec mon père, cet homme souvent taiseux et aux gestes lents. Malheureusement, la vie ne lui en a pas laissé le loisir avant que ne sonne son glas. Jamais nous n'écrirons ensemble cette lettre. Jamais je ne saurais pourquoi, pourquoi ils n'ont jamais rien dit. Comme eux, des milliers de personnes ne dirent jamais rien. Sans une lettre venue d'ailleurs, jamais leur famille ne saura. Dans un documentaire sur un survivant de la Shoah, un homme dit : on n'a pas envie d'en parler, on veut oublier l'inoubliable.

 

On pense comprendre ce silence pour ceux qui on subit la déportation, mais pour ceux qui ont sauvé ceux qu'ils pouvaient, pourquoi se taire ? Trou noir dans une mémoire familiale pour une période noire, comprendrons-nous un jour ce qui a unis et opposé ceux qui la vécurent ? Nos débats où on se lance des références à cette période sombre, que les médias croient subtils de théoriser sous l'appellation de "Point Godwin", sont biens futiles face à ces trous noirs mémoriels. Je comprends cet homme qui se fit un devoir d'inscrire les noms de ceux qui le recueillir si jeune au rang de Juste parmi les nations. Je comprends qu'il voulut retrouver ceux qui partagèrent les toutes premières années de sa vie. Mais comme je ne comprends pas pourquoi ni mon Grand-père, ni mon Père ne m'en parlèrent, je me demande si toutes ces médailles de Juste parmi les nations remises à titre posthume sont vraiment le bon hommage à ceux qui choisirent l'humilité du silence.

 

Ainsi toutes ces statues et ces cultes publics rendus à nos héros du passé leur auraient-ils fait plaisir ? Jamais nous ne le sauront, parce qu'ils n'ont laissé que le silence et la vie comme trace de leur courage et de leur abnégation.

 

Billet publié initialement le 6 janvier 2013 sur le site Express Yourself

Pour la suite lire Shoah, pour les Justes protéger la vie fut aussi transmettre du bonheur sur ce même site

Diplome de juste 001

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