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Mots et entre-mots

Texte écrit originellement sur Twitter le mercredi 27 avril 2016, sous la forme de 86 twittes, seulement revu, corrigé et enrichi de quelques mots utiles à sa compréhension et à la syntaxe.

Fuyant le froid de ce matin d'avril au beau ciel bleu, il se réfugie sous sa couette dans la chambre mi-close, poursuivi par le soleil. Twittos compulsif, ses fautes d'orthographe, ses mots mal choisis, ses erreurs, l'agaçaient ou le réjouissaient selon l'effet obtenu et le moment de la journée. Comme une ancre solidement accrochée au fond de la mer, sa paresse bloquait tous ses élans nés de ses envies et désirs de changer ou d'aimer. Incapable de s'asseoir à son ordinateur pour y dérouler son imagination en un long texte, elle s'exprimait cet après-midi de paresse en twittes, comme un hoquet. Les twittes s'empilaient sur l'écran de son smartphone, qu'il grattait comme une main qui vous démange, pendant que le chien dormait à côté. C'était une écriture compulsive. Il fallait que ça sorte, que ça sorte de lui. Il régurgitait toutes ces sensations, émotions et souvenirs. Il les régurgitait après les avoir digérés, transformés et intégrés à un plat littéraire, odorant et parfumé, de mots et entre-mots, pas un vomi de lettres, ni une chiasse de scribouillard. A l'instantanéité de l'impulsivité, il sacrifiait syntaxe et orthographe, se refusant de suspendre son temps créatif pour les règles d'usage. Seul l'attente du mot juste pouvait parfois arrêter le doigt tambourinant l'écran de son smartphone, complice de sa paresse de paresseux. Sans le connaître, il savait qu'il lui manquait, ce mot essentiel à son voyage littéraire en cours. Il regardait passer les mots, le cherchant. Dans sa tête, une voix silencieuse en faisait l'appel pendant qu'il patientait, ou s'impatientait quand le temps durait trop pour lui. Cheval fougueux, survivance d'une jeunesse morte, il trépignait dans son lit, changeant de position dans cette foule de mots inutiles. Que lui importait tous ces mots ordinaires alors qu'il cherchait ce mot extraordinaire, celui qui manquait à cette phrase marquante. Il n'y a pas de grand acteur sans grand rôle, ni de grand rôle sans grand acteur. Les grandeurs se multipliant, il faut aussi de beaux mots. Que serait la tirade de ce nez célèbre sans les mots le dévalant en cascade du front à la pointe allongée ? Un théâtre n'est-il pas un théâtre de mots, avant d'être un théâtre d'acteurs leur donnant son et vie. S'abandonner à la paresse du mot ordinaire ? C'est bien la seule paresse qu'il se refuse, ultime déshonneur que de laisser un mot ordinaire doubler l'indispensable au grandiose, le mot extraordinaire. Dans un spectacle de mots, le mot extraordinaire, déshabillé de son costume de scène, peut-être des plus banals dit dans la rue par le passant passant. Ce mot peut être un vieil acteur que nous ménageons et ne sortons que rarement, pour le magnifier et en honorer sa carrière ancienne et oubliée d'une jeunesse nouvelle, à la mémoire blanche de souvenirs anciens. Il en est ainsi des mots presque oubliés, devenus rares comme les vieux acteurs de notre vie ordinaire passée, qui peuvent rajeunir repris par une jeunesse active. Ainsi mythomane a resurgi des limbes du dictionnaire pour courir les cours d'écoles et de cités, retrouvant droit de citer dans la vie ordinaire de gens ordinaires. Ultime honneur que rend la jeunesse décernant ses oscars d'amour, il a eu droit d'être surnommé mytho. Petit nom, mytho devient gentil. Des insultant menteur et menteuse, des langues chercheuses de respect et de vérité sont allées chercher dans l'histoire passée ce mot du renouveau. Là ou d'autres fanfarons vont détourner un mot étranger qu'ils comprennent à peine, les ordinaires cherchent leur extraordinaire ailleurs. Cet ailleurs magique est le savant langage ou celui de leurs aïeux, d'ici ou de là-bas. Comme eux, il aime attraper un mot perdu ou savant. Il aime intégrer ces mots énigmatiques aux ordinaires, pour mettre un peu d'extraordinaire dans leur vie ordinaire, les obligeant à s'arrêter pour réfléchir.

 

Faut-il absolument attendre la fin d'un texte ou d'un livre pour réfléchir ? Doit-on absolument y courir du début à la fin sans s'arrêter ? Ne peut-on y musarder, de paysage de mots en paysage de mots, de mots d'hiver en mots d'été ou de printemps amoureux en automne mélancolique. Un texte est un recueil de mots, plat littéraire, recette linguistique que chacun agrémente à sa façon, classique, moderne ou innovante. Pareillement les uns multiplient les ingrédients et les pages pour étaler leur savoir-faire et d'autres concentrent leur art en lignes. Ainsi un gros livre peut être un étouffe-chrétien ou un repas gastronomique de mots et entre-mots, comme des mets et entremets, contenant de nombreux plats fins et délicieux au palais de notre langue. Dans une bibliothèque ou une librairie, la grandeur d'un ouvrage ne se mesure pas forcément à sa grosseur. Des amuse-bouches peuvent suffire. Quelques pages de quelques lignes, qu'on lit et relit, peuvent suffire à notre appétit de lecture. Ainsi en est-il de recueils de poésies. On pose ces petits recueils sur notre table-de-chevet et les ouvrons en même temps que la lampe d'avant-sommeil, en préparation au rêve nocturne. Rêve nocturne ou diurne, c'est dans l'entre-mots que lecteurs et lectrices plongent, profitant d'une virgule pour développer leurs décimales. L'entre-mots, espace vide réduit, est un trou béant où il est loisible de plonger dans le monde quantique de nos imaginaires multiples. De tous les entre-mots, celui d'après le point de paragraphe est une permission, de l'auteur au lecteur, à la pause pour rêver dans son paysage de mots. Le point de paragraphe n'est pas le baiser d'adieu du point final. Il est une bise déposée sur la bouche du lecteur et de la lectrice, les invitant à en transmettre son goût à d'autres pour qu'ils les accompagnent dans ce voyage de mots. Le point de paragraphe est un baiser-promesse donnant rendez-vous aux lecteurs et lectrices pour plus si affinités. Une goutte de parfum. Comme une femme rieuse, avec le point de paragraphe, l'auteur vous marque d'un doigt parfumé. Parfum volatil ou tenace, qu'on oublie ou pas. Les plus envoûtants vous empêchent de penser à autre chose jusqu'au prochain rendez-vous d'amour de mots-caresses ou de mots-griffures. Chaque écrivain a son style pour attacher ses lecteurs et lectrices au lit de ses fantasmes, sages ou déchaînés, maître de nos émotions. Les mots sortant du bout de ses doigts sont des aiguilles fines ou épaisses pénétrant notre corps émotionnel en points d'acupuncture. Hérisser de ces mots-aiguilles, lecteurs et lectrices se détendent ou se débattent dans les flots d'émotions déclenchés, de lin ou de cuir. L'écrivain peut être aussi dentelière, habillant nos rêves de dentelles romantiques ou érotiques, que l'on se plait toujours à caresser. Blancs, roses, noirs, rouges, arc-en-ciel, ces mots-dentelles sont indispensables aux ébats littéraires, au doigt mouillé qui tourne la page. Ce doigt mouillé qui touche la page de l'écrivain ou de l'écrivaine est la marque visible de la jouissance humide donnée par leurs mots puissants ou caressants.

 

Le plaisir jouissant de l'auteur écrivant se transmet à ses lecteurs et lectrices en ses mots glissant ou pénétrant leur corps et rêves. Combien d'hommes et de femmes n'ont-ils fait l'amour à des personnages de romans, qui les poursuivaient dans leurs émois publics ou solitaires de lecteurs et de lectrices passionnés. Ni écrire, ni lire n'est anodin. Le premier lecteur est l'auteur lui-même. Ainsi vit-il deux fois ses mots, les ravalant à peine crachés. Certains textes sont faits de la salive de travailleurs de force, quand d'autres le sont de la bave de déblateurs de vocation et profession. Les mots sont aussi des mots-voyages, nous accompagnant dans cette littérature de gare, où l'écrivain se fait conducteur de train ou de bus. Dans cette littérature de gare, les livres y sont best-seller à grande vitesse ou plus tranquillement, livres de banlieue grise, rose ou noire, ou encore livres à vapeur du temps passé. Combien de Jean ou de Jeanne y ont découvert un autre Pierre et Jean en Une vie, d'un Maupassant jetant ses mots aux passants-lecteurs de son temps passé et du temps futur. Les mots peuvent être des mots-de-passe ouvrant au voyageur les portes du temps et de l'espace dans l'épaisseur d'une feuille d'arbre lettré. Pas besoin de machine compliquée, juste besoin d'un crayon, d'une feuille, d'une main et de deux yeux pour traverser les galaxies étoilées. Les cerveaux de l'écrivain, des lecteurs et lectrices se connectent alors de mots, agrandissant l'univers en une immensité l'englobant plusieurs fois. Quiconque brûle un livre détruit une planète avec sa nature vivante et ses habitants sensibles. Brûler un livre devrait être punit de crime. Les autodafés collectives de livres, par les adorateurs d'une ignorance devenue reine, sont toujours des crimes contre l'Humanité. Dans l'histoire de l'Humanité, le jour où brûla la bibliothèque d'Alexandrie est des plus noirs. Si on peut exhumer des sables des déserts les ruines d'un temple, on ne peut exhumer un livre de ses cendres. Il n'est nul Phénix de papier. L'univers numérique est-il une galaxie-refuge pour sauver nos mots et leurs mots, ou un trou noir absorbant les livres, matière sensible de mots. Dans l'Histoire, l'humain a posé ses mots en bien des lieux, sur bien des surfaces et bien des objets, inventant et réinventant tout le temps. Animal social, après avoir inventé les mots, l'humain inventa comment les écrire. Les mots écrits sont ce qui nous différencie de l'animal. Même les civilisations sans écriture ont leurs mots-matière, paroles de couleurs, de traits, de croix, de signes. Les mots sont notre principal lien social. Comme être sans mots est le plus grand des handicaps pour un humain, Louis Braille a fait brailler les mots invisibles à l'aveugle. Les mots écrits parlent du parleur au sourd et donnent une voix au muet. Les mots sont traits d'union ou cris d'incompréhension. Ils séparent, réunissent ou rassemblent, hommes et femmes d'un même peuple ou de peuples différents.

 

Les paroles de mots s'envolent au vent de l'oublie pour qui n'a su les fixer. Qu'y-a-t-il de plus solennel que de s'asseoir à une table, de prendre une feuille, de se saisir d'un stylo et d'écrire ces mots lourds. Des mots lourds commençant par : Je t'écris parce que ce que j'ai à te dire est important. Derrière ces mots tout le devient d'obligation. Même s'ils ne sont pas écrits, il y a autres façons de les dire. Dans notre société de la machine, écrire à la main élève nos sentiments et nos mots. Les mots tracés de traits de main sont le prolongement de notre corps, ce nous-mêmes que nous habitons de nos gestes, nos autres mots. Ces mots écrits, de main de maître, d'esclave ou d'être libre, sont les chansons de gestes de ce que l'on à dire, à rire, à pleurer ou à crier. Quoi qu'ils soient, ces mots que l'on écrit sont dans tous les cas des mots qu'on ne peut taire, qu'on les envoie ou les enterre en un tiroir. Ces mots envoyés sont des mots-apocalypse qui dévoilent notre amour, notre colère, notre haine, notre patience ou notre impatience d'être. Il n'y a pas de mots dits ou écrits sans être. Seulement dans le silence on peut ne pas être. Et encore. Le silence n'est-il pas un entre-mots ? Dans le silence de l'entre-mots où on espère se cacher, nous ne sommes que dans l'ombre de deux mots nous éclairant. Ces mots choisis crient. Les mots que nous choisissons pour écrire construisent aussi cette forteresse de vides que sont les entre-mots. Est-ce d'autres mots ou juste des entre-mots vides de sens ? Qui sont les murs de notre forteresse d'écriture ? Qui sont les portes et les fenêtres ouvertes ou fermées sur nous-mêmes et nos secrets ? Qu'on tape les mots ou qu'on les écrive, on arrive à choisir peu ou prou ces autres entre-mots, les signes de ponctuation. Une virgule, un point de fin ou de suspension, ou alors d'exclamation, ou encore d'interrogation, ou bien un point virgule pour qui n'arrive à choisir. Autant d'entre-mots donnant au vide des sons différents. Ici un entre-mots va être soupir, là silence léger, ailleurs silence lourd de signification. Comme un point signe une fin finale ou une fin sans fin, un point n'est ce qu'il est que par ce qui le suit et le précède, alors que des mots peuvent être de par eux-mêmes sans être uni à un autre. S'il y a le mot du début et le mot de la fin, il y a le point final mais il n'y a pas de point de départ à un texte, celui-ci étant un mot. Pire ! Signant son texte, l'auteur peut retirer le titre de point final au dernier point et ne l'accordait à aucun signe d'usage en écriture. C'est alors un grand blanc signifiant la fin du texte, qu'aucun signe significatif ne signe de son signe particulier la signant habituellement. Ainsi tout texte, court ou long, se termine par un vide interminable, tombant dans le vide entourant la page finale pendante du livre. Mais n'est-ce pas aussi le vide qui borde la première page ? Ainsi, un texte part du vide pour aller vers le vide, ne remplissant que de mots et d'entre-mots cet entre-vides que l'on appelle écriture. Ces mots et entre-mots tirés du vide par l'auteur resteront vides de sens tant qu'il n'y aura aucun lecteur et aucune lectrice pour les recueillir, orphelins de leur auteur qui les a abandonnés, posant sa plume, son stylo, son crayon ou quittant son clavier. Alors ils prendront un sens nouveau, le sens des vents de leur imagination à eux, pour les emporter au-delà du vide de l'oubli.

Mots entre mots

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