Il l'attend

Comme la nuit attend le soleil chaque soir, il l'attend du matin au soir. Chaque jour, il rode dans sa vie comme un chien errant dans un quartier abandonné. Sa vie est devenue semblable à ces rues vides où le vent balaie les souvenirs de la vie passée, comme ces maisons laissées à la poussière et aux araignées. Il ne regarde même plus par la fenêtre passer les voitures, n'espérant plus voir la sienne s'arrêter. Il regarde l'album électronique de ses photos. Elle. Elle seule. Elle avec sa fille. Elle en duo. Elle en groupe. Elle toujours. C'est une obsession, une douce obsession.

Le courrier dort dans la boîte-aux-lettres ou s'empile sur la table. Le linge sale déborde de la panière. Le lit reste défait. Le sol se salit. La vaisselle s'entasse jusqu'au besoin de faire de la place. Les messages téléphoniques restent sans réponse. Que lui importe ce quotidien qui en inquiète tant. Lui, ce qu'il l'inquiète, c'est comment elle va Elle. Bien sûr ses enfants font partie de ses pensées, mais ils ont leur vie à eux maintenant. Lui est de nouveau libre. Son ancienne vie s'est évanouie, il est libre d'en aimer une autre. Il a l'impression que c'était hier, tellement le temps n'a plus d'importance. Pourtant les années commencent déjà à se compter en multiple.

Depuis ce soir de printemps où il l'entendit et que son cœur bascula, les heures portent son nom, ses rêves reflètent ses yeux, ses cheveux caressent ses pensées. Que lui importe que sa vie parte à vau-l'eau, qu'il vive de la charité, qu'il aille à pied à travers les chemins jusqu'à la ville, du moment quelle l'accompagne dans ses pensées, comme un ange-gardien, gardien de son amour. Il n'avait jamais connu çà. La première fois, tout était allé vite. Là, les mois devenus années nourrissent sa poésie, sa prose, ses chansons, en poète de jardin, en écrivain de salle-à-manger, en chanteur de salle-de-bain. Il ne se laisse pas mourir de faim, mais sa vraie nourriture est cet amour fantôme, amour virtuel et pourtant amour réel, réel comme Elle. Dans le silence de sa maison, sa voix à Elle raisonne dans ses oreilles à lui, comme le bruit des vagues de ses îles lointaines, ses îles de vanille. Rien autour de lui ne le laisse supposer et pourtant, Elle est en lui tout le temps.

Homme discret sur ses sentiments, quand on lui dit qu'il pourrait refaire sa vie, il sourit ou plaisante. Quelques uns seulement savent que son cœur et ses pensées sont occupés. Peut-être que certains savent par qui, mais personne n'y fait allusion devant lui. Lui ne le dit pas. Seules des allusions qu'il laisse échapper en coups de cœur disent qu'Elle lui importe plus qu'une autre. Son nom à Elle, il le garde pour lui, tel un petit cœur en or qu'il porterait discrètement au bout d'une chaine du même or que son amour pour Elle, sous sa chemise près de son cœur, juste à côté de la croix en bois de son chapelet venu de ce prêtre africain. Dieu et Elle sont ses seuls guides dans cette triste vie, qu'aucune horloge ne vient plus tinter du son de ses heures. Il reste seul avec son amour pour Elle, dans le silence de son cœur, à l'attendre, l'attendre avec l'espoir qui se cache au fond du désespoir quand se lève la lune et qu'il faut déjà penser à demain, à ces demain toujours sans Elle. Alors, il s'endort pour aller la retrouver dans le seul lieu où il puisse  s'unir à Elle, ses rêves, ses rêves d'Elle.