Créer un site internet

Fantômes de Noël

C'est un matin de février. La porte-fenêtre est ouverte, histoire d'aérer la maison. Le chauffage est éteint; d'ailleurs il n'a pas été allumé cette année. La vieille chaudière est restée éteinte faute de quoi l'alimenter. Seuls 2 poêles à pétrole et un radiateur électrique promené de la salle-de-bain à la chambre chauffent un peu là où il vit ou plutôt survit. Il sort à peine. Il reste sur la marche et s'appuie de l'épaule au mur. Il ferme les yeux et sent le soleil chauffer son visage en ce froid matin d'hiver. Cacher dans l'arbre, une colombe roucoule sans que son compagnon habituel ne lui réponde. Plus loin un autre oiseau chante. Ces chants d'oiseaux lui paraissent comme un peu de bonheur qu'une boîte-à musique jouerait à un vieux monsieur à l'âme caressée de ses souvenirs d'amour.

 

Il rentre. Il pousse quelques courriers lus et oubliés et s'assoie sur le bord d'une bergère en velours bleu-usé occupée par un empilement d'administratif et de revues de voyages qu'il ne fera jamais. Il regarde ses mains et commence à gratter une fois de plus une petite blessure à sa main gauche faite par sa petite chatte au nom céleste. Manie de solitude pour tromper l'ennui habituel des soirées-télévision remplies de mirages bon marchés. Il finit par la faire saigner. Il se fait un peu mal. Ça lui rappelle qu'il est toujours vivant. La douleur du corps est une vieille habitude. A l'heure où d'autres enfants sont réveillés par la tendresse d'une mère câline, lui c'est une grande infirmière à la chevelure brune et courte qui lui infligeait la piqure d'une pénicilline douloureuse sur des fesses mise à nues. De ces matins douleurs, il a gardé cette habitude de fuir le sommeil d'une douce nuit trompeuse finit par la lumière aveuglante trop tôt allumée et cette sensualité d'un amour sadique. De là aussi, son esprit est resté blessé d'un doux amour maternel qu'il n'a toujours pas trouvé.

 

Le matin de ses 6 ans fut aussi celui de son enlèvement dans les bras forts d'un ambulancier enveloppé dans une couverture de laine dés son réveil. Puis c'est la clinique mal nommée du bois d'amour. On l'endort et au réveil son ventre est balafré d'agrafes métalliques et froides. Le goût du froid métal, il le connait bien. Dans ses souvenirs est aussi celui de cet enfant allant joyeux une serviette blanche à la main suivant une belle infirmière. Puis c'est cette table froide et ces hommes qui lui plaquent sur le visage un masque de plastique sifflant comme un serpent. Suit le souvenir du viol de sa gorge par une froide pince métallique et ce goût de sang chaud. Nouveau réveil douloureux avec comme seul doudou la serviette rouge de son sang. Rendu à sa mère par l'infirmière complice des bourreaux, pourra-t-il un jour refaire confiance à tous ces gens qui lui sourit ?

 

Il lève les yeux et regarde le sapin de Noël encore tout décoré. Sapin de plastique fixé dans la joie éphémère d'un Noël déjà presque lointain, il conserve le souvenir de ces jours-cadeaux où le réveil est un de ces rares réveils attendus sans crainte. A côté, la crèche est elle aussi encore là. Elle a évoluée du début de l'Avent jusqu'à l'Épiphanie. Dans un décor de petits et grands sapins, sur un lit de mousse séchée, une cohorte de rois-mages, d'arche de Noé, d'un berger et ses brebis et d'un sage à la lanterne, l'Enfant-Jésus est encore sur son lit de paille entouré de ses parents adorateurs, du bœuf et de l'âne et d'un archange en prière. Sur le toit trône une vierge noire métallique aux allures de Notre-Dame de Lourdes. Déesse des miracles, elle accompagne sa vie pour en semer quelques uns ici et là, petits ou grands.

 

Dans ses oreilles raisonnent encore les sons des rires et des voix du dernier Noël ici fait. Ce sont ceux de ses filles et de leurs compagnons. Dernier moment de joie d'une triste année en ce jour de Noël qui se termina dans la colère, par cette femme à la dérive qui est arrivé à s'immiscer dans leur joie familiale par la complicité d'une naïve aux bonnes intentions. Sur la table reste un cadeau pour une douce et pieuse dame qu'il attend encore. A l'étage sur un mur, un tableau tropical la dissimule au regard profane. Là depuis longtemps déjà, c'est comme si la divine-providence avait voulu lui transmettre un message, celui d'une rencontre future. Homme seul, il vit avec des dames-fantômes. Celle d'une épouse qu'il aima profondément avant qu'un accident ne la transforme en harpie. L'autre est cette pieuse dame au service du Seigneur repartie dans son pays lointain qu'un petit lit et une Bible, sous un crucifix, attendent sous les toits. Il y a aussi cette grande dame qui hante ses pensées depuis trois ans. Elle n'est pas parfaite; comme tout le monde elle a ses défauts qu'il connait bien; bien mieux que d'autres qui n'en connaissent que l'écume du jour.

 

Cette imperfection la rend encore plus tendre à son cœur, là où d'autres, la croyant parfaite, la vénèrent pieusement comme une sainte relique qu'elle refuserait d'adorée et qu'elle se plait pourtant à faire croire qu'elle est. Orgueil d'une femme qui fut une enfant inattendue et qui toute sa vie dut forcer les portes qu'on lui refusait d'ouvrir, parce que femme, parce que jeune, parce que pas d'ici, parce que différente. Devoir se battre tout le temps pour avancer à son revers. Il forge en vous une vanité que seules les douloureuses épreuves de la vie arrivent à entamer. A peine le chagrin séché, cette vanité redevient cette armure brillante au dehors et rouillée au-dedans dont se parent ces guerriers et guerrières allant au combat pour se prouver à eux et à d'autres qu'ils valent mieux que ce qu'on les considère. Casqués d'un heaume à la vision étroite, comprendront-ils un jour qu'ils ne sont sous ce métal froid que de chaire, de sang et de sentiments ? Oseront-ils un jour déposer leurs armes et s'offrir désarmés à ceux qui les aiment pour ce qu'ils sont, des hommes et des femmes au corps et au cœur blessés par trop combattre.

 

Cette autre femme à la toison de feu fait aussi partie de son panthéon féminin. Avec elle il partage les sens des secrets magiques et les langages philosophiques aux sens multiples dont seule l'initiation invisible peut instruire. Comme elle, il sait que les fantômes sont bien plus réels que bien des personnes qui pensent l'être. Il, et peut-être elle aussi, les a affrontés et les a vaincus. Certes ils ne sont pas morts, mais ils n'ont plus d'emprise sur lui. De la forêt noire, par la prière, comme Poliphile, il en est sorti. Et comme lui, il continue sa quête de celle qu'il a vu un jour en rêve, Polia, la belle et noble Dame. Quand il se réveillera de son songe sera-t-elle là, ou un autre démon l'attendra-t-il encore une fois ? Une question le taraude. Continuera-t-il seul son chemin ou une de ses belles dames l'accompagnera-t-elle sur cette voie ou l'œuvre est d'amour et de magie comme l'est la vie ?

Le songe de poliphile

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×