Le photographe et la fille aux ballons

Elle est assise sur un banc improvisé du port tenant à la main une collection de ballons prêts à s'envoler vers d'autres cieux. L'un des ballons nous sourit pendant qu'elle se gratte un œil l'air presque triste. Posté sur Instagram le commentaire de cette photo nous dit qu'elle n'a jamais quitté son île, alors qu'elle semble être déjà une jeune femme. Ce commentaire nous donne presque l'impression que de n'avoir pas encore quitté son île est la peine qui pourrait être la raison de ce frottement de l'oeuil. Lui, le photographe, les voyages il connait. Parlant cinq langues, de parents grecs, il est né et a grandi à Paris. La Grèce, c'est ses vacances dans le café de son grand-père.

Certains diraient qu'il est en vacances. Pour lui, c'est d'abord un retour chez lui, auprès des siens, sa famille, ses amis, son deuxième peuple, son deuxième pays. Quand on a des racines en Grèce, on ne doit pas se sentir comme n'importe qui. On est d'un pays qui fait parti des berceaux des civilisations de l'Europe, de l'Orient, de la Méditerranée et du monde démocratique. Démocratie est née en ces terres de Grèce et a conquis le monde petit à petit, au fur et à mesure que ses idées de gouverner pour le peuple avançaient et avancent encore, car hélas tout n'est pas démocratie. Revenir ici est un voyage, un voyage vers une enfance perdue, vers les siens retrouvés. Cette fille aux ballons est sans doute une étrangère pour lui et pourtant elle est de son peuple de coeur.

Je ne parle pas seulement de son peuple grec, je parle aussi de son peuple de photographie. Journaliste, animateur télévision et radio, il a une passion la photographie. C'est avec son appareil-photo qu'il se construit tout un pays de gens rencontrés au fil de ses interviews et de ses voyages. Si le pays est imaginaire, ses habitants sont bien réels même s'ils sont figés dans un instant d'éternité sur une photo le plus souvent en noir et blanc. Ce choix technique et artistique dénote d'une nostalgie qui doit l'habitait, lui l'émigré de deuxième génération comme disent certains. Parlant un français impeccable, sans accent, on oublie souvent qu'il est un français d'origine d'ailleurs comme bien d'autres. Parce qu'il est toujours impeccablement vêtu et qu'il anime nos soirées télévisées, on l'a accepté pendant que tant d'autres sont rejetés.

C'est ça le privilège d'être connu, d'être un animateur sympathique aimé, on fait oublié d'où on vient, parfois involontairement et même contre son gré. Pourtant, il ne manque pas une occasion de rappeler qu'il vient de Grèce. Il défend bec et ongles ce peuple, qui souffre dans cette crise économique et financière, pendant que des pays qui lui doivent tant le roule dans la boue. Au fond de lui, il doit en souffrir aussi. A quoi sert d'être connu, si on est juste un amuseur public que plus personne n'écoute quand on plaide pour ceux qui souffrent? De son voyage au pays de ses racines, il nous envoie chaque jour des cartes-postales sous la forme de photos de ces personnes qui font sa famille de sang et de cœur. A son retour, peut-être nous gratifiera-t-il d'une émission en prime-time sur ce beau pays où il nous dira toute la fierté d'un peuple tant dénigré dans nos journaux d'information.

En attendant, il se promène de lieu en lieu, son appareil-photo à la main, cherchant de son regard perçant d'autres regards à saisir. Un jour, c'est les yeux clairs d'un homme qui se couvre de boue pour soigner ses rhumatismes. Un autre, il nous envoie les yeux sombres d'une femme cavalière ou d'autres plus clairs d'un beau visage féminin allongé sur une plage. Ici, il tente de nous raconter l'histoire de ces mains fripées qui ont tant à dire. Là, Il s'arrête devant un petit orchestre de rue ou vieil homme et enfants jouent une danse de chez lui. Il attrape à la volée une ombre féminine la main tendue vers ce ballon de basket qu'il aimait tant dribler enfant sur ce terrain. De photo en photo, il nous fait partager ces gens du hasard ou des souvenirs et ces paysages qu'il aime. Ce il, s'appelle Nikos Aliagas. Cher Nikos continuez ainsi de nous faire rêver et de témoigner de vos rencontres ici ou ailleurs au fil de vos photos parce que nous aimons ça.