Drôle de cadeau d'anniversaire

Cadeau d'anniversaire d'une garce

C'était un mercredi, un mercredi 13. Le 13 marque sa vie comme il marque cette relation. Elle est née un 13, pas de ce mois-ci. Dans quelques jours, c'est son anniversaire à lui, le 18. Il s'est levé presque de bonheur par rapport à son habitude de veilleur de nuit de rêves en dérive. Cette journée, il l'a préparé depuis une semaine concrètement, mais depuis des mois en fait. Elle est pour lui la dernière de leur drôle de relation. Pour clore ces trois ans et demi de relation épistolaire, il a préparé un cadeau, un cadeau d'adieu. Ce cadeau, il l'a puisé dans tous ces objets qu'il vend ou donne de sa vie passée qui prend elle aussi fin. C'est une grande gravure de 90 cm sur 60 cm. Est-elle authentique ? Peut-être, il ne l'a jamais faite expertiser. Si elle est authentique, elle a une certaine valeur. La vendre ferait du bien à son budget serré en ces temps de disette où il ne vit que de la charité publique. Un jour de colère, elle lui avait dit que c'est grâce à ses impôts qu'il pouvait vivre et qu'il devrait lui en être reconnaissant. Il ne lui avait rien répondu et s'était contenté de sortir de cette conversation de mauvaise foi. C'est après cette dispute en ligne qu'elle lui avait envoyé une photo de sa fille. Il en avait été heureux. Jamais, il ne s'était imaginé qu'elle le fit et jamais il ne le lui avait demandé, se contentant de celles trouvées sur Internet sur lesquelles jamais on ne voyait son visage. Quelques mois plus tard, elle lui avait donné son adresse personnelle. C'était juste avant leur anniversaire tombant le même mois à sa fille et elle. Il leur avait envoyé des cadeaux malgré ses faibles moyens, premier cadeau pour le premier anniversaire de cette petite fille. C'est ainsi qu'il avait eu son adresse dira-t-il plus tard pour sa défense. A cette adresse, il lui avait aussi écrit de sa main durant leur liaison en ligne et après aussi. Il avait déposé au Noël dernier, directement dans sa boîte, une lettre avec trois pièces de la Monnaie de Paris et une clé au profil typique. Sur l'avers des pièces était gravée la cathédrale de sa ville à lui, face spirituelle. Sur l'envers était la Monnaie de Paris, face matérielle. Pourquoi trois pièces ? Il avait appris sur Internet qu'elle avait un compagnon, jamais elle ne lui avait dit. Le profil de la longue clé à l'ancienne présentait deux petites marches se faisant face, séparées d'un vide, un peu comme eux. L'anneau de la clé présentait un aspect suggérant un cœur. Amateur de vidéos musicales, donner cette clé lui faisait penser aussi à la chanson de Gérard Lenormand, Voici les clés. Voici les clés de ton bonheur, ne les perd pas sur le pont des soupirs, appelle moi si par bonheur elles n'ouvraient pas dit la chanson.

 

Ce n'était pas la première fois qu'ils se disputaient. En trois ans leur relation avait connu des hauts et des bas. Sa réponse à elle était à chaque fois de le bloquer. Puis ils entraient de nouveau en contact sur le même compte Twitter ou sur d'autres qu'il créait. Sur ces autres comptes, peut-être qu'au début elle pouvait dire ne pas savoir que s'était lui mais cela ne pouvait pas durer longtemps. Elle avait ce sang chaud des femmes de ces îles tropicales de l'outre-mer occidental et lui avait cet entêtement issu d'un mélange d'entêtés métropolitains. Entre eux, ce ne pouvait que faire des étincelles. La première étincelle avait jaillis de son poste de radio, dans sa cuisine, un soir de mars 2013, déjà un 13. Dans cette émission nommée Des clics et des claques, elle venait de donner une claque à l'animatrice en quittant provisoirement le plateau parce que le sujet sur la pornographie était contraire à ses valeurs et impropre à l'institution publique qu'elle représentait ce soir-là. Préparant son repas du soir, il avait été subjugué par cette attitude qu'il devait qualifier de grande classe dans l'article qu'il fit le lendemain sur le site web d'un magazine de la presse hebdomadaire. Il y écrivait régulièrement depuis plusieurs mois à la demande d'une des journalistes qui animait cette rubrique destinée aux non-professionnels de l'information normalement. Comme une de ses collègues participait à cette émission et animait sur ce même site une rubrique dévouée au sexe, son article avait été mis à la une, comme des dizaines d'autres qu'il écrivit sur ce site avant de se fâcher avec autour de la Manif pour tous. C'est là qu'il retourna écrire pour un autre site web d'un grand journal de la presse économique et financière dont on l'avait débauché. Ce jour même de la publication de l'article avait commencé leur relation en ligne. Elle n'avait pas hésité à utiliser des mots qui ne pouvaient que faire tomber dans les bras d'une jolie femme comme elle un homme normalement constitué. Mais voilà, lui n'est pas comme les autres, elle allait s'en apercevoir au fil des mois et années. Très méfiant à la limite de la paranoïa, ce "rentre dedans" avait provoqué chez lui un réflex de prudence et de recul. Sans que cela y paraisse dans ces propos, il se méfiait de cette belle people. Leur différence sociale ne justifiait pas sa démarche plus qu'amicale à ses yeux. En cette période, il vivait de son côté une séparation difficile voir violente d'avec son épouse, la mère de ses enfants. Quelques mois après, il allait être la proie de bouffées délirantes aigües à cause d'un puissant traitement contre l'hypersomnie qu'il prenait depuis douze ans. Après un mois d'hospitalisation, à la sortie, restant fragile, il avait éprouvé le besoin de dire ce qu'il lui arrivait et éprouvait. Il avait commencé par lui écrire à une de ses adresses professionnelles où elle avait sa fondation qu'il connaissait. Puis il avait enchaîné en une série de messages privés en ligne. C'était là qu'elle l'avait bloqué la première fois. Elle l'avait gentiment prévenu cette fois-ci contrairement aux autres fois où juste sa colère parlait. Il avait été aussi en relation en ligne avec sa sœur. C'était elle qui l'avait contacté au prétexte qu'il avait exercé comme elle dans la banque et avait passé le même examen qu'elle préparait. Elle lui avait dit les difficultés qu'elle éprouvait en analyse financière venant du markéting. Lui, ancien analyste de crédit aux entreprises, excellait dans ce domaine. La logique aurait voulu qu'il lui propose de la rencontrer pour l'aider. Mais sa logique paranoïaque à lui le fit agir différemment. Il lui envoya un livre très synthétique d'analyse financière qu'il avait gardé et sa centaine de fiches de révisions écrites de sa main. Il les envoya à sa belle pour qu'elle lui transmette. Sa déception fut grande quand il les vit entre les mains de l'Officier de Police Judiciaire lui demandant s'il les reconnaissait avec les autres lettres. Ce dernier lui répondit qu'elle les avait peut-être eues et rendues après l'examen réussi. Peut-être avait-il juste répondu, ne croyant plus vraiment à rien dans ce bureau où il était interrogé pour harcèlement et exhibitionnisme  sexuel. Au milieu de ces lettres, il n'y avait pas le premier cadeau envoyé avec son compartiment secret, secret entre eux, du moins l'espérait-il encore dans tout ce déballage peut reluisant de grande classe…

 

La veille de ce matin d'automne, il avait préparé la gravure qu'il se proposait d'amener chez elle. Il avait détaché l'arrière pour y dissimuler une lettre pour elle, sa lettre d'adieu. Pour être sûr qu'elle la trouve, il avait forcé en remettant le dos de façon à fêler le verre protégeant la gravure. En faisant changer le verre, la lettre serait forcément trouvée. Il espérait même qu'instruite de leurs échanges en ligne cryptés et du premier cadeau, elle chercherait à voir d'elle-même tout de suite seule, ou pas. Il ignorait que cette fêlure était sans doute un signe du destin sur ce qui l'attendait ce matin-là. Cette lettre n'était pas comme celles précédentes qu'il avait rédigées à main levée. Non, il l'avait soigneusement préparée sur son ordinateur, avait soigneusement choisi le papier d'un doux gris et d'une épaisseur presque cartonnée pour la mettre entre deux feuilles du même papier avant de la glisser derrière la belle gravure. Cette lettre était celle-ci :

Chauconin-Neufmontiers, mercredi 12 octobre 2016, 9h49

Ma chère C…,

 

J'avais cette gravure de Saint-Denis dans mon garage depuis 8 ans maintenant, je me suis dit qu’elle pourrait décorer la V… M... A droite de celle-ci, se trouve Sevran, la ville où je suis né et ai grandi. Je trouve que cette correspondance entre ces deux villes sur une même gravure est une belle synchronicité. Saint-Denis et Sevran, deux villes si proches et si lointaines à la fois…

 

Je vais bientôt quitter ma maison et jette, vends et donne presque tout des 28 dernières années de ma vie à l’exception de mes livres qui me rejoindront quand j'aurai trouvé un espace assez grand pour les accueillir. Vider ma maison me vide aussi la tête, ça fait de la place pour les souvenirs à venir. Finalement, les vrais souvenirs sont ceux qui sont dans notre mémoire, ceux qui viennent quand on ferme les yeux. Dans ceux-là, tu y as une belle place. Dans mes cartons, tu n'y es qu'une petite chemise jaune à élastiques marquée K d… et quelques photos sur un disque dur.

 

Donner ou vendre à petit prix fait du bien à la tête mais aussi au cœur et à l'âme. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Mon malheur fait des petits bonheurs, d'un gosse qui fait un peu de ferraille, d'un couple d'amis qui m'aide et sans qui je n'aurais pas pu faire tout cela, d'un ancien client de ma brocante devenu vieille relation puis nouvel ami, d'amis d'amis ne me connaissant pas et passant des heures à m'aider. Le monde est rempli de belles personnes à qui sait ouvrir son cœur et elles sont rarement bien habillées ou beau parleur…

 

J'espère te faire plaisir avec cette gravure et excuse moi pour tous les désagréments que j'ai pu te causer. Je pense encore souvent, trop souvent à toi, comme cette nuit du jeudi 6 octobre où j'ai commencé cette lettre à 3 heures, dans mon lit, sur mon smartphone. J'espère qu'une autre femme me fera perdre cette habitude, même si je la trouve une belle habitude. J'en avais rencontré une, une réelle, pas une virtuelle, mais elle a une vie bien pleine et pas suffisamment de place pour moi. Aimer, c'est savoir faire une place à l'autre dans sa vie, pas le laisser occuper nos espaces vides.

 

Que Dieu vous garde en son Amour toi et ta petite L… et que l’Esprit Saint soit toujours à tes côtés, notamment pour la V… M… (meilleur nom que musée). Citant Oscar Wilde, tu as visé la lune, tu es tombée dans les étoiles, ce n'est pas si mal.

 

Bonheur à Toi, C…, et merci pour tout…

 

Didier, dit aussi le Zèbre… (On est toujours rattrapé parce qui on est.)

10h38

 

P. S. : Ce “nouvel ami” connaît Yves Duteil; nous avons parlé avec lui et son épouse Sophie de sa chanson Prendre un enfant par la main et j'ai pensé à Toi et L…

 

Gravé par Bouclet, Doudan, et Tardieu l'ainé

 

Il a finit de déjeuner, il s'habille prêt à partir au prochain bus, son mode de transport obligé depuis un an qu'il n'a plus sa voiture tombée en panne en arrivant à la messe. Quand on vit de la charité publique, les voitures en panne le restent. Elle a fini à la ferraille après un passage par la fourrière. Il se chausse de ces grosses chaussures de randonnée. Il a prévu de marcher dans Paris après avoir déposé la gravure chez son concierge. Il aime marcher de longues heures en ville ou à la campagne, ça le détend et lui fait prendre de l'exercice lui qui peut rester plusieurs jours sans sortir de sa maison depuis que tous l'ont abandonné. Il met ses gants noirs en cuir pour se saisir par la cordelette qui entoure l'imposant paquet. L'arrêt de bus n'est qu'à quelques dizaines de mètres de sa porte dans la rue d'à coté. Le bus arrive, il monte et y voit un de ses amis de la paroisse. Lui part travailler. Ils feront le chemin jusqu'à la gare de l'Est ensemble à discuter de la vie et de Dieu. Au métro, chacun prend une ligne différente. Il est de nouveau seul avec lui-même et sa gravure, seul au milieu de tous, de tous ces badauds. Durant ce temps de solitude relative, il pense à comment va se passer le dépôt de ce cadeau d'adieu. Il a déjà vu le concierge au Noël dernier quand il a déposé la lettre aux pièces et à la clé. Il avait refusé de la prendre et l'avait conduit jusqu'à sa boîte-à-lettres derrières les grilles interdites d'entrer aux étrangers. Cette fois-ci le paquet est bien trop grand pour entrer dans une boîte-à-lettres, il sera bien obliger de le prendre, du moins le croit-il. Il n'y a qu'un seul changement. Il descend et parcours les couloirs la gravure sous son bras tenue en son milieu par la cordelette. Elle est bien trop grande pour que son bras aille jusqu'en bas. En haut des escaliers une femme fait la manche. Il n'a pas beaucoup d'argent mais il refuse rarement de répondre à une main tendue. Vue son jeune âge, elle n'a sans doute même pas accès au RSA. Il sort un billet de cinq euros de son porte-monnaie et lui tend dans un sourire auquel elle répond par un autre sourire des plus tristes. Il s'assoit dans la nouvelle rame où il y a bien moins de personnes que sur l'autre ligne. C'est une fin de ligne, il ne reste plus beaucoup de stations. Dix minutes plus tard, il sort à l'air libre. Cinq minutes après, il frappe à la baie vitrée du concierge. Contre toute attente le concierge refuse de prendre le paquet. Cette dame sait bien qu'il n'a pas le droit de prendre de colis. Lui insiste, il faut qui le prenne. Le concierge lui dit qu'il va l'emmené chez elle qu'à cette heur-ci, il y a sûrement quelqu'un. Il est prêt à refuser, à repartir et finit par suivre le concierge. Ils passent les grilles, puis la première porte vitrée des boîtes-à-lettres où il l'avait laissé la dernière fois et ouvre la seconde porte vitrée. Il lui indique sa porte au fond d'un couloir sombre. Il n'y a pas de lumière dit-il. Le concierge répond qu'elle est cassée et repart le laissant seul, seul avec sa gravure et son choix. Il hésite. Que va-t-il faire ? Repartir ? Déposer la gravure à sa porte ? Ou sonner ? S'il dépose la gravure quelqu'un peut la voler. Après trois ans et demi de relation virtuelle épistolaire, il est face à une porte, une porte réelle. Il se tient à moins d'un mètre, la gravure sous le bras, il tend le bras et appuie sur la sonnette. La porte s'ouvre, elle apparait en nuisette de satin bleu comme le bleu de la Sainte Vierge et pose cette question : c'est pourquoi ? Je suis Didier répond-il simplement souriant. La lourde porte blindée se referme brusquement. Qui vous a dit de venir chez moi se met-elle à hurler. C'est un malade mental, appelez la police, appelle Jeff ajoute-elle. La porte se rouvre et une petite femme cherche à comprendre ce qui se passe. Dans cette ouverture, il regarde derrière elles. Il y a deux couloirs perpendiculaires avec aux murs de grandes photos de sa fille. Une autre femme arrive du fond. La furie attrape la petite femme presque violemment et la fait renter, refermant de nouveau la lourde porte. Devant cette scène de théâtre de boulevard au mauvais scénario, il pose la gravure le long du mur et s'en retourne. La furie le poursuit et jette au milieu du hall le paquet qui tombe sur le marbre dans un bruit de verre brisé. Il s'agenouille doucement, le retourne et le reprend prudemment pour pas que le verre brisé ne s'en échappe par la déchirure faite dans le papier bistre. Il se dirige vers le bouton d'ouverture de la porte quand la furie se jette violemment sur lui cherchant à le plaquer contre le mur. Il résiste et d'un bras levé la garde derrière lui. Elle ouvre la porte libérée et l'attrape à l'épaule le poussant vers ce dehors qu'il a commencé à emprunter puis claque derrière lui la porte vitrée.

 

Comme un automate, il sort du bâtiment dans l'allée par où il est venu. Tout lui semble différent, les lieux, les lumières, même ce hall qu'il vient de quitter, si sombre à son arrivée lui semblait lumineux durant cette bataille digne d'une des pantalonnades de Molière. Hagard, il va à la porte du bâtiment d'en face, la porte ne s'ouvre pas. Il s'aperçoit de son erreur, regarde autour de lui et suit la seule allée qu'il y est, qu'il a empruntée à son arrivée. Il ouvre la lourde grille et se dirige vers le métro. Du paquet sort un bruit de verre brisé en vrac. Il s'arête à la première poubelle et y déverse les restes de cette bataille de folie. Quelques uns tombent à côté, il en ramasse l'essentiel qu'il met dans la poubelle de fer rouillé et laisse le reste éparpillé sur le trottoir. Il relève la tête, regarde autour de lui et se dirige à l'opposé d'où il est venu le matin. Il tourne à la première à gauche, il sait vers où il va. Le chemin sera long mais il y va. Quelques centaines de mètres plus loin un jeune couple d'anglophones l'arrête pour lui demander où se trouve le métro. Il pose soigneusement son paquet contre un mur, cachant le nom et l'adresse de la furie, sort son plan de Paris et leur indique le chemin dans un anglais approximatif. Ceci fait, il reprend sa route. Plus loin, un groupe d'asiatiques, des japonais lui semble-t-il, ont dressé dans un parc derrière la Tour Eiffel un stand pour enseigner aux gens à être plus heureux. Le pardon libère, peut-il lire sur une de leurs banderoles. Il sourit de ce signe du destin et continue son chemin. Deux heures plus tard, il arrive où il avait prévu d'aller dans son plan de la journée. Il traverse la Seine au pont Marie pour se diriger vers l'église Saint Gervais. Il aime cette église où il a l'habitude de venir prier et assister aux offices religieux quand il est à Paris et qu'il en a le temps. Il arrive à une sanisette, elle est occupée. Il s'assoit tranquillement par terre sur l'herbe d'à côté et entre dans une attente méditative. Il revit cette folle matinée comme il va la revivre durant des mois chaque jour dans sa tête. Contre toute attente, il sent monter en lui un sentiment de joie. Est-ce la proximité de l'église à quelques dizaines de mètres ou un sentiment d'être libérée d'une relation qui finalement était toxique. La porte de la sanisette s'ouvre au bout d'un quart d'heure et en sort un SDF, jetant sur lui un regard courroucé en grognant. Il ne pourra pas retourner dans ce lieu étroit et malodorant qu'il préfère pourtant à la rue. Après cette étape hygiénique, il entre dans l'église, en fait le tour comme à son habitude et s'assoit dans la nef en attendant le principal office de la journée. La nef se remplit petit à petit de personnes toutes habituées ou presque. L'office n'est pas retransmis sur l'Internet de KTO comme ceux du matin ou du soir. Dans cette église, il n'y a pas de grands bancs comme dans celles des villes. L'assise est faite de petits bancs en bois vernis mis les uns derrière les autres. Il s'est mis en bout au troisième rang, comme la Trinité, et a posé d'un côté l'objet balafré du délit et de l'autre son sac-à-dos qu'il a tout le temps. L'office commence. Il le suit comme il peut n'étant pas un habitué. Chaque communauté paroissiale à ses habitudes cérémonielles dans un cadre général fixe. Chacune choisit ses prières, ses champs et ses rythmes. L'église Saint Gervais a la particularité d'être tenue par la communauté religieuse des frères et sœurs de la Fraternité de Jérusalem en partie monacale. Un des signes des plus visibles de leur spécificité est de se baisser à toucher terre pour faire son signe de croix durant l'office, acte de profonde humilité. Il regarde les sœurs cherchant des yeux cette douce qu'il a rencontrée un midi au Carmel dans un rendez-vous arrangé par le Seigneur lui-même ou sa Sainte Mère. Elle n'est pas là. A la fin de l'office, il se renseigne, elle est encore dans son Togo natal à soigner sa sœur malade et à s'occuper d'enfants pauvres. Dans son cœur, elle est une joyeuse sainte parcourant le monde, bien éloignée de cette furie qu'il a vue ce matin qui étale sa bienfaisance de façade dans les médias et les réseaux sociaux. C'est une femme comme elle qu'il aimerait pour compagne. Elle, religieuse, lui est interdite. Il se rassoit et reprend ses prières méditatives. Un africain maigre de grande taille, habillé d'un costume noir fripé s'approche de lui. Il l'a déjà remarqué à tourner dans l'église depuis un moment. Il s'assoit en face de lui et commence à lui raconter une histoire à ne pas tromper un enfant sur des bagages et un portefeuille volés. Il est enseignant à l'UNICEF lui dit-il en se trompant du lieu où est à Paris cette institution qu'il connait. Pendant ses explications, il a sorti un chapelet qu'il tient dans ses mains comme une vieille dévote. Ne croyant pas un mot qu'il lui dit, il sort un billet de dix euros et lui donne. Cet homme sans doute sans ressources est bien plus pauvre que lui, ne serait-ce que d'esprit. L'homme lui promet de le rembourser ici-même le lendemain s'il est là. Il lui répond qu'il n'est pas d'ici et ne sera pas là dans un sourire amusé. Il est seize heures passé, il n'attendra pas l'office du soir et repart avec son encombrant souvenir.

 

On est le 17, demain c'est son anniversaire. Dernière journée de son année personnelle, il a voulu sortir. Ses cinquante-trois ans ont bien mal fini et il espère que ses cinquante-quatre ans vont mieux commencer. Il est parti à pied et est rentré à pied. Quatre heures de marche à travers champs, ville et forêt lui ont fait du bien à la tête même si son corps en souffre. Il arrive à sa maison, passe la lourde grille de fer et va à sa boîte-à-lettres. Ce matin, il en a déjà retiré le courrier mais après son aventure de la semaine dernière, il se méfie d'une mauvaise surprise. Grand bien lui en a pris, au fond, il trouve une convocation pour le lendemain à quatorze heures dans un service annexe du commissariat de police du quinzième arrondissement de Paris. Affaire vous concernant est-il écrit laconiquement. Amener une pièce d'identité est-il précisé. Ce n'est qu'une demi-surprise. Il pose ses affaires et regarde longuement cette convocation. Il en fait une photo et la repose. Il n'amènera pas que sa pièce d'identité ! Il s'assoit à son ordinateur et vérifie la copie de ses échanges avec la furie qu'il a soigneusement préservés dans un dossier. Il fait une copie de son disque dur sur un autre qu'il cache. Demain, c'est avec son ordinateur qu'il se rendra à cette convocation. Ne voulant garder pour lui seul le poids de ce qui lui arrive, il entre en contact sur Twitter avec une de ses abonnés avec laquelle il échange depuis plusieurs mois. Entre eux, s'est établie une certaine confiance au fur et à mesure qu'ils disaient leur vie, si jamais le mot de confiance puisse avoir une signification pour lui, surtout après les derniers évènements. Cette femme est à la fois gaie et étrange. Elle dit être médium. Ce n'est pas la première qu'il en rencontre dans sa vie réelle ou virtuelle. Vivant une vie parallèle dans le monde de la spiritualité et de l'ésotérisme, il a déjà rencontré de ces personnes disant communiquer avec l'autre monde qu'ils appellent l'au-delà. Il les a toujours écoutés avec attention et circonspection se méfiant de ces originaux parfois à la limite de la pathologie psychiatrique. Ses bouffées délirantes l'avaient plongé dans ce monde parallèle où on entend des paroles étranges, où on voit des personnes invisibles aux autres, où les objets semblent nous envoyer des signes. Un de ses comptes en ligne qu'il avait créé avec la spécification zèbre avait attiré plusieurs personnes vivant une vie parallèle à leur vie quotidienne. Il y avait bien sûr les surdoués réels et d'autres dotés, selon eux, de capacités extra-sensorielles en plus de leur intelligence hors du commun. Internet est vraiment un monde étrange mais il est aussi le reflet du monde réel. Elle lui avait donné des preuves concrètes de sa médiumnité. Il ne lui avait jamais dit de peur de se faire manipuler. Dans sa vie qui n'était plus que dérive sociale et marginalité rampante, ces originaux lui apportaient un peu de réconfort. Elle essaie de le rassurer mais lui sait combien cette convocation est porteuse de dangers et que demain il va devoir jouer serrer. Le matin est arrivé, il a peu dormi. Il déjeune se lave et s'habille pareillement à ce 13 où la belle aimée s'était transformée en une harpie. Il monte dans le bus. Une jeune fille de sa paroisse est là. Elle se dirige fièrement vers lui et l'embrasse en lui disant bonjour. Elle est un des enfants de cœur de son secteur. Sa mère enseigne le catéchisme et sa petite sœur est à ses yeux un petit zèbre. C'est bien possible, lui avait dit sa mère, leur grand frère a été identifié comme surdoué. Entre zèbres, on se repère rapidement. Elle descend à son collège pendant que lui va jusqu'à la gare. Il a son sac-à-dos gris et une sacoche avec son ordinateur. Arriver à Paris, il prend le métro et se dirige vers une autre ligne de métro. Cette fois-ci, il commence sa journée par aller à l'église Saint Gervais assister à l'office religieux du midi.  L'office fini, il en sort, reprend le métro et se dirige vers le quinzième arrondissement. L'annexe de police est située près du centre commercial Rive Gauche. Dans l'attente de l'heure de sa convocation, il erre dans la galerie marchande. Arrive bientôt quatorze heures, il entre, se présente à l'accueil et attend. Une femme avec un petit enfant d'à peine deux ans attend aussi. Il fait chaud, il enlève son pull en coton épais et le range dans son sac-à-dos. Les locaux sont neufs et agréables, rien à voir avec le commissariat de sa ville où il est allé fréquemment pour déposer des mains courantes ou plaintes dans cette séparation d'avec sa femme devenue alcoolique et vivant avec un compagnon violent lui aussi alcoolique. Une femme, l'arme à la hanche arrive et lui demande de la suivre. Elle lui demande si il sait pourquoi il est convoqué. Je suppose que c'est à cause de C… K… La policière approuve. Elle a déposé plainte contre vous rajoute-t-elle pour finir par lui signifier qu'il est placé en garde-à-vue à partir de cet instant.

 

Elle lui donne à signer la signification de sa garde-à-vue. Il y lit les motifs multiples et l'objet de celle-ci, protéger toutes preuves du crime ou délit. En lui monte la colère, il ne peut y croire. Il est venu pour s'expliquer pas pour être mis en prison. Il commence ses explications, la policière lui dit qu'une autre personne va s'occuper de son affaire au commissariat central. Celle qui s'adresse à lui porte le nom de Lamour et le titre de gardien de la paix. Est-ce un signe du ciel ? Deux autres personnes sont arrivées, un homme et une femme. L'homme petit et chauve est bavard avec un accent du sud. La femme est jeune et jolie. Tous deux ont l'air d'avoir était habillé pour une série policière américaine. Rêve-t-il ? Tout cela est-il bien réel ? Le bavard trouve les locaux magnifiques. On dirait un bureau du FBI et les téléphones sont cosmiques ajoute-t-il en riant. Lui n'a pas envie de rire. Il aperçoit un drapeau syndical derrière la policière. Vous êtes syndicaliste, lui demande-t-il ? Dans la police nous le sommes tous plus ou moins lui répond-elle. Je l'ai été durant sept ans lui dit-il. Un autre policier, grand, l'emmène dans leur cuisine pour être fouillé et palpé. C'est lui qui a reçu et pris la plainte de la furie. Il semble étonné de ses premières réponses, déstabilisé par son sac-à-dos et la taille décrite de la gravure. Que lui a-t-elle dit ? Il monte dans une voiture banalisée avec le bavard, le grand et la jolie fille. Le grand s'est changé en civil. Il s'attendait à partir toute sirène hurlante, mais rien, aucun bruit, discrétion totale. Durant le parcours jusqu'au commissariat central, le bavard continue de rire, il parle de skate-board. Ça lui fait penser à La vie rêvée de Walter Mitty, mais ça n'a rien à voir d'une comédie, c'est bien réelle. Arriver au commissariat, il remarque les bottines de la jolie fille et son blouson de cuir marron glacé. Tout a l'air neuf. Une idée lui vient à l'esprit, la furie est une people, peut-être craignent-ils des paparazzis et ils veulent donner une bonne image de la police dans un de ces magazines pour salle d'attente ou salon de coiffure. Devant le commissariat, il y a une patrouille militaire du dispositif Sentinelle, des ambulances de la Protection civile et une voiture de poste de commandement des secours. Au fond de lui, il sourit malgré le dramatique de sa situation, c'est plus fort que lui, l'humour surnage. Durant deux jours, c'est l'humour, la prière et la méditation qui vont lui éviter de chavirer. J'ai été secouriste à dix-sept ans dit-il à la jolie fille. Pourquoi avez-vous arrêtés lui demande-t-elle. Parce que j'ai fait autre chose répond-il. Ils entrent dans le commissariat, se dirigent à gauche dans une autre salle où on lui prend ses affaires et lui demande d'enlever sa ceinture, ses lacets et ses lunettes. Très myope, tout devient flou autour de lui. Un nouveau policier en uniforme l'emmène dans une autre pièce et l'enferme dans une petite cellule derrière des barreaux recouverts de plexiglas. La garde-à-vue prend réalité, il est en prison pour un crime imaginaire dont il est innocent. La furie tient sa vengeance. Sa vengeance de quoi exactement ? Lors de sa mise en garde-à-vue, il a demandé à voir un médecin et avoir un avocat commis d'office. Durant cet emprisonnement administratif, cet acte judiciaire dans une justice administrative décidée sur la seule parole d'une personne, il n'a pas perdu tous ses droits, ses droits de citoyen, ses droit d'être humain. Il s'assoit tranquillement sur le banc de pierre et commence à prier en attendant. En attendant quoi ? Deux hommes se présentent, ouvrent la porte de sa cellule et lui demandent de les suivre. Ils montent un escalier au milieu duquel se trouve un vélo, l'avant tourné vers lui, marqué d'un K comme la signification de pourquoi il est là, l'innocent accusé d'un faux crime.  Dans leur bureau, le plus grand se présente à lui et lui explique comment va se dérouler les heures à venir. Un entretien aura lieu demain, il dormira en prison cette nuit. Il lui demande s'il veut prévenir quelqu'un. Il hésite puis donne le téléphone de sa fille ainée pris de honte. Que va-t-elle penser d'avoir un père en prison ? Va-t-elle prévenir ses sœurs ? Oui, sûrement ! Elle n'aura même pas le droit de savoir pourquoi son père est ainsi emprisonné comme dans ces pays montrés du doigt par nos journalistes et politiciens orgueilleux de notre soi-disant grande démocratie. Qui a dit déjà qu'une civilisation se mesure au sort qu'elle réserve à ses prisonniers ?

 

Il est seize heures. L'officier de police judiciaire chargé de son affaire se présente à nouveau accompagné d'autres en uniforme. Vous allez aller à la visite médicale dit-il en rouvrant la cellule. On lui passe les menottes aux poignets pour la première fois. Sur sa peau se referme le métal froid lui enserrant les mains dans le dos. L'OPJ leur ouvre la porte arrière pour les faire sortir. Il est maintenant certain que des précautions sont prises pour pas qu'il soit vu menottes aux poignets entre des policiers en uniformes. Si elle est une people aux relations gouvernementales et présidentielles, lui est un bloggeur qui écrit sur des sites en ligne lus par des millions de personnes. Tous les éléments pour un potentiel scandale public sont réunis et apparemment tout est fait pour éviter de le nourrir de photos chocs. Police et justice seraient-elles les otages d'un règlement de compte entre deux fauves des médias traditionnels et de l'Internet ? Le fourgon file dans les rues de Paris. Il est ancien, d'époque comme il dit avec cet humour libérateur à celui paraissant le chef de ce mini commando. Il porte son gilet pare-balles par dessus sa chemise signe habituel d'autorité dans la police. L'autre est dans un uniforme noir rappelant celui des services du RAID. Le conducteur est en tenue ordinaire à chemise blanche. Il fait beau en ce 18 octobre, jour de son cinquante-quatrième anniversaire. Zut avait dit la policière qui l'avait mis en garde-à-vue en s'en apercevant. Ils sont tous trois très grands. Il commence à parler avec eux. La conversation part sur la guerre du Kossovo. Le chef connait bien les religions de tous les acteurs de cette terrible guerre civile de l'ex-Yougoslavie. Nul doute, il est un ancien militaire, comme beaucoup de policiers, et a fait cette guerre sûrement sous le casque bleu de l'ONU. Avec celui en noir, ils parlent d'épreuves de recrutement, de stress test. Il n'y en avait pas en mon temps dit-il. L'autre doit aussi être un ancien militaire en phase de recrutement, pense-t-il. Il regarde les rues et places. Ils traversent la place Saint-Placide, du nom du prêtre togolais dont il tient son chapelet en bois rouge, habituellement autour de son cou, actuellement dans une boîte avec ses autres affaires personnelles au commissariat. J'étais là il y a deux mois, dit-il au policier, à la chapelle de la médaille miraculeuse, rue du bac. Vous êtes un croyant lui répond-il avec un ton des plus respectueux. Où va-t-on ? A l'Hôtel Dieu ! Décidément, dans cette épreuve, les signes s'accumulent pense-t-il. Pour y aller, il avait eu droit de récupérer ses lunettes. Arriver à l'étage réservé à la médecine légale comme on dit pudiquement, il doit les enlever de nouveau. On lui libère aussi les mains avant de l'enfermer dans une cellule collective formant un grand U aux bancs toujours de béton. Il s'assoit silencieusement au fond à droite le regard fixe vers le sol. Il ne sait pas ce qui l'attend et combien de temps il va devoir attendre. Toujours prudent, il se prépare à une éventuelle attaque de ses compagnons de cellule. Il va devoir mobiliser ses ressources forgées depuis sa jeunesse en banlieue ouvrière jusqu'à ses compétences de formateur, en passant par celles d'ancien sous-officier de centre d'instruction militaire .L'un d'entre eux dénote particulièrement, il a environ vingt-cinq ans et est habillé d'un costume. C'est un pointeur apprendront-ils après son départ. Traduisez, il a violé un ou une enfant. Il va se faire déchirer en prison dit un grand maigre agité. Dans cette cellule, il fait figure de vétéran. Ça fait onze ans qu'il est là en parlant d'un policier, signifiant qu'il le connait depuis onze ans. Quel âge avait-il lors de sa première garde-à-vue ? Était-il majeur ? Pas certain ! Les autres codétenus sont silencieux comme lui. Arrive un nouveau, barbu, magrébin, habillé d'une grande djellaba à la mode religieuse musulmane. Un deuxième arrive, magrébin aussi, en survêtement blanc. Ils sont deux gaulois et cinq magrébins. Le dernier arrivé, se comportant en chef de bande de cité, commence à demander à chacun pourquoi il est là. Arriver à son tour, il se contente de lever la tête pour commencer et de le regarder dans les yeux silencieusement. Oui, c'est à toi que je parle l'ancien. Il a fait un premier pas dans le respect. Il pose une main sur sa poitrine et le pointe du menton toujours silencieusement. Tu as tué quelqu'un relance le caïd. Non répond-il laconiquement le fixant toujours dans les yeux. Alors pourquoi es-tu là l'ancien reprend le caïd. Il a pris l'ascendant, il le sait. Il est en position pour être le leadeur de cette cellule. Une femme a porté plainte contre moi dit-il sans plus de précision. Alors les questions commencent. Il est arrivé à créer le mystère et fixer l'attention de ses codétenus. Un nouvel épisode de téléréalité peut commencer au titre de qui est-il, qu'a-t-il fait.

 

Elle a dit que je l'avais agressée à son domicile donne-t-il pour explication. Le respect qu'il impose ne donne pas de lui l'impression d'être un agresseur de femme. Le barbu explique qu'il a été arrêté lors d'un contrôle. Il ne comprend pas pourquoi lui alors qu'une voiture devant lui roulait très vite en pleine ville. Il lui dit à cause de çà, joignant à la parole le geste de caresser sa barbe. Tu crois demande le barbu. J'en suis certain répond-il. Sa démarche n'est pas innocente. Face à ce groupe de magrébins, il doit créer du lien comme on dit en psychologie. Le grand agité justifie sa présence par une balance. Deux jeunes libérés bizarrement l'auraient balancé aux flics. Il lui confirme malgré qu'il n'en sache rien. Les flics ne se déplacent pas pour rien, s'ils sont venus c'est que tu as été balancé lui lance-t-il. L'autre renforcé dans son idée décrit les évasions rocambolesques que ces deux balances ont racontées à qui voulait les écouter. Ma mère et ma femme ont été aussi arrêtées rajoute-t-il. Il n'utilise pas le terme de meuf pour désigner sa compagne marquant son respect pour elle. Ta femme est dans tes affaires lui demande-t-il. Non, c'est juste une toxico. Alors ce n'est pas grave, calme toi dit-il en parrain de la maffia qu'il n'est pas. L'important est de savoir qui t'a balancé, mais on ne touche pas à la famille. Ce n'est pas parce qu'en face ils n'ont pas de valeur que toi tu ne dois pas en avoir. Le caïd le regarde silencieusement avec un air respectueux. Le grassouillet dit qu'il veut être mis en dépôt rapidement pour commencer à purger la peine dont il va écoper. Ce n'est pas la première fois qu'il est arrêté, il a déjà été condamné avec sursis deux fois. Son métier est le vol. Sans violence, il vient quand vous n'êtes pas là. Les coffres-forts ne lui font pas peur. Ça m'étonnerait que tu puisses emporter le mien lui lance-t-il. Un autre des codétenus lui lance, tu as un coffre fort ? Tout le monde se relève et le regarde, il a réussi son coup. J'en ai un. Dans un mur ? Oui fait-il silencieusement de la tête, toujours dans le mystère. A dire vrai, son coffre-fort est sous son escalier et vide. C'est juste pour amuser, l'important est ailleurs rajoute-t-il. Tous les yeux s'émerveillent dans l'impression d'avoir un vrai dur avec eux. Le deuxième gaulois explique qu'il a renversé un SDF ivre traversant devant lui. Problème, sortant du restaurant, son taux d'alcoolémie était supérieur à celui autorisé et le SDF est à l'hôpital dans un état critique. Des policiers effectuant un contrôle ont été témoins de l'accident. Tu n'as pas demandé la prise de sang tout de suite lui demande-t-il. Avec chacun, il doit créer du lien et par sa présence dans chaque conversation marquer son territoire. Ce n'est qu'ainsi qu'il gardera le leadeurship de la cellule. Être l'ancien ne suffit pas. La porte de la cellule s'ouvre et ils font entrer un homme jeune au teint bronzé recouvert d'une combinaison blanche avec une capuche et des gants en plastique bleu. Plusieurs se mettent à hurler pas lui, il a la gale. Les policiers rient et disent qu'ils l'ont bien transporté dans leur fourgon puis referment la cellule laissant ce paria au milieu de ces proscrits refusant qu'il les approche. Une place assez grande est libre sur le banc à sa gauche, c'est là qu'il s'assoit non loin de l'ancien. Il est silencieux lui aussi. Pour cause, il ne parle pas le français et à peine l'anglais. L'ancien l'observe du coin de l'œil. Il regarde attentivement son visage pendant que d'autres continuent de dire que s'il est habillé ainsi, c'est qu'il est malade. Apparemment aucune trace de maladie, il a même l'air plutôt en bonne santé. Arrêtez, il est habillé ainsi juste par mesure d'hygiène. Le jeune ne le comprend pas, mais il voit tout le monde se calmer. Le barbu demande où il peut faire sa prière. Un des gardiens lui répond dans la cellule. Il enlève sa veste et la pose à terre. Il s'apprête à faire sa prière face aux policiers quand le caïd lui fait signe de se retourner. Priant Hallah, il va leur montrer son cul dans un humour très oriental. Le voleur interpelle le grand agité. L'ancien le bouscule de son coude en montrant le barbu en prière et ajoutant respect. Le voleur se tait et attend la fin de la prière pour réitérer sa question. L'ancien interpelle du menton le capuché et lui montre le barbu. Il lui répond non de la tête. Il n'est pas musulman. L'ancien fait un signe de croix. Le capuché fait à nouveau non. L'ancien joint ses mains et s'incline. Le capuché répond oui de sa tête toujours sans un mot. Il est hindouiste lance-t-il à haute voix. Certains regardent le capuché sans un mot et d'autres restent le regard fixe dans le vide. Un des magrébins s'est assis à côté de l'ancien, il a à peu près le même âge que lui. Il a dit être là parce qu'il a essayé de voler son portefeuille à un vieux dans un fastfood. S'attaquer aux vieux, ce n'est pas bien lui avait répondu  l'ancien. Il l'avait pris sur le ton de l'humour. Comme l'ancien, il ne semblait pas s'inquiéter beaucoup d'être là. Il s'est mis à sa droite et ils échangent en phrases courtes de quelques mots seulement. Il découvre qu'il est kabyle, donc pas un arabe. Entre les kabyles et les arabes, ce n'est pas vraiment le grand amour. Il se découvre ainsi un allié de circonstance face aux autres magrébins. Ils peuvent bien parler entre eux en arabe son "bras droit" comprend. Dans un mouvement automatique de changement d'assise, le jeune capuché se rapproche de son blouson. L'ancien le prend et le met derrière son dos. Comme s'excusant, le capuché se replace en s'écartant. L'ancien tapote sur le banc lui montrant qu'il peut se rapprocher, ce qu'il fait immédiatement trouvant une position plus confortable, si jamais il peut en avoir une sur ces bancs en béton collés au mur de leur prison. L'ancien lui montre son poignet et fait d'un doigt le tour d'une montre imaginaire en l'interrogeant toujours du menton. Le capuché lui montre deux doigts. Deux jours, interroge l'ancien. Le capuché d'un silence aux yeux interrogateurs lui signifie qu'il n'a pas compris. Two days reprend l'ancien. D'un hochement de tête, le capuché répond oui. Cela fait deux jours qu'il est en France lance l'ancien à la cantonade. Quelle misère l'a-t-il poussé jusqu'ici, quel espoir l'attire vers cet occident du soleil couchant se demande l'ancien, admiratif des milliers de kilomètres parcourus par ce jeune homme. La porte s'ouvre et une policière l'emmène vers un ailleurs avec peut-être un billet retour obligé à la clé. Comme dans une véritable pièce de théatre, la porte s'ouvre encore et c'est un SDF qui entre. Il est agité et raconte s'être battu avec les policiers qui l'ont arrêté. Il aurait même tenu à la gorge un commandant de police. Fanfaronnade d'un miséreux de la rue à moitié ivre. Il dit avoir cinquante-six ans et être à la rue depuis 1979. Tu es plus vieux que moi lui lance l'ancien, défendant sa place du plus vieux à qui on doit le respect. Le SDF se met debout face à l'ancien, le provocant de l'attitude et continue son histoire de plus en plus rocambolesque. L'ancien se redresse, le regarde dans les yeux et lui lance, tu racontes des cracs. Le caïd intervient suivit d'autres. Ils ont tous compris que la confrontation verbale peut dégénérer rapidement en confrontation physique. Ils questionnent le SDF qui se perd dans ses dates avant qu'on établisse qu'il n'a que quarante-six ans. La hiérarchie reste telle qu'elle était, l'ancien reste l'ancien et chacun se calme. Faisant acte d'allégeance, le SDF se rapproche de l'ancien et lui montre ses "blessures de guerre" preuve de son arrestation violente. L'ancien d'un air hautain lui répond, ce sont des brulures et le repousse marquant sa supériorité et mettant à l'amende celui qui a osé le défier. La porte s'ouvre, cette fois-ci c'est pour l'ancien.

 

Il pense être reçu par un généraliste auquel il va pouvoir exposer sa pathologie d'apnée du sommeil et ainsi faire lever sa garde-à-vue avant le soir. Le médecin se présente, il est psychiatre ! Après les accusations de la furie le traitant de malade mental, il comprend qu'il joue là un moment important dans sa garde-à-vue. Les psychiatres, il connait. Il les a fréquentés durant son hospitalisation après ses bouffées délirantes et deux ans après pour être sûr qu'il ne soit pas schizophrène. A l'époque, il pensait avoir fait une crise de schizophrénie et la définissait comme telle quand il en parlait. Le médecin, chef du service de psychiatrie qui le suivait ne lui avait jamais dit ce qu'il lui était vraiment arrivé. On lui avait juste dit qu'après douze ans de son traitement, avoir des hallucinations et entendre des voix n'avait rien d'étonnant, laissant entendre qu'il avait tenu plutôt longtemps. Avait-il était un cobaye ? Parfois, on se le demande si les médecins ne nous prennent pas pour des cobayes. Schizophrénie-paranoïaque, c'est ce qu'il avait dit à la furie, du temps où ils avaient des relations presque normales et qu'il lui faisait presque confiance. Ce n'est que demain qu'il va apprendre ce qu'il lui ait véritablement arrivé. Pour l'instant, il explique au médecin devant statuer en premier sur son cas son histoire de folie qu'il lui est arrivé. Ce sont les policiers qui ont pris votre ordinateur lors d'une fouille de votre domicile ? Non, je l'ai amené de moi-même pour prouver ma bonne fois. Vous avez bien fait. Tout va pour le mieux, je valide la continuation de votre garde-à-vue pour ma part. Vous exposerez votre problème d'apnée du sommeil à mon collègue. Rester en garde-à-vue n'est pas vraiment ce qu'il appelle aller pour le mieux se dit-il. On le raccompagne à la cellule collective où il est attendu avec de nouvelles questions. En rentrant, il croise le barbu et lui dit qu'il est catholique et que ce matin il était à la messe. Ce n'est pas un problème pour lui répond le barbu avec un large sourire. Tous veulent en savoir plus sur son histoire avec cette femme. D'abord, ils veulent savoir qui elle est. C'est une ex-journaliste dit-il. Tu l'as baisée demande le kabyle en rigolant. Non ! Tu lui as demandé de l'argent ? Non ! Alors quoi ? Comment s'appelle-t-elle ? Elle s'appelle C… K… Le chauffard dit qu'il a entendu l'histoire à la radio, puis il se reprend, non sur Internet. Elle est plutôt jolie rajoute-t-il. L'ancien pas vraiment d'humeur répond, elle a un peu grossi mais est pas mal. C'est une belle black relance le chauffard qui commence à devenir suspect de complicité avec la furie aux yeux de l'ancien. On le tance à nouveau de questions. Comment un gars comme lui peut-il être en brouille avec cette femme. Pour tous, il y a autre chose derrière ? Un trafic de cocaïne peut-être ? Avec une people ce ne serait pas surprenant. Un deal qui a mal tourné ? Il n'a plus besoin de forcer les liens, il est devenu un héros au milieu de ces durs dont certains ont déjà un casier judiciaire bien rempli. Elle est reçue dans les cabinets ministériels et parle à l'oreille du Président leur dit-il. Tant que c'est à l'oreille ce n'est pas grave lui avait dit le bavard dans la voiture l'emmenant au commissariat. Ça ne l'avait pas vraiment fait rire. Dans cette cellule, cette annonce le rend encore plus mystérieux qu'un silence de tous marque de leur respect. Des heures ont passé et une autre arrive avant qu'il ne sorte à nouveau de la cellule pour voir le deuxième médecin. Cette fois-ci, c'est le généraliste. Il est beaucoup moins affable que le précédent. Pour votre apnée du sommeil, on peut vous garder à l'hôpital cette nuit. Il refuse. Après avoir gagné ses galons de parrain, il ne peut se comporter comme une fillette en dormant à l'hôpital au lieu de la petite cellule du central du quinzième. Le médecin lui propose de prendre un verre d'eau. Le voleur avait parlé qu'il lui avait également proposé, que l'eau était chaude mais que ça lui avait fait du bien. Il n'avait pas dit qu'il avait dû prendre un cachet avec, un de ces cachets pour drogué en manque imminent. Il ouvre le robinet et vérifie de la main la température de l'eau, elle est chaude. N'ayant pas ses lunettes, il se penche pour manipuler le mitigeur, la laisse couler puis remplit son gobelet en plastique. Il se rassoit toujours calmement au bureau du médecin et boit tout aussi le calmement. Le médecin signe lui aussi la continuation de sa garde-à-vue puis s'en va. Une policière black gigantesque et souriante attend qu'il ait fini de boire pour le ramener à la grande cellule. Dans la cellule d'à côté de la leur est une jeune-femme, seule, prostrée sur son banc. Qu'a-t-elle demande le barbu. Il lui répond qu'elle est au crac. C'est quoi le crac ? Demande à ton pote dit-il en montrant toujours du menton le caïd. Alors s'engage entre eux une conversation à voix presque basse en arabe. Si on vous dérange dites le, leur lance-t-il en gaulois provocateur sûr de son emprise sur la cellule. Son bras droit kabyle rit dans une complicité de non-arabes. De nouvelles minutes faisant l'heure ou plus passent. Ses codétenus se fatiguent pendant que le caïd s'énerve. Il commence à taper contre le plexiglas de la cellule et dit vouloir se faire un flic. Calme toi lui lance l'ancien d'un ton calme. Avec les flics tu ne seras jamais le plus fort. Il faut être le plus malin. Après avoir dit son agacement à attendre, il se rassoit et attend dans une fausse patience marquée du tapotement de ses pieds. Il a été pris avec de la cocaïne sur lui. Combien tu avais de grammes lui avait demandé le grand agité. Deux grammes avait-il répondu. Ce n'est pas grave l'avait rassuré le grand agité. Il le savait bien, car il était certainement un habitué de trafics de drogues en tout genre. Il devait juste être furieux de s'être fait coincer bêtement pour tomber entre les mains de la brigade des stups qui l'attendait sûrement depuis longtemps. La porte s'ouvre une dernière fois, l'ancien repart au central du quinzième. Avant de sortir, le kabyle vient vers lui, lui tape dans la main, heureux de t'avoir rencontré l'ancien.

 

Apparemment ça c'est bien passé lui lance dans un sourire le grand en noir qui l'avait amené. Oui, répond laconiquement l'ancien avant qu'il lui remette les menottes aux poignets. Le grand essaie de lui remettre ses lunettes. Elles sont de travers. Les mains entravées dans le dos l'ancien se penche contre le mur pour les réajuster sous l'œil étonné du grand. Le chef apparait revêtu d'un blouson, son gilet pare-balles caché. Encore vous, sacrée journée lui lance l'ancien. Il acquiesce d'un hochement de tête en soufflant. L'ancien dit au chauffeur, il doit être environ vingt-deux heures. Le chauffeur étonné lui répond, il vingt-deux heures cinq. Ils sortent de cet Hôtel Dieu où, par la grâce du ciel et la volonté d'une garce, il vient de passer un anniversaire surprenant mais au final merveilleux de par ces rencontres. En montant dans le fourgon, il fait un faux mouvement et une des menottes se resserre sur son poignet. Dehors, il fait nuit, les mêmes rues et mêmes places, cette fois-ci vides, défilent en sens inverse telle une remontée du temps et de l'espace. La menotte blesse son poignet, il supporte sans rien dire. Le chef a laissé le grand en noir seul avec lui et s'est assis devant à discuter avec le chauffeur, une façon de dire sa confiance en ce prisonnier croyant. Il ferme les yeux puis les ouvre et les referme et les rouvre tout du long du chemin retour. Arriver, avant d'entrer dans le commissariat, il dit au grand en noir, je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que je serais mieux logé en face. L'autre l'interroge d'un pourquoi et dans un sourire l'ancien lui montre du menton la tour toute éclairée de bleu de l'hôtel Novotel de l'autre côté de la rue. Dans le commissariat, un attroupement de policiers en tenue discute activement. Ils sont en colère et leurs collègues manifestent chaque soir ou après-midi depuis plusieurs jours dans les rues de la capitale et en province. C'est celui que vous avez emmené à seize heures, demande un major. Oui répond le chef… On lui enlève les menottes et le remet dans sa petite cellule de deux mètres sur trois. Il s'assoit sur son banc en béton avant de s'allonger une jambe en l'air. Un des murs de la cellule est arrondi et il ne peut pas allonger ses deux jambes. Seule solution, s'allonger sur un des tapis en mousse peu épaisse qui sont parterre. Dans une volonté de rester digne, il préfère cette position inconfortable à celle de coucher à terre. Dans une cellule à côté, une femme crie. Elle veut aller aux toilettes dit-elle. Vous y êtes déjà allé lui répond le gardien. Je veux y aller encore. Non ! Puis il repart laissant la femme continuer de crier. Ainsi va-t-elle crier jusqu'à ce que fatiguée, elle s'endorme. Lui aussi est fatigué. Il finit par se résigner à s'allonger sur un des tapis en mousse. Il choisit celui de droite. Pourquoi ? Pourquoi pas ! La lumière toujours allumée le dérange. Il se met dans l'autre sens afin que les feuilles indiquant le nom et le motif de l'emprisonnement la lui cachent. Il tire sur lui la petite couverture en laine, il a froid, il fait humide. Son pull est dans son sac-à-dos lui aussi prisonnier. Il espère pouvoir le récupérer demain matin. Il n'a pas mangé depuis le matin, son estomac lui fait mal, malgré qu'il soit habitué de jeûner. Mais d'habitude, c'est volontairement dans une de ses neuvaines. Là, le stress de l'emprisonnement l'empêche d'avoir la sérénité d'un temps spirituel. Il commence à s'endormir quand la porte de sa cellule s'ouvre. Un homme chauve vêtu d'un pantalon noir et d'un tee-shirt de la même couleur entre et s'allonge sur le tapis d'à côté. Il se rendort. Le matin est arrivé ou presque. Dans toutes les cellules tout le monde dort quand il se réveille. Il s'agenouille, la couverture en laine sur le dos, et commence ses prières. Ce n'est pas tous les jours qu'il prie ainsi au réveil mais au vu des circonstances, il a besoin de ce moment spirituel pour résister à l'injustice dont il est la victime. Il a envie de pleurer. Ne pleure pas se dit-il, ça leur ferait trop plaisir, pense-t-il en levant les yeux vers la caméra braquée sur sa cellule. Le temps passe et le chauve se réveille aussi. Après, c'est au tour de la femme qui reprend ses cris et ses appels. Une paire de claques la calmerait lance-t-il au chauve dans un sourire. Il a regardé en transparence son motif d'emprisonnement et le sien. Pour lui harcèlement est écrit, pour le chauve, PD2. Ils commencent à parler tous les deux d'un peu de tout et de rien. Tu n'es pas obligé de me dire ton histoire lui avait dit le chauve, alors il s'était tu dessus. Le chauve lui avait dit qu'il s'était toujours demandé ce qu'il y avait au rez-de-chaussée de ce bâtiment, laissant entendre qu'il en connaissait les étages. Cela confirme à l'ancien que son compagnon de cellule doit être un flic, comme il s'en était douté au vu de l'heure tardive de son arrivée et au motif de son incarcération. Mesure de surveillance supplémentaire directe de la part de personnes qui n'ont pas envie de dérapage dans cette affaire plus sensible qu'il n'y parait ? On leur amène le petit-déjeuner, un petit sachet de gâteaux secs et une petite brique de jus d'orange. Le chauve râle qu'il aurait bien aimé un café, l'ancien ne répond rien. Il le relance une nouvelle fois, il ne répond toujours pas. Puis l'ancien plaisante sur une idée de téléréalité, vivez une garde-à-vue. Je suis sûr que des gens seraient d'accord pour vivre l'expérience. Des scénaristes pourraient organiser tout çà. C'est vrai que les télévisions ont de sacrés moyens réplique le chauve. Cette dernière remarque renforce les soupçons de l'ancien sur son colocataire qu'il ne peut décemment pas appeler codétenu. Un nouvel homme arrive, chauve lui aussi. Décidément, c'est la coupe à la mode dans la police se dit l'ancien. C'est un technicien de la police scientifique, sa mission établir leur fiche d'identification. Il commence par son colocataire. Une heure est presque passée quand il revient avec lui. Je reviendrai plus tard dit-il à l'ancien. Une policière en uniforme vient chercher le petit chauve bedonnant. Ce dernier prend bien soin de plier sa couverture avant de partir, sans doute par respect pour ses collègues ou pour faire du zèle devant la caméra toujours là, fixée au plafond. Le scientifique revient et l'emmène à l'étage. Il le prend en photo et le mesure. Puis il encre ses doigts, ses paumes dont il va prendre les empreintes. Pour finir, il met un masque des gants et lui tend un bâtonnet avec du coton qu'il doit mettre dans sa bouche et garder cinq longues minutes. Puis il enferme le bâtonnet dans une pochette transparente avant de lui faire laver ses mains et le ramener en cellule. La femme s'est calmée.

 

L'OPJ revient, lui explique qu'il va voir son avocat puis l'emmène dans une petite pièce où l'attend un jeune-homme. Ils ont dix minutes ensemble avant que ne commence le grand interrogatoire, cœur de l'enquête. L'ancien raconte rapidement son histoire. L'avocat lui dit que le dossier doit-être assez vide parce qu'ils ont abandonné deux des trois chefs d'inculpation. Il lui demande de faire des réponses courtes et le plus clair possible. Je sais faire, j'ai l'habitude des négociations de haut niveau. L'avocat le regarde interrogatif ignorant son passé de syndicaliste dans la banque face aux grands fauves de la finance mondialisée. L'OPJ revient les chercher. Une fois de plus, il croise le vélo marqué d'un K dans l'escalier, il remarque que c'est un vélo électrique muni d'une batterie. La fourche toujours tournée vers les marches, sa lumière éteinte lui fait face. Dans le bureau, les OPJ sont trois avec le sien, chacun avec son affaire et son mis-en-cause. L'interrogatoire commence par son identité, son diplôme le plus élevé, son grade dans l'armée lors de son service militaire et de savoir s'il a des décorations. Être instruit, gradé ou décoré fait-il de vous un homme ou une femme plus innocent a priori que si vous ne l'êtes pas ? Face à une femme reçue dans les ministères, sa parole de bénéficiaire du RSA ne pèse pas bien lourd, il le sait et le déclare à l'OPJ qui ne relève pas. Il commence par l'interroger sur ses relations avec la furie et la multiplicité de ses comptes Twitter, cœur de l'accusation de harcèlement. Il lui montre les lettres qu'il lui a envoyées. L'ancien répond qu'il ne trouvera dans ces lettres aucun propos insultant ou menaçant. Non, jamais il ne lui aurait écrit de telles choses à elle qui a occupé son cœur et ses pensées chaque jour à longueur de journée et de nuit durant plus de trois ans. Ce n'était que des mots disant ses sentiments pour elle et des conseils pour pas qu'elle s'égare ou se fasse tromper par plus malin qu'elle. Même si elle est très intelligente, il la sait trop confiante bien souvent et plusieurs fois elle s'est fait avoir. Un soir, revenant du Congo, elle lui avait décrit le comportement déplacé et profiteur de cet homme dont il la mettait en garde depuis plusieurs mois. Sans l'avoir rencontré, ses twittes l'avaient suffisamment renseigné dessus, lui qui avait été si habitué à décrypter les dires et non-dits dans ce milieu sans pitié qu'est la banque. Les médias sont un aquarium de poissons rouges à côté de ses lieux où on pense et parle en millions quand ce n'est pas en milliards. De chacune des lettres, il se souvenait, pas dans le détail mais dans l'esprit. Puis ils en viennent à ce fameux matin du 13. Il redonne une fois de plus sa version des faits. Comment se masturber, une gravure de près d'un mètre carré sous le bras ? Il raconte aussi les débuts de leur relation, il y a trois ans et demi. Il dit comment elle a mis des mots sur sa souffrance d'homme devenu du jour au lendemain papa-solo par le départ de son épouse. Il décrit son parcours avec les assistantes sociales pour toucher le RSA et aller chaque mois prendre un colis au Secours populaire pour nourrir ses enfants, lui l'ancien, respecté dans cette grande cellule de l'Hôtel Dieu. Il est en pleure, il craque. Les deux autres OPJ s'unissent pour lui apporter un verre d'eau pendant que les mots, bien ordonnés et choisis, continuent de sortir de sa bouche malgré l'émotion. L'interrogatoire est presque terminé, l'OPJ se lève pour aller chercher le compte-rendu à l'imprimante. Un de ses collègues l'interpelle par son prénom, Jean-Baptiste. Vous avez un beau prénom, lui dit l'ancien. Merci ! Puis l'ancien cite les évangiles. Je baptise dans l'eau, celui qui vient après moi baptise dans le feu, je ne suis pas digne de délier sa sandale. Dans le bureau, tous s'arrêtent et regardent interdits cet homme étrange. Est-ce un fou ? Non un croyant comme lui a dit le chef dans le fourgon hier. Il se sait innocent et est sûr qu'il sera reconnu comme tel parce qu'il a foi en la divine providence. Il raconte avoir appris la veille du chauffard que la furie a dit sur Internet avoir été agressée chez elle. Son avocat prend son smartphone et fait la recherche. Il trouve l'information. La furie dit avoir été agressée par un déséquilibré qui a fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Heureusement, elle l'a mis en fuite, laissant entendre qu'il n'est qu'un lâche. Il la harcelait depuis plusieurs mois, lui envoyant des lettres enflammées. A ces mots, l'ancien répond, j'espère qu'elle ne s'est pas brûlée, dans un de ses traits d'humours salvateurs. La plainte comme l'étalage datent du quatorze, elle n'a pas perdu de temps pour chercher à trainer dans la boue cet homme qui l'avait tant aimée et qui était venue simplement lui dire adieu, un cadeau à la main. Pourquoi ? Je n'en sais rien avait-il répondu à l'OPJ. Qu'attendiez-vous lui avait-il demandé. J'espérais pouvoir avoir enfin une conversation normale tel qu'on pourrait l'avoir avec une personne adulte responsable, tel que devrait l'être cette personne eu égard aux responsabilités qu'elle a exercées et aux projets dont elle s'occupe, avait-il répondu. L'OPJ lui indique que la procureure a demandé une expertise psychiatrique qui aura lieu en fin de matinée ou en début d'après-midi. Sa garde-à-vue sera prolongée d'autant jusqu'à la décision de la Procureure de Paris. Ils se lèvent et descendent, l'ancien, l'OPJ et l'avocat. En bas, l'OPJ indique la porte arrière à l'avocat pour sortir discrètement… Retour à la case prison pour l'ancien. Les heures passent et revient l'OPJ avec son collègue. Ils remontent à l'étage et recroisent le même vélo K toujours dans la position d'observateur. L'expert psychiatrique ne pourra pas venir ce matin, sa garde-à-vue est donc prolongée. Il lui signale que le parquet lui a laissé le même avocat que ce matin au cas où il y aurait d'autres interrogatoires. L'entretien avec l'expert aura lieu juste entre eux deux. Un questionnaire sur comment s'est déroulée la première partie de sa garde-à-vue lui est soumis comme s'il venait de passer une journée dans un club de vacances. Avez-vous bien mangé hier soir ? Je n'ai pas eu à manger hier soir ! Vous n'avez pas mangé hier soir ? La garde-à-vue qui se voulait exemplaire subissait là un sérieux revers. Trop tard, le mal était fait. Le questionnaire terminé et une nouvelle signification signée, il est ramené à sa cellule dans l'attente de l'expertise psychiatrique.

 

Il est quinze heures quand l'OPJ vient le chercher. Il est conduit dans un bureau près du sien. L'expert une petite femme sèche mais pas désagréable est assise à un bureau avec un radiateur électrique à côté. Elle l'interroge sur son passé médical et social entre deux appels téléphoniques reçus. Il lui explique sa schizophrénie-paranoïaque. Elle s'insurge, vous n'êtes pas schizophrène, vous avez fait des bouffées délirantes aigües. Première fois qu'il entend ces mots qui résonnent en lui comme une libération. Il continue sur son parcours avec les assistantes sociales et le Secours populaire. Vous, vous êtes allés au Secours populaire lui lance-t-elle droit dans les yeux, relevant la tête de ses notes pour la première fois. J'y suis allé réplique-t-il. Durant deux ans, j'y ai fait du bénévolat et chaque mois, je percevais un colis pour nourrir mes filles redit-il comme il l'avait fait avec l'OPJ. Il lit dans les yeux de cette femme sèche, habituée à rencontrer toutes sortes de délinquants et de vrais durs, une estime réelle pour cet homme fière qui s'est abaissé à mendier pour ses enfants jusqu'à ce qu'ils partent de chez lui vivre leur vie d'adulte. L'entretien terminé, il est une nouvelle fois ramené à sa cellule froide et humide. Il a pu récupérer son pull et supporte mieux cette ambiance. Il a aussi gardé ses lunettes depuis son retour de l'Hôtel Dieu pouvant voir clairement tout autour de lui. Une nouvelle heure d'attente s'écoule avant que l'OPJ ne revienne. C'est terminé lui lance-t-il avec un grand sourire. C'est terminé comment répond l'ancien. C'est terminé terminé répond-il. La procureure de Paris a levé votre garde-à-vue, toutes les poursuites contre vous sont abandonnées. Son innocence a-t-elle était entièrement reconnue se demande-t-il ? Ils montent une dernière fois l'escalier, croisant une dernière fois le vélo K. Toute cette histoire a remué beaucoup de choses en moi, surtout autour de ma séparation d'avec mon épouse dit-il à l'OPJ. Arriver dans le bureau, il doit signer encore des papiers. Sortant innocenté de cette accusation, il pourrait envisager de se retourner contre la furie. Ce n'est pas forcément une bonne idée, lui avait répondu son avocat. Elle n'a pas cité votre nom dans ses déclarations sur Internet. Avait-il reçu des instructions de le modérer du Parquet qui l'avait missionné ? La question et le doute subsisteront en l'absence de preuves contraires… L'OPJ lui signale qu'il peut demander la destruction de sa fiche signalétique dressée ce matin et que la Procureure a demandé son inscription au fichier des personnes connue des services de police. Combien de temps dure cette inscription ? Elle n'a pas de limite. C'est à vous d'en demander la radiation. Son innocence n'est donc pas totale pense-t-il au fond de lui-même, désabusé. Ils redescendent et cette fois-ci c'est vers la sortie par la grande porte qu'il se dirige. Il récupère ses affaires, sa ceinture et ses lacets. Il les remettra plus tard. L'OPJ lui tend sa carte d'identité et la carte de visite de son psychiatre qu'il avait apportée avec lui pour qu'ils le contactent. L'ont-ils fait ? Il récupère aussi son ordinateur, sensé ne pas avoir quitté ce placard. La Procureure n'en a pas demandé l'exploitation lui avait dit l'OPJ. Peut-être qu'elle n'avait surtout pas envie que ce qui s'y trouve se retrouve  dans le dossier d'enquête à la disposition d'éventuels indiscrets, notamment journalistes… Il sort heureux, heureux d'avoir retrouvé la liberté, même si son innocence n'a été dite qu'à demi. On dit que la prison change un homme, ces deux jours l'ont changé, deux jours où il fut face à lui-même, face à ses accusateurs, face à plus grande misère que la sienne une fois de plus. Il s'engouffre dans le métro et se dirige vers gare de l'Est pour renter chez lui. Il n'a toujours pas remis sa ceinture ni ses lacets. Arriver à gare de l'Est, il s'achète de quoi se restaurer. Si vous lui demandez quel goût a la liberté, il vous répondra le goût d'un sandwich poulet crudités et d'un Orangina.

 

A la sortie du train, il se dirige vers le centre commercial d'à côté de la gare, toujours sans ceinture ni lacets. Il monte la longue rue et entre dans le centre. Que va-t-il y faire ? Chercher un DVD qu'il a commandé le 13 octobre au soir. Puis il prend le bus et rentre chez lui. La porte vitrée de sa cuisine est ouverte, il était pourtant certain de l'avoir bien fermée en partant. Il rentre, rien ne semble avoir disparu. Sa petite chatte l'attend toute heureuse de le revoir. En sortant du commissariat, il avait envoyé un message à sa fille. C'est terminé, tout c'est bien passé. Il pose son sac-à-dos, enlève ses chaussures et donne à manger à sa chatte. Il sort le DVD de son carton, le met dans lecteur, puis s'assoit dans la banquette en vieux cuir bleu-usé. Le film démarre, c'est Coup de foudre à Notting Hill. Dans les mois qui vont suivre, pas un jour ne passera sans qu'il ne regarde ce film, ce film au goût de liberté…

 

La morale de cette histoire est qu'il se jura qu'on ne l'y reprendrait plus de vouloir faire d'une relation de la vie virtuelle une relation de la vie réelle.

 

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