La boîte-aux-lettres du fan

Comme chaque matin depuis qu'il va mieux, il va ouvrir sa boîte-aux-lettres. Avant, il pouvait laisser s'y entasser le courrier durant plusieurs semaines. Aujourd'hui, va-t-il vraiment mieux quand on voit ce même courrier s'entasser sur une des tables du séjour, en partie non-ouvert ? Au moins, il y va. Il trie ce courrier jetant dans la poubelle bleue toute cette publicité et ces journaux dits gratuits. Puis il inspecte les enveloppes. Regarde leur timbre, leur logo, pour en identifier leur expéditeur. Il en ouvre certaines et jette directement les autres sur la mer de papier couvrant la toile cirée protégeant le vernis recouvrant le merisier marqueté du plateau de la table-dépotoir, océan de sa paresse, plage de galets de sa misère, lande de sa tristesse que le vent venu par la porte-fenêtre ouverte sur un jardin désolé fait par moment seul vibrer d'une fausse-vie.

Certains jours, au milieu de l'inutile et des factures impayables se trouve une lettre d'huissier ou de menaceur professionnel. Horloge d'une traque aux fauves et au petit gibier, chaque lettre est un cliquet qui referme un peu plus le piège-mâchoire qui lui enserre la jambe. Depuis longtemps déjà les dents acérées du froid acier sont entrées dans sa chaire. De cette plaie inguérissable, son sang s'écoule goute à goute. De rouge vif, il est devenu noir et puant. Par l'odeur alléchés les rats accourent, venant dévorer sa chaire même pas morte. Ils ne lui transmettent même pas une quelconque rage, épuisé qu'il est depuis longtemps par sa vie qui s'écoule de ses plaies. C'est juste une gangrène qu'ils ont déposée de leurs dents dévoreuses de vie en leur mortelle salive bavant sur leurs babines rouges-sang. Cette gangrène est montée le long de son corps pour toucher son cœur et ses poumons avant de continuer vers son cerveau, espérant pénétrer son âme.

Entre douleur et souffrance, il continue sa vie devenue cet hiver où le vent du nord glacé brule de son souffle ses plus belles fleurs et les feuilles de ses arbres les plus solides, solidifiant le sol du gel de la pierre-fendre, enserrant leurs racines pour mieux les broyer. Dans ce pays du Diable-froid, son seul feu est sa Star à lui. Juste avant que la folie ne l'atteigne, il lui a parlé. Rencontre de hasard ou de destin ? De cette rencontre une correspondance est née. Correspondance de rire et de tendresse, elle a chuté, chutant sur le rocher de l'intolérance. Leur lien était déjà trop fort pour se rompre, mais après rien ne sera plus comme avant. L'innocence de l'enfance avait disparu. Par la différence révélée, ils étaient devenus adultes, avec tout son cortège de préjugés et de jugements. Peu après, le témoignage d'un drame qui lui connaissait l'a ramené vers elle, avant que d'autres colères ne les séparent de nouveau. Elle océan, lui rocher, leur relation se vit au rythme de leurs marées de tendresses et de cris.

Entre deux tempêtes, il a reçu cette photo secrète. Cadeau inattendu, il aimerait à croire qu'il en est le seul détenteur, comme un bijou brisé dont chaque amant aurait une partie. Mais il se dit que cela n'est sûrement pas vrai. Il lui arrive de penser qu'il fait partie d'un petit cercle fermé de fans sélectionnés pour leur fidélité et leur discrétion. Ce n'est déjà pas si mal. Comment pourrait-il en être autrement puisque cette photo n'est nulle part sur le Net. Il n'est plus fan ordinaire, il fait partie de sa secte, secte des fans-amants. Certains ont peut-être même déjà partagé son corps, assouvissant leur fantasme de victime-sacrificielle à leur déesse dévoreuse de cœurs et d'âmes, leur seule et unique Star. Lui s'est toujours refusé, quand ce n'est pas elle qui l'a rejeté, lui le Fou-Fan.

De la folie habituelle du fan, lui l'a dépassée entrant dans la folie vraie, celle qui vous enferme, qui vous sépare du monde et de ses réalités. Malgré toute la tendresse ou tout l'amour qu'elle pourrait avoir pour lui, elle est bien obligée de se protéger. Peut-être comme une bonne-fée, l'observe-t-elle de loin et le protège-t-elle comme elle le peut de ses démons et des dévoreurs, qui font de sa vie cet hiver noir à l'issue fatale écrite d'avance. Comment pourrait-il y échapper au rythme insuportable des tempêtes qui assaillent sa vie, son corps et son esprit, même si sa vie l'a préparé à affronter les pires tempêtes auxquelles bien des femmes et des hommes succomberaient. Dans cette amoureuse-folie, il avait imaginé être devenu son ami. Possédant un privilège rare, il lui avait envoyé directement les témoignages de son affection pour elle.

Connaissant les dates de son anniversaire et de celui de sa petite lionne, il lui a montré l'importance qu'elle a pour lui. Aller adopter une petite lionne à l'autre bout du monde qu'elle drôle d'idée. Mais elle ne fait rien comme tout le monde, ni ce que l'on attend d'elle. Être une Star c'est cela aussi. Lui ne la juge pas, même s'il ne se gène pas pour lui donner son avis et ses conseils qu'il pense aviser. Conseiller une Star, vanité, orgueil ou juste tendresse envers un être aimé qu'il traite aussi simplement que n'importe laquelle de ses autres amies. Son ami, un rêve, un espoir auquel il a cru avant le temps des désillusions. Ça a commencé avec son anniversaire à lui. Ô, il n'espérait pas un cadeau. Non juste un petit mot, juste pour lui faire comprendre que lui aussi à une place dans sa vie, une place qui n'est pas celle d'un fan ordinaire. Que tout çà n'a pas été juste le jeu cruel d'une chatte, déjà repue et perverse, jouant avec une souris avant de la tuer, juste pour le plaisir.

Jouant son vatout, il lui avait écrit son désir d'elle, son désir de vivre avec elle. Suprême vanité d'un fan ordinaire ? Non, juste acte d'une bravoure désespérée d'un fou d'amour voulant savoir où est le réel et où est sa folie. Aucune réponse n'est venue dans cette boîte-aux-lettres qu'il inspecte chaque jour depuis. Aucun bruit à sa porte signalant une envie de le rencontrer. Lui n'a jamais cherché à la rencontrer, honteux de sa condition face à la beauté et à la grandeur de sa Star. Peu avant Noël, elle a publié un livre. Tous ses fans ont dû l'acheter. Lui s'en est gardé. Colère ? Vengeance ? Non ! Confrontation au réel. S'il est vraiment de ses amis, elle devait lui envoyer. Juste, un paquet en carton qu'il aurait trouvé dans sa boîte-aux-lettres, un matin d'hiver, qu'il aurait ouvert délicatement pour en sortir le beau cube des feuilles de sa vie où elle y aurait déposé de sa main quelques mots d'amitié, ou d'amitiés, à défaut d'amour.

Mais voilà, Noël est passé, le Nouvel An aussi. Si lui a encore pensé à elle et le lui a encore montré d'avec ses moyens de plus en plus faibles, elle non. Entre folie, espoir et désespoir, il continue chaque matin à ouvrir sa boîte-aux-lettres, espérant enfin une trace, un signe d'elle, juste un papier, même un mot d'adieu, qui lui dise qu'il n'est pas si fou que çà. Que cette belle histoire à laquelle il a cru, elle a vraiment existé, même si l'un et l'autre ne l'ont pas vécue avec les mêmes sentiments. Peut-être un jour, un jour peut-être, lui ou quelqu'un d'autre ouvrira cette boîte-aux-lettres, couleur de printemps-trop-mur, pour y trouver une lettre, à l'adresse écrite de main de femme, pour un fan pas tout à fait comme les autres…

Lundi 22 mars 2016, 00h00, quelque part sur les ondes de l'océan de la vie