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Ailleurs est ici

Où est-ce ailleurs ? Qu'est-ce être ailleurs ? Didier, où es-tu, me disait mon instituteur. Où étais-je ? Ailleurs ! J'ai toujours été ailleurs, trouvant ici pas toujours comme j'aimerais qu'il soit. Alors je partais ailleurs et laissais ici mon corps charnel, m'évadant dans mon corps onirique par un train de rêves aux nombreux wagons. Quelle destination me demandait l'employé des trains de rêves. Ailleurs, lui répondais-je. Vers quel ailleurs voulez-vous allez ? Un ailleurs loin, très loin, pas trop loin, ou tout proche ? Ma réponse variait selon le moment, le lieu, l'humeur, le poids de l'ici. Il m'arrivait de prendre une fusée déjà fumante pour décoller d'ici rapidement, très rapidement, pour aller loin, très loin. Mais où que j'aille, je finissais toujours par revenir ici, rapidement, parfois très rapidement, toujours trop rapidement. On est si bien ailleurs quand ici nous pèse comme une avalanche vous écrasant d'une neige étouffante, loin de la neige joyeuse sur laquelle glissent en luge les enfants rieurs et les skieurs talentueux. Ailleurs est forcément agréable, sinon à quoi cela servirait-il de partir d'ici. Beaucoup rêvent à des ailleurs de plages, de plage aux soleils exotiques, de plages aux soleils couchant, seuls ou accompagnés. Ailleurs n'est pas forcément vide, il peut être habité. Il peut être habité d'ombres ou de corps aux visages flous, ou encore de visages connus au corps d'ombre. C'est dans cet ailleurs qu'on peut retrouver tous ceux et toutes celles qui ont été nos compagnes et compagnons du passé, devenus ombres du présent. Enfants, jeunes, adultes et vieux, ils sont notre peuple onirique qui voyage avec nous dans notre train de rêves.

 

Nous passons d'un wagon à un autre pour les rencontrer et les retrouver. Nous nous asseyons en face ou à côté quand nous souhaitons sentir leur présence plus que les voir. Puis nous entamons la discussion. Parfois, ils nous écoutent en silence dan un sourire réconfortant. D'autres fois, ils nous répondent, approuvant ou réprouvant nos paroles, toujours avec douceur. Peut-être que pour vous la douceur n'y est pas toujours, mais pour moi si. A quoi servirait de fuir cet ici, si c'était pour retrouver ailleurs la même dureté. Peut-être est-ce pour cela que tous ceux qui ont vécu l'expérience de la mort imminente disent que ceux qui les attendaient étaient doux et bons dans une lumière agréable. Cet ailleurs définitif où nous irons tous n'est-il que la version aboutie de tous ces petits ailleurs temporaires que nous visitons quand ici nous pèse ? Peut-être que ces petits ailleurs ne sont-ils là que pour nous préparer à ce grand ailleurs, gare terminus du chemin-de-fer de notre vie. Moments d'échappatoire, gares de triage entre ici et ailleurs où mon wagon se détache du train de la réalité pour rejoindre le train des rêves, que je vous aime. De nuit comme de jour, vous voyagez vers la lune pleine, entre les étoiles fixes et mouvantes, croisez quelques étoiles filantes, rêves commandés par qui, trop enchainé à l'ici, n'arrive pas prendre son train de rêves pour l'ailleurs. Alors du haut de son ciel onirique, sont envoyés des météores de rêves frapper son ici, laissant un trou où il pourrait chuter. Chute salutaire quand, perdant l'équilibre, nous basculons et avec nous notre monde d'ici, se renversant pour nous montrer l'autre face de l'ici, l'ailleurs. Sur l'ailleurs, quand nous manque le temps d'un voyage, nous pouvons ouvrir une fenêtre et y passer quelques instants la tête pour en humer l'air frai ou chaud, vivifiant ou réconfortant.  Difficile de laisser ouvertes ces fenêtres sur l'ailleurs tant elles provoquent de courants d'air avec l'ici, tant sont différents leurs climats. Certains, à force de patience, d'habilité et de pugnacité, arrivent à laisser entrouvertes de leurs fenêtres pour que l'air doux de leur ailleurs adoucisse la dureté de celui de leur ici.

 

Dans les couloirs de mon école, enfant, regardant par une des fenêtres, je croisais le regard d'un de ces enfants de la lune de l'ailleurs. D'un sourire entendu, nous nous donnions rendez-vous pour plus tard quand d'une voix haute l'instituteur lançait Didier où es-tu ? Dans le rang répondais-je et un éclat de rire parcourait mes camarades de l'ici tel un vent frais parvenu par cette fenêtre entrouverte un instant sur l'ailleurs. Puis, tel un tonnerre, s'abattait sur les rangs des joyeux l'ordre implacable : silence ! Silence ce mot d'ordre que les maîtres de l'ici nous assènent depuis notre plus tendre enfance. Eux seuls décident de quand on doit parler, rire ou se taire. De fou est qualifié celui ou celle qui rit à tout propos, attirant les regards courroucés des maîtres de l'ordre établi ici. Défendu de désordonner l'ordre établi ici par un ordre venu d'ailleurs, un ailleurs répondant à un autre ordre que l'ordre d'ici. Entre ici et ailleurs, il ne peut se croiser que du désordre. Le désordre poétique de l'ailleurs vient bousculer l'ordre métrique de l'ici qui va alors se faire tempête dans les plaines de l'ailleurs, renversant pots-de-fleurs patiemment entretenus, emportant feuilles devenues mortes à son froid souffle, faisant claquer volets et fenêtres aux chaumières, y soufflant la flamme de l'âtre, envolant les pages de poésies et renversant l'encrier qui de sa violette couleur blesse la table de bois doré obligeant à clore cette fracture de l'espace-temps entre deux mondes inconciliables. Alors le calme revient. Dans l'ici les hautes voix marquent le pas cadencé des insoumis d'un instant de rire redevenus soumis à la métrique règle de vie imposée par eux, pendant que dans l'ailleurs, un enfant poète, dans le calme revenu, nettoie lentement mais sûrement les dégâts faits par l'intrusion de la tempête de l'ici. Petit à petit, entre deux noires de la partition cadencées de l'ici, un soupir tente de se glisser, grignotant le mur de salpêtre de la classe-cellule où sont enfermés les enfants. Inutile de lever la tête pour chercher des yeux l'oiseau-lyre, il a été enfermé dans de savants ouvrages détaillant plume à plume l'intention poétique en une science du langage où la métrique crucifie ligne après ligne la rime du cœur du poète mise en échos ou laissée libre. C'est dans cette même classe-cellule que plus tard, devenus adultes et maître-substitut des maîtres-puissants, nous enfermerons notre enfant qui ne grandira jamais et restera blotti au fond de nous dans cet endroit magique appelé éternelle enfance.

 

L'enfance, c'est en elle que nous sommes nés. C'est elle qui nous a accueillis quand, sortant du ventre maternel, nous fûmes saisis par des mains inconnues nous obligeant à pousser notre premier cri. C'est ainsi que notre premier mot dans l'ici est un cri désarticulé. Comment ne pas comprendre alors cette envie de retour vers cet ailleurs où nous flottions dans une bulle d'amour, dans laquelle le son le plus audible était un battement de cœur. Quand on pose la main sur notre cœur, c'est dans l'espoir de retrouver la sensation de cette vie d'avant la vie d'ici. Quand on pose la main sur le cœur de l'autre, c'est pour retrouver ce lien qui nous unissait à cette inconnue que nous n'appelions pas encore maman. Maman ce mot simple, existant dans toutes les langues du monde, qui transforme une personne ordinaire en une personne unique. Ainsi en est-il de mots magiques, qui, prononcés, transforment votre vie et celle de celui, de celle ou de ceux qui l'entendent. Quand un mot ne suffit, nous pouvons en utiliser plusieurs reliés entre eux en une formule tout aussi magique, dont la plus belle de toutes est je t'aime. Elle n'a de magie que prononcée avec le cœur et non l'habitude d'un pas cadencé appris dans les couloirs de l'école, que reproduisent soldats et prisonniers. Ces mots et formules magiques, nous devons les dire non seulement avec la bouche mais aussi avec les yeux, car les yeux ne sont pas seulement reliés au cerveau par un nerf mais aussi par un canal invisible à notre cœur. Dits sans le battement de cœur qui doit la rythmer, aucune formule d'amour n'a de magie. Cette magie d'amour, inutile d'en chercher des maîtres enseignants dans l'ici. C'est dans l'ailleurs que vous devez d'abord les rencontrer. Seulement après, si vous savez apprendre leurs leçons dans l'ailleurs et les mettre en pratique dans l'ici, vous pourrez les rencontrer ici. Regardez bien dans les wagons de vos trains de rêves, observez bien tous les passagers, certains d'entre eux sont des clandestins de l'amour. Vous les prenez pour des passagers de l'habitude et n'y prêtez pas attention. Vous tournez vers eux la tête et croisant leur regard, vous croisez leur sourire. Ils ne disent mots et vous attendent à chaque voyage. Face à eux ou elles, est toujours une place libre, une place qui vous attend, qui n'attend que vous, interdite à d'autres. Ils ont la patience des montagnes et la douceur d'une fin d'été.

 

Vous, vous courrez de wagon en wagon vers la fin du train voulant tout voir avant la fin du voyage, alors qu'il suffirait juste de vous asseoir, de vous laissez transporter en regardant par la fenêtre du train défiler les paysages de l'ici et de l'ailleurs, monter et descendre les passagers et voyageurs de gare en gare, jusqu'à la destination finale. Que vous courriez ou que vous vous assoiriez, rappelez-vous que vous êtes dans le train de votre vie et qu'il n'y en a pas d'autre à prendre. Inutile d'en sauter en marche. Dehors, il n'y a plus d'ici ni d'ailleurs qui vous attende. Ici et ailleurs sont cet éternel présent appelé maintenant par certains et la vie par d'autres. Attention, dépêchez-vous de monter, le train vers l'ailleurs va bientôt partir. Une place vous y est réservée, en face de moi, si vous le voulez bien…

La vie revee walter mitty 001

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