Alexandra

Elle s'appelait Alexandra. J'ai rencontré Alexandra un jeudi matin. Nous étions tous les deux à une réunion de pré-rentrée en formation de moniteur-éducateur. Nous étions une quinzaine dans cette salle du centre de formation de cette ville de banlieue. J'étais le plus âgé et nous étions seulement deux hommes. Comme a dit la formatrice, le domaine de l'action sociale attire plus de femmes que d'hommes. Peut-être est-ce votre instinct maternel qui vous pousse à aider les autres plus que les hommes. Des machistes pourraient dire que c'est parce que vous êtes physiquement moins fortes que les hommes que vous avez besoin, mesdames, de vous affirmer sur des personnes affaiblies. En effet, dans le milieu de l'aide sociale, que ce soit à l'enfance ou aux adultes, nous sommes face à des personnes dans un état de plus grande faiblesse psychologique que habituellement les gens ordinaires. Elles sont plus faibles parce qu'elles sont nées ainsi par des erreurs de la Nature, ou les conséquences chimiques de la vie moderne sur la santé de leurs parents, ou encore parce qu'au grand jeu de la vie, elles ont misé sur le mauvais numéro alors que le croupier disait : rien ne va plus, les jeux sont faits et qu'il lançait la roulette. Noir, impair et manque sortait alors qu'elles sortaient du ventre de leur mère. Alexandra est de ces personnes qui entrent dans la vie en perdantes. Enfin presque car elle est plutôt jolie. Certains, certaines pourraient même la trouver belle. Mais être belle est-il toujours un avantage quand on rencontre des prédateurs ?  Elle est aussi gentille. Mais être gentil est-il un avantage quand on vit dans un monde de violence ? Elle est intelligente également. Être intelligent est considéré comme la chance de la vie, la plus grande même par beaucoup. Mais être intelligent, c'est être interdit d'ignorer toutes les injustices de la vie, de la société, toutes les parts d'ombre des hommes et des femmes que nous croisons tout au long de sa vie. Je pense que l'intelligence devrait être classée parmi les handicaps invisibles. Nous devrions prendre grand soin de tous ces enfants vraiment très intelligents, à la sensibilité exacerbée dans une société humaine pire que les jungles tropicales et équatoriales. A-t-on pris suffisamment soin de Alexandra enfant ? La mère d'Alexandra a été adoptée et n'a pas eu la fibre maternelle. Alexandra n'a pas eu de père. Pas le biologique, celui-ci, nous l'avons tous et toutes eu. Je parle du père éducateur et protecteur, celui qui nous apporte tout ce qu'une femme ne peut pas nous apporter n'en déplaise aux pourfendeurs de la famille hétérosexuelle classique. Ne pas avoir de père ou de mère pour grandir ne signifie pas avoir manqué d'amour, ça veut dire n'avoir pas eu l'exemple de celui ou de celle chargé par la nature humaine et la société de nous transmettre les valeurs et le mode de vie de notre sexe ou genre selon le vocabulaire accepté par chacun et chacune. Bien sûr, des femmes préfèrent que leur fils ou leur fille n'ait pas l'exemple d'un mauvais père, selon elles, pareillement pour des hommes au sujet d'une mauvaise mère. Chacun, chacune fait ses choix pour lui et pour elle et l'impose à son enfant. Contrairement à ce qu'a dit le philosophe et que disent les Droits de l'homme et du citoyen, nous ne naissons pas libres et encore moins égaux en droits. Nous naissons tous et toutes prisonniers et prisonnières de parents qui choisissent pour nous, prisonniers et prisonnières d'une société qui a ses lois et ses règles auxquelles nous allons devoir nous soumettre ou les affronter. Certains et certaines naissent prisonniers et prisonnières d'une nature et d'un sort qui ne leur auront pas donné toutes les chances au début d'une vie à laquelle, qu'ils l'aiment ou la détestent, ils ne pourront pas changer grand-chose pour la plupart. Dans cette société de prisonniers et prisonnières, Alexandra a choisi d'être la gardienne. C'est dans un centre pénitentiaire de la région lyonnaise qu'elle travaille aujourd'hui. Lieux d'enfermement, lieu de punition, lieu de violence, est-elle vraiment à sa place ? Elle s'y croyait et, aujourd'hui, ne le pense plus. Peut-être trop gentille, trop jolie, trop intelligente, Alexandra est la victime d'un harcèlement moral et peut-être autre de la part de ses collègues et de sa hiérarchie là où elle travaille et vit tous les jours. Tel un hamster russe, elle est le membre désigné par le groupe comme devant être la tête-de-turc. On ne l'isole pas, au contraire, on la recherche pour lui nuire, la martyriser. Dans ce monde binaire où l'on est d'un côté ou de l'autre des barreaux, être trop proche de ceux et celles qui sont derrière, être trop bon, trop bonne avec, vous exclut du groupe des gardiens et gardiennes de ces mêmes barreaux. Vous ne pouvez pas être derrière et devant, il faut choisir ! Alexandra n'a pas voulu choisir par humanité envers ceux et celles qui sont derrière. Alexandra a refusé d'ajouter son jugement personnel de leurs fautes à celui de la justice de la société. On reconnaît un arbre à ses fruits, disent les Saintes Écritures. De toutes les Saintes Écritures, chacun, chacune en retient ce qu'il veut et désire, y donne l'interprétation qu'il et elle ont envie. Alexandra est croyante, chrétienne et catholique, elle en a retenu la Miséricorde Divine. Pour tous ces prisonniers et prisonnières, Alexandra a de la compassion. Elle en a sans doute même pour ses collègues et sa hiérarchie qui la briment. Quand elle parle d'eux et d'elles, il n'y a ni haine ni colère dans sa voix. Il n'y a que des larmes dans ses yeux. Elle est la brebis, l'agneau, le bélier que l'on sacrifie à un dieu de colère et de vengeance que l'on croit qu'il est. 

 

Le lieu où son sacrifice doit être exécuté est dans cette salle de pré-rentrée, ou bien est-il l'échappatoire de sa prison ? La réunion n'a pas encore commencé. Elle est assise derrière moi, m'appelle et me tire le vêtement comme un enfant le ferait avec son père. Avec Alexandra, nous avons trente ans d'écart. C'est vous qui avez appelé l'Hôtel-de-vie me dit-elle. Je lui réponds que oui mais que j'ai été rejeté à cause de mon âge. Elle est l'autre candidat pour un poste en alternance de moniteur-éducateur auprès de handicapés âgés. Trouver un emploi est impératif pour être définitivement accepté dans cette formation. Il ne reste plus que trois semaines pour cela. Dans cette course au travail, à la reconversion, je ne suis n'y une femme, ni un étranger, ni noir ou arabe, ni obèse, ni handicapé. J'ai le pire des obstacles dans l'accès à l'emploi, je suis vieux. Je viens d'avoir soixante ans et on vient de me le jeter à la figure pour refuser ma candidature. Le responsable de l'hôtel-de-vie était prêt à étudier favorablement ma candidature au regard de mon parcours professionnel et de vie, de mes compétences, mais son directeur, plus âgé que moi, l'a refusé pour cette unique raison, sans me rencontrer, sans chercher à savoir qui je suis, quels sont mes projets d'avenir. A ses yeux, je suis seulement un vieux et ça suffit pour m'exclure du jeu. Il n'est pas le premier. Dans la course au travail, je n'ai pas le droit de prendre le départ par raison d'âge. Je suis exclu du monde du travail comme des dizaines de milliers d'autres que l'on regroupe dans les plans sociaux d'exclusion appelés "Mesure d'âge''. Certains et certaines en sont heureux, commençant leur retraite plus tôt. Surtout qu'eux et elles ont, pour beaucoup, commencé à travailler jeunes et ont exercé des métiers pénibles les ayant usés bien avant l'âge. J'ai commencé à travailler jeune aussi, à seize ans. Je n'ai pas exercé un travail physiquement pénible, le mien, les miens étaient seulement stressants dans un environnement professionnel très exigeant, la banque, dans une entreprise extrêmement exigeante puisqu'une des toutes premières mondiales. J'y ai fait un beau parcours professionnel sans qu'il soit extraordinaire, me contentant de faire régulièrement mieux et de suivre des formations me portant toujours plus haut. J'ai fait cela jusqu'à atteindre un plafond de verre qui faisait que mes perspectives de carrière s'amenuisaient. Ce plafond de verre était déjà celui de l'âge. J'avais eu le tort de ne pas m'être pressé, de ne pas avoir été ambitieux et je ne le suis toujours pas. Après des années de chômage, ma seule ambition est de retrouver un travail. Je ne cherche même pas un travail de cadre comme je l'étais. Régulièrement, on me demande : pourquoi êtes-vous parti de la banque ? Je l'ai quittée parce que la banque, mon entreprise, mon autre vie, venait de broyer physiquement la femme de ma vie dans un accident de karting lors d'un séminaire professionnel organisé par des ambitieux incompétents. Elle aussi y travaillait. Aujourd'hui, aux yeux de tous et toutes, ou presque, je suis devenu incompétent à tout ou presque de ce que j'avais exercé par raison d'âge et d'un chômage trop long. On oublie tous les combats que j'ai menés et gagnés durant ces vingt-six ans de ma carrière professionnelle, on oublie tous ceux menés et gagnés durant ces quatorze ans de chômage pour ne retenir qu'une seule chose, je suis un chômeur âgé, très éloigné de l'emploi selon le vocabulaire du domaine, trop âgé pour retravailler. Dans cette salle, tous les autres ont la trentaine ou à peine comme Alexandra. Seule une femme de type espagnole, juste dans mon dos comme pour se cacher, a passé la cinquantaine. A-t-elle trouvé un employeur ? Je ne sais pas, je n'ai pas vu sa réponse quand la question a été posée par la formatrice. Une chose est sûre, c'est que si nous n'avons pas trouvé, c'est de notre faute ! C'est difficile à trouver et on nous l'a dit, il fallait s'y mettre avant d'avoir les résultats de la sélection. Ah bon, on nous l'a dit ? Comme moi, tous semblent surpris par ces mots, comme pour la date-couperet, si proche. Si on ne le sait pas, c'est que l'on ne s'est pas suffisamment renseigné, nous dit-on. Ce n'est pas de leur faute, c'est de la nôtre ! Ce n'est jamais de leur faute, c'est toujours de la nôtre. Combien de fois, j'ai entendu cette phrase dite ou sous-entendue ? Si nous sommes dans la prison du chômage depuis si longtemps, condamnés par une justice sociale tout aussi aveugle que la justice pénale, c'est que nous sommes coupables ! Mais coupable de quoi ? Quelles sont nos fautes, nos crimes pour être condamnés à de longues peines, à la perpétuité pour certains et certaines ? 

 

Alexandra a donc trouvé un employeur, le même qui m'a rejeté en raison de mon âge. Alexandra a vingt-neuf ans, toute la vie devant elle, jeune et dynamique comme le laisse entendre son CV. Il l'a acceptée sans l'avoir reçue comme cela se fait habituellement en matière de recrutement. Il s'est contenté d'un entretien téléphonique. Pourquoi pas ! Il avait le choix entre une jeune et un vieux, il a choisi la jeune, la jeunesse, l'avenir. C'est ainsi, tant mieux pour elle, tant pis pour moi, alea jacta est ! Alexandra l'avait appelé la veille de cette réunion et croyait que nous étions encore en compétition. Il s'était bien gardé de dire qu'il m'avait jeté à la demande de son directeur. C'était sûrement une façon de mettre la pression sur Alexandra. Ce doute dans ses paroles l'arrangeait intérieurement peut-être bien aussi car Alexandra est encore engagée avec son actuel employeur, l'Administration Pénitentiaire. Le directeur de son centre pénitentiaire veut se débarrasser d'elle mais il n'y est pas encore arrivé. Elle s'est rebellée et résiste à un licenciement. Le premier motif est l'inaptitude médicale. Le harcèlement a porté ses fruits et Alexandra est tombée en dépression nerveuse. Elle est en arrêt maladie suivie par un psychologue et un psychiatre. Le médecin du travail du centre pénitentiaire a naturellement approuvé cette mesure d'expulsion. Alexandra a fait un recours et le médecin-expert a été à l'encontre trouvant son état temporaire et non définitif. Il lui a même dit qu'elle était intelligente et courageuse. Deux médecins, deux hommes différents, deux diagnostics opposés ! Comme le motif médical semble s'écrouler, une procédure disciplinaire a été engagée contre Alexandra. Si elle ne débouche pas sur un licenciement, ce sera une mutation obligatoire dans un autre centre pénitentiaire. Si ce n'est pas du harcèlement, qu'est-ce donc ? Aller ailleurs pour recommencer dans de nouvelles conditions, pourquoi pas ? C'est ce qu'elle me dit lors de notre discussion d'après la réunion. Comme si elle allait faire cette formation, je lui montre le chemin pour aller prendre le RER. Nous habitons loin tous les deux, Alexandra encore plus loin. Nous sommes venus en voiture aujourd'hui mais y venir ainsi tout le temps coûterait trop cher même s'il divise par deux le temps de trajet. Je connais bien la ville car j'y ai travaillé durant presque dix ans. Ces retrouvailles, si elles se font, sont improbables. J'ai travaillé à cinq minutes de là, à la succursale de ma banque aujourd'hui déménagée dans une ville plus loin, et ai œuvré syndicalement à la bourse du travail pas très loin non plus. Durant ce temps de promenade, Alexandra s'ouvre à moi. Elle, qui a grandi sans père, en voit-elle un en moi ? Divorcé, je vois une jolie jeune femme, douce et inquiète ne sachant quoi faire. Elle a quelque chose d'un joli petit animal en détresse, de quoi attirer la compassion et mon intérêt pour elle alors que je devrais lui en vouloir. Si elle n'avait pas été jeune et belle, lui aurais-je porté autant d'attention ? Notre conversation, de l'aller au retour vers la gare du RER, a durée dix minutes, peut-être un quart d'heure, peut-être plus mais de pas beaucoup. Elle m'en a tellement dit durant ce court temps que j'eus l'impression qu'il a duré toute une vie, presque toute sa jeune vie. Du midi, la nuit aurait pu tomber que je n'en aurais pas été surpris. Le temps a sûrement dû se suspendre pour qu'elle m'en dise autant. On a continué de parler à sa voiture, elle fumant une cigarette et allumant rapidement une autre, la première à peine finie. Je lui ai dit : tu fumes trop, comme un père ou un ami. Alors que nous venions de nous rencontrer, nous étions déjà l'un avec l'autre comme si nous nous connaissions depuis toujours et que nous venions de nous retrouver après une longue séparation. Comme la vie est étrange de nous faire rencontrer ces âmes-sœurs avec lesquelles nous faisons un bout de chemin ensemble de quelques minutes, heures, jours, semaines, mois ou années. Toutes nos âmes-sœurs ne sont pas de celles avec lesquelles nous partageons des corps à corps sensuels et sexuels. Dans âme-sœur, il y a âme, cette partie immatérielle de notre être, cette partie spirituelle. Existe-t-il un univers parallèle, un univers quantique, dans lequel nous avons vécu avant de naître dans cet univers matériel soumis au temps ? Toi, vous, elle, vous ai-je déjà rencontrés dans une autre vie, ici ou ailleurs ? Alexandra est étonnée de ce que je lui dis sur elle, sur sa vie. On dirait que tu me connais déjà me dit-elle avec un beau sourire. Au fur et à mesure que nous parlons, les larmes quittent ses yeux qui s'illuminent, la rendant encore plus belle. Le petit animal craintif disparaît au profit d'une femme de nouveau combattante. Le conflit en elle pour choisir entre rester dans la pénitentiaire ou s'engager dans cette formation de moniteur-éducateur est toujours là. Elle a un choix à faire, un choix à la fois rationnel et de cœur. C'est de cette rationalité que nous avons parlé tout au long du chemin et continuons de parler. Alexandra est une femme avec la tête sur les épaules comme on dit. Quitter son emploi et s'engager dans une formation en alternance, c'est accepter une baisse de rémunération. Elle gagne  plus que le SMIC et dans une formation en alternance, ce serait le SMIC ou 85%. Elle a un loyer à payer, les charges courantes et un petit crédit pour sa voiture, les assurances et sa mutuelle de santé aussi. Combien va-t-il me rester pour manger et vivre au quotidien me demande-t-elle dans une question à haute voix qu'elle se pose à elle-même. Elle est entre la peur de ne plus avoir de quoi vivre et la souffrance de continuer de vivre dans la torture du centre pénitentiaire. Vivant du RSA depuis dix ans, je sais ce qu'est la précarité, la vraie. Je connais celle de quitter sa maison pour ne pas savoir où aller dormir le soir, celle de l'hôtel social partagé avec des migrants ayant survécus à l'aventure meurtrière d'un voyage de plusieurs milliers de kilomètres à travers chemins et mers, de dormir par terre des mois d'hiver dans une sacristie mal chauffée et pleine de courants d'air avec tout de même un lavabo d'eau froide et des toilettes, de vivre et dormir dans la rue et les bois avec les autres sans-abri, d'aller manger, se laver et laver son linge dans les accueils de jour d'associations pour lesquelles la misère est un commerce très rentable et celles confessionnelles motivées par leur seul cœur et la compassion de leurs bénévoles. Oui, la maladie, le handicap, la misère sociale sont très payants, très rentables pour certains et certaines. Dire ça n'est-ce pas cracher dans la soupe quand on frappe à leur porte pour obtenir un travail et un salaire ? Peut-être, ou c'est juste garder les yeux ouverts face à la communication, au marketing du commerce de la souffrance et de la faiblesse. Ne pas se questionner sur le sort et le pourquoi d'une femme étrangère vivant à l'étranger qui accepte de faire un enfant pour l'abandonner dès sa naissance, n'est-ce pas une autre forme d'aveuglement par de riches hommes et femmes, différents de tout le monde par leurs choix sexuels ou une stérilité naturelle, qui se disent oppressés par la société ? On interdit le trafic d'organes et le travail des enfants mais on accepte le commerce international des bébés au nom d'un droit à l'enfant que la nature ou nos choix de vie nous interdisent. Nous avons tous et toutes nos petits arrangements avec notre conscience, nos petits et grands crimes qui nous font fuire l'œil de Caïn qui finira par toujours nous rattraper dans la tombe. J'ai les miens, Alexandra a sans doute les siens aussi même si elle a l'air d'une innocente derrière des barreaux. Aujourd'hui, tout ça est derrière moi, définitivement je l'espère même si la vie m'a appris à ne pas dire jamais ni toujours. J'explique à Alexandra qu'elle pourrait s'inscrire à des associations d'aide alimentaire comme Les Restos du Cœur, Le Secours Populaire ou Le Secours Catholique. Je les connais bien, non pas pour les avoir sollicités mais pour les avoir aidés de mon temps libre et de la disponibilité de mes bras devenus inutiles. Pour cette raison, je sais toutes les vertus et tous les vices des uns et des autres qui y participent ou les sollicitent. Où qu'ils soient, qui qu'ils soient, l'homme et la femme restent ce qu'ils sont par nature avec leur part de lumière et leur part d'ombre. Je n'y échappe pas. Qui veut changer le monde doit d'abord changer les hommes et les femmes qui y habitent et pour cela se changer lui-même ou elle-même aussi. A cela, Alexandra me répond, avec en partie raison, que si elle travaille et suit la formation, elle ne pourra pas y aller car les distributions se font les jours de semaine. Alors que j'étais sans abri, j'avais dit à une amie que tout ça n'était pas pour des gens comme moi parce qu'il fallait avoir un frigo pour mettre ce que l'on m'aurait donné. Vu de ceux et celles qui ont le bonheur de ne pas connaître la précarité, ils ont l'impression qu'il suffit de frapper à ces portes et d'autres vantées par les médias, journalistes et politiques pour résoudre tous nos problèmes. Notre conversation se continuant, Alexandra m'explique combien elle aime son travail. Quand elle en parle, son visage rayonne. Elle avait voulu mettre en place un atelier de théâtre, faire venir un rappeur pour tourner un court-métrage. Ça lui avait été naturellement refusé. Elle espère pouvoir le faire dans un autre centre pénitentiaire où elle serait mutée. C'est incroyable comment, d'un presque désespoir, Alexandra est de nouveau pleine d'énergie, d'espoir et de projets. Elle me dit avoir même trouvé une MJC prête à la suivre dans ce projet. 

 

Au centre de la réflexion d'Alexandra et de son inquiétude est d'avoir deux contrats de travail simultanément avec tous les risques juridiques résultant de cette situation, notamment de perdre à la fois son travail, sa formation et tous droits au chômage. Nous nous quittons là dessus après avoir échangé nos numéros de téléphone. On s'embrasse touchant nos bouches peau à peau à nos joues. Elle ferme sa portière de voiture, je retourne vers la mienne, nous repartons chacun vers nos vies respectives. A peine quelques heures ont passé et nous échangeons déjà les premiers messages par WhatsApp. Elle m'écrit qu'une troisième candidate ne va pas à l'Hôtel-de-vie. Je te tiens au jus, ajoute-elle. De mon côté, je lui dis que l'on va se revoir, que je vais lui faire visiter la cathédrale. Alexandra, comme croyante, attendait un signe du Ciel pour la guider. Je lui avais dit, avec une certaine vanité, que je suis ce signe découvrant mon chapelet autour du cou. Ça avait ajouté à sa joie et nous avait rapprochés un peu plus. Nous nous découvrions frères et sœurs en Jésus-Christ et avoir la Vierge Marie comme même mère et Dieu comme même père. Quelle Divine Providence a voulu cette rencontre entre Alexandra et moi ? Est-elle cette consolatrice que je demande depuis si longtemps et si souvent dans mes prières ? Ou est-ce que je suis juste un envoyé de Dieu pour la guider sur son chemin de vie ? Quelle prière Dieu a-t-Il entendue et exaucée ? La sienne ? La mienne ? Les deux ? Qui vivra verra. Quelques jours plus tard, Alexandra m'envoie un message vocal dans lequel elle dit s'engager dans la formation de moniteur-éducateur. Son recours contre l'inaptitude médicale a été rejeté et elle doit quitter l'Administration Pénitentiaire. Sa voix a perdu la joie qu'elle avait quand nous nous sommes quittés et retrouvé la tristesse de ses inquiétudes, de comment va-t-elle manger. Elle avait une reconnaissance handicapée qu'elle va relancer pour avoir l'allocation qui va avec. Dans un ultime coup tordu, comme elle a trouvé une formation, ils lui proposent que ce soit elle qui démissionne ! Je lui déconseille car si, pour une raison ou une autre, elle ne poursuit pas la formation, elle va se retrouver sans droit au chômage. Finalement, sous la pression du temps, Alexandra choisit la démission. Les salopards ont gagné une fois de plus !

1364669 une surveillante penitentiaire dans les couloirs de la prison des baumettes a marseille le 26 octobre 2018

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