Lève-toi, chante, marche, prie

Il est 8h30, il se réveille. On est vendredi, un vendredi pas comme les autres. Ce mardi, alors qu'il était en train de twitter, un twitte s'est afficher : il y a une prise d'otages dans une église. Ce twitte ne venait pas de n'importe qui, il venait d'Aleteia. Aleteia est un média numérique spécialisé dans la communication des catholiques. L'information est donc des plus sérieuse. Il arrête ce qu'il fait et va regarder la twitte-line de i-télé, chaine d'infos en continue. L'information est confirmée. Rapidement arrive l'information : les preneurs d'otages ont été abattus, rapidement rectifiée en ils ont été neutralisés, euphémisme militaire habituel. Puis arrive l'autre information, il y a deux victimes. Le complément est macabre, une des victimes est morte, l'autre est entre la vie et la mort. Complément choquant sur notre territoire : les victimes ont été égorgées. On est habitué à ce genre d'information venant de pays lointains, d'Afrique ou du Moyen-Orient, mais pas ici, pas chez nous. Qui donc peut avoir fait cette atrocité. Des jeunes de confession musulmane, désirant porter le djihad chez nous qui est aussi chez eux. C'est jeunes sont français, nés en France et vivant en France. Leur djihad, qu'ils veulent guerre sainte, est une guerre civile qui ne dit pas son nom. Une guerre de révolte d'une jeunesse à la culture de déracinés, vivant au milieu de banlieues et de cités où il faut plus souvent choisir entre le chômage et les trafiques en tous genres qu'entre plusieurs propositions d'embauches. Ces terroristes de chez nous, mêmes s'ils ne sont pas tous des désœuvrés, vivent au milieu du désœuvrement et de la misère sociale. Si ce n'est eux qui sont touchés par ce désœuvrement, ce sont leurs frères, leurs sœurs, leurs cousins ou cousines, leurs amis, leurs parents. Paumés de notre société en crise économique structurelle comme de notre civilisation qui se cherche de nouveaux repères, entre mondialisassions globale déshumanisante et réflexes identitaires mythologiques. Face à ce monde synthétique à la nature industrialisée et chimisée, chacun recherche sa part de nature et d'histoire naturelle. Tous ces errants sont des proies faciles pour ces apprentis dictateurs, qui, n'ayant pas trouvé leur place dans nos hiérarchies excluantes, refoulant les différences, cherchent à instaurer dans notre désordre actuel leur propre ordre. C'est un ordre venu d'ailleurs, professé par des prophètes de l'horreur, se référant à un prophète qui a engendré tant de grandeur, créé une religion qui unit tant d'hommes et de femmes à travers le monde autour d'un livre rempli d'amour pour l'autre, dans lequel ces prophètes de malheur ne lisent que ce qui les arrange et arrangent le reste pour l'ajuster à leur enseignement de la haine. La haine et l'ignorance sont les deux mamelles qui ont nourri ces deux jeunes décidés à venir égorger des chrétiens, comme ils auraient voulu le faire en Syrie, terre promise du djihad de la haine. On les a empêché de partir au loin réaliser leur rêve macabre, alors c'est juste à côté de chez eux qu'ils ont décidé de le réaliser. Ils ne sont pas bien intelligents sûrement. C'est pourquoi, ils ne vont rien chercher de compliquer, un couteau, une église presque vide et quelques vieillards et femmes sans défense. Cela n'a rien de bien courageux, mais ils n'en ont sûrement pas non plus. S'ils avaient eu du courage, plutôt que de vouloir égorger comme des bêtes ces pauvres gens, ils auraient cherché à se sortir de leur misère sociale par d'autres moyens plus fatigants.

 

Savaient-ils qu'au bout de leur chemin de haine, la célébrité qui les attendait passerait par la mort ? Je n'en suis pas certain. L'insouciance de la jeunesse qui les tenaillait comme beaucoup les rendait aveugles à tous ces risques, comme à l'horreur de leur geste. Nourrit par tous ces films et séries télévisées dans lesquels les héros s'en sortent toujours, ils s'imaginaient sûrement qu'ils allaient s'en sortir vivants. Car dans leur film d'horreur, les héros ce sont eux. Après tout, dans ces films les héros tuent aussi. Ils tuent pour la bonne cause et dans leur imaginaire troublé, la bonne est la leur, le djihad de la haine. Peut-être étaient-ils drogués au moment de se lancer à l'assaut de cette église de banlieue. Le seront-nous un jour ? Même si cela est, les autorités ne le diront pas, ce serait leur donner des circonstances atténuantes. Or dans la guerre contre le terrorisme international, nous sommes les gentils et ils sont les méchants. Toute explication humanisant les terroristes est interdite dans la guerre de communication engagée. Défendu de chercher dans notre incapacité à donner un avenir serein à ces jeunes. Les politiciens, déjà peu promptes à voir et dire leurs propres erreurs en temps ordinaire, ne vont sûrement pas faire un mea culpa pourtant indispensable à un changement de politique pour une meilleure intégration de tous. Ce n'est pas en tuant des jeunes les uns après les autres qu'on éradiquera le terrorisme, c'est en leur donnant d'autres rêves qu'on les détournera du djihad de la haine. La haine qui a frappé ce mardi matin ne l'atteint pas. Catholique pratiquant, investi dans la vie de sa paroisse, plus d'une fois il s'est posé la question, seul ou à plusieurs, de sa sécurité et de celle de ses coreligionnaires lors d'une messe importante ou d'une réunion convoquant une foule. N'ayons pas peur disent ou écrivent quelques abrutis qui risquent peu et n'ayant jamais fait face un canon de fusil-d'assaut ou un couteau de combat. Ceux ou celles qui pourraient être une cible comme les politiciens se promènent entourés d'un service d'ordre et de militaires armés. Lui et ses coreligionnaires sont des cibles faciles désignées par ces prophètes de la haine et ce mardi matin, nous avons eu la preuve que ce sont toujours les plus faibles les premières victimes des guerres. Ce mardi matin, un prête catholique, parce que catholique, parce que prêtre a été égorgé durant son service de messe selon les ordres des prophètes de la haine. Ce fut lui, parce que ceux qui avaient décidé de tuer du chrétien habitaient juste à côté. Ce pourrait être un autre ailleurs, mon prêtre durant une des messes auxquelles j'assiste régulièrement; ce pourrait être moi ou celui ou celle d'à côté de moi, parce que chrétien, parce que catholique. Ce chapelet que je porte toujours autour du cou, ce mardi-là je l'ai sorti de mon polo en signe ostentatoire de qui je suis, en signe d'un courage de la colère. Arrivé chez mon épicier arabe, je l'ai rangé dessous pour ne pas le gêner. Il est gentil, nous avons souvent conversé ensemble. Je n'ai pas le droit de l'obliger à s'excuser pour le crime d'autres, même s'ils sont ses coreligionnaires.

 

Le vendredi est généralement le jour des courses. Dernier jour de la semaine où il y a des bus régulièrement, même s'il y en a moins du fait des vacances scolaires, il en profite pour ramener des choses lourdes ou encombrantes. Aujourd'hui, il aurait bien été chercher des fleurs blanches pour mettre à son offertoire consacré à la Vierge Marie; mais il fait chaud et il sait qu'il rentrera tard donc pas question. Il pourra en couper quelques unes dans son jardin même si elles ne sont pas blanches. L'Église catholique de France a déclaré ce vendredi jour de jeûne et de prière en hommage au Père Jacques Hamel tué ce mardi et aux victimes des attentats et il va suivre cette consigne. Jeûner, il en a l'habitude, jusqu'à cinq jours en période de neuvaine. Ce n'est pas un exercice facile, il faut s'y préparer et toujours être prêt à l'arrêter si sa santé ou les circonstances l'exigent. Là, même non prévue, une seule journée n'est pas très difficile. Contrairement à ses exercices spirituels habituels de jeûne, cette journée va être active et c'est l'été, il fait chaud. Il a fait son programme, il connait les temps sacrés d'un vendredi et les lieux et heures où il faut être pour y participer. Il aurait pu commencer par aller à la messe des laudes, mais il le fait rarement. Sa journée commence presque normalement par des prières au levé dans sa chambre. Puis il descend donner à manger à son chien et à sa chatte. Il ne fait pas de café frais, il en reste de trois jours. Un jour comme ce vendredi n'est pas un jour à gaspiller, c'est un jour d'humilité. Il le met à réchauffer et le boit. Pas de tartines beurrées, c'est jour de jeûne. Ce n'est pourtant pas l'envie qui lui manque, forcée par l'habitude du matin. Après, il ouvre son ordinateur et se met sur son Twitter. Comme souvent, il va twitter quelques chansons. Ce vendredi, jour spirituel, ce sont des chants catholiques qu'il connait pour les chanter dans la chorale de sa paroisse. Il ne va plus beaucoup aux répétitions mais chante le dimanche à la messe. C'est un vrai bonheur que d'avoir une chorale dans ce secteur paroissial de la campagne francilienne. Beaucoup de villes n'en ont pas. Il regarde et twitte quelques informations sur ce vendredi spécial et l'attentat de mardi. Sur son Facebook, un de ses statuts sur le Père Hamel a plus de réactions que d'habitude. Cela va au-delà de son petit cercle habituel d'amis. Il pleure, sans douleur, juste par peine. Dehors il pleut, une de ces pluies d'été, intense et passagère. Après une heure de sélection dans Youtube et d'écoute de ses chants préférés, il va se doucher. C'est un jour important pas question de le commencer sans se purifier le corps. Il s'habille et regarde l'heure, il est presque 10h30. Il faut qu'il y aille le Carmel est loin. Il rentre son linge, le temps est menaçant. Pourtant il ne met pas de vêtement de pluie, s'il pleut cela fera parti de sa pénitence. Il passe devant l'arrêt de bus, il ne le prendra pas ce sera une journée de marche. Arrivé à la sortie du village, il réfléchit un instant et regarde sa montre. Il est 10h45, il doit aller au plus vite pour arriver à l'heure pour la messe au Carmel. Il délaisse le chemin de champ plus court pour la route plus rapide au pas. En cette saison l'herbe est haute dans les chemins de champs et on avance moins vite. Le bitume est un bon revêtement pour hâter le pas. Arriver à mi-parcours, il regarde sa montre, il doit accélérer. Il passe en marche rapide, balançant ses bras comme un de ces athlètes faisant de la marche de fonds. Depuis que son poids rend risqué la course à pied, il pratique cette forme d'exercice. C'est à Port Barcarès qu'il avait commencé. Juste à côté de la plage, il y a un parcours mi-bitume mi-chemin qui permet le jogging et les promenades. Bien abrité du soleil, il permet à des sportifs ou ex-sportifs encore en forme de pratiquer l'effort en pleine journée.

 

Il est 11h35, il arrive au Carmel. La messe n'est pas encore commencée. A la disposition de l'autel, il voit que ce sera une messe en sa forme extraordinaire. Dite en latin, le prêtre dos tourné à l'assemblée, ce n'est pas sa préférée. Mais ce jour étant spécial, ce n'est pas une mauvaise chose, car cette messe a plus de solennité. L'église du Carmel, dite aujourd'hui chapelle, par son décor apporte aussi de la solennité. Le groupe habituel des pratiquants la renforce de par l'intensité de leur foi. La tolérance n'est pas forcément leur point fort, pourtant ils parlent d'amour tout le temps, croyant intensément que le leur, celui de Jésus-Christ, est supérieur à tous les autres qui sont dans l'erreur, quand ils ne sont pas qualifiés de pécheurs parce que non-chrétiens. Qu'importe, sa tolérance à lui lui permet de les aimer tous pour ce qu'ils sont et il se fait discret sur sa plus grande tolérance vis-à-vis des autres religions et pratiques spirituelles. Son intolérance est surtout vis-à-vis des prophètes de la haine qu'ils soient religieux ou athées. Ils sont nombreux tous ces athées qui vous conspuent en procès de prosélytisme parce que vous parlez de votre religion et pratique religieuse faisant eux-mêmes acte de prosélytisme d'une ultra-laïcité excluante et intolérante. C'est l'été, il y a peu de monde. Il dit bonjour à son amie et lui demande s'il y a messe et chapelet ce soir. Question rhétorique et pour le rassurer, car il sait bien que oui. Il récupère avant que la messe commence et se recueille. Il n'a pas pris le livret spécial pour pouvoir suivre la messe. Il la passera dans le silence. Pour lui la messe doit être un moment de partage et c'est pourquoi, il n'apprécie pas cette forme où le prêtre lui parle dans une langue étrangère le dos tourné. A dire vrai, c'est à Jésus-Christ que le prêtre parle et que l'assemblée des fidèles reprend dans cette forme spéciale. Avant, quand il ne partait pas en voyant qu'elle type de messe allait être, il n'allait pas à la communion pour affirmer sa désapprobation. Cette forme ancienne conservée après Vatican 2 pour satisfaire des nostalgiques dans un compromis propre à l'Église catholique, représente une sorte de folklore pour lui. Certains fidèles emprunts d'ignorance s'imaginent qu'elle fut celle que pratiqua Jésus-Christ. Or Jésus-Christ ne pratiqua jamais la messe, forme de sacré institué bien après sa mort, qui a évolué au cours des siècles et millénaires. Le latin n'était pas sa langue qui fut sûrement l'araméen ou l'hébreu, voir le grec. A cette époque antique, dans cette région, les plus instruits et les voyageurs parlaient plusieurs langues. Ainsi se constituent au fil du temps des rituels consacrés par les savants et les dirigeants des différentes religions que des fidèles décident intouchables dans un esprit plus superstitieux que spirituel. A la fin de la messe le prêtre latiniste se retire et la sœur-prieur entame les prières et chants habituels en français. Seul le dernier et petit chant est en latin et il le chante par habitude. Tous repartent vaquer à leurs occupations et sans doute manger, peut-être maigre comme un vendredi habituel. Lui reste seul dans cette chapelle où le silence s'installe.

 

Jour de jeûne, il n'a pas besoin d'aller manger. Jour de prière, il va s'y consacrer. Dans la chapelle désertée, il sort de son sac son porte-monnaie, en sort un Euro, se lève et va allumer deux cierges, l'un qu'il met à la Sainte-Vierge de l'entrée, l'autre à Saint Joseph. A chaque fois, il prie. Ici un Ave Maria, là une prière improvisée demandant la protection des enfants martyrs, enfants migrants et enfants adoptés. Aujourd'hui à chacun de ses trains de prières, il associe le repos de l'âme du Père Jacques Hamel et la guérison d'enfants et de personnes qu'il connait des réseaux sociaux. A ceux-ci, il rajoute la protection de ceux et celles qu'il aime ou qui lui sont chers, même si certains il ne les connait que par l'intermédiaire de son écran d'ordinateur. Ainsi ce sera durant toute la journée. Après plus d'une heure de prière et recueillement, il entame un chapelet. A la fin, il regarde sa montre, il est plus de 14 heures. Il boit de nouveau une gorgée d'eau, range ses affaires et se lève pour sortir. Dehors, le soleil brille. Durant ses prières, il avait vu les couleurs chatoyantes des vitraux se refléter sur le sol de la sombre chapelle construite en pierre taillée et décorée de statuaire énigmatique dans le même style, signe que le soleil était revenu. Il remet son chapeau et se dirige tout droit. Il longe l'école où sa dernière fille alla plus jeune, passe sous la ligne de chemin-de-fer par un sous-terrain et se dirige vers la cathédrale. Il arrive à l'arrière. Dans la cour sont en place les estrades et lumières du spectacle historique de la ville, la scène étant la cour elle-même. La petite porte va-t-elle être ouverte ? A cause du spectacle, elle est souvent fermée. Dessus une affiche où on peut lire : a cause des évènements, l'entrée de la cathédrale se fait uniquement par la porte sud. Tout y est dit dans le non-dit… Il fait le tour et entre par la porte sud qui donne sur le centre-ville. Il n'y a pas de militaires en patrouille, juste des policiers municipaux qui passent régulièrement. A l'intérieur, la majesté d'une jolie cathédrale consacrée à Saint Étienne le premier martyr de l'Église chrétienne, considéré aussi comme le premier diacre. En ce jour d'hommage au martyr du Père Hamel, prêtre à Saint-Étienne-du-Rouvray, cela résonne péniblement en lui. Il achète deux cierges et va déposer le premier à un Christ en passion plein d'entailles et couronné d'épines. C'est la première fois, d'habitude c'est à la vierge glorieuse du fond. Avançant, il rencontre le Père Philippe, recteur de la cathédrale, qui le reconnaissant lui tant la main puis part vite, toujours pressé. L'évêque est absent, il est en Pologne avec le Pape au JMJ. L'assassinat du Père Hamel a eu lieu le premier jour de ces JMJ. La date était sûrement voulue, commandée de Syrie ou d'Irak. Le second cierge, il le dépose à Sainte Germaine, sa Sainte préférée avec Sainte Philomène, qu'il retrouvera au soir. Puis il sort, il est pressé lui aussi. En sortant, il passe devant un Christ debout au Sacré-Cœur qui a été vandalisé plusieurs fois. Son cœur a été volé plusieurs fois, même le dernier en papier. Des doigts lui ont été brisés. Manifestassions d'une avidité et d'une haine personnelle envers lui et peut-être aussi envers les catholiques et les chrétiens en général. Quand on est croyant, on est habitué à ces haines ordinaires, pas besoin d'être de couleur, juif ou homosexuel, être chrétien catholique suffit, une haine elle aussi séculaire. En tant que catholique, on nous rend responsables et coupables des crimes commis au nom de l'Église dans les siècles passés, ici et ailleurs. Jugement et condamnation sans appel aux yeux de beaucoup, surtout ces ultra-laïcs, souvent très à gauche sur l'échiquier politique, accusant les croyants de toutes religions de tous les maux et guerres, oubliant facilement que le nazisme et le communisme furent des régimes criminels totalement athées.

 

Il descend la rue piétonne et arrive à la place Henri IV. Symboliquement, il sort de l'ancienne cité épiscopale. De l'autre côté de la place, il va entrer tout aussi symboliquement dans le domaine des protestants. Meaux est historiquement un des foyers français du protestantisme. Le Cénacle de Meaux, institué par l'évêque Briçonnet au XVIe siècle est considéré avoir nourrit la pensée de la réforme. Un de ses participants devint un des penseurs auprès de Calvin de cette réforme. Dans la ville d'à côté, Nanteuil-lès-Meaux, se trouve aussi le plus ancien temple protestant de France. Toute la ville de Meaux est marquée par le christianisme avec les noms de ses rues évocateurs, de lieus d'enseignement, de charité ou de monastères. Par rapport à sa taille plutôt modeste, avec sa diversité religieuse et philosophique, cette ville et ses environs ont une activité spirituelle intense. Que cette place s'appelle Henri IV est aussi très symbolique. Porter le nom de ce roi passé du protestantisme au catholicisme et qui mit fin aux guerres de religions, instituant la tolérance religieuse par l'édit de Nantes, et faire le lien entre les deux espaces religieux de la ville est très symbolique. Avant le temple protestant se trouve une autre église, c'est là qu'il va. En arrivant, il retrouve Paulette qui était avec lui au Carmel le matin. C'est elle qui dirige les chapelets du mercredi et du vendredi. Elle est très croyante, guyanaise, cheffe d'une chorale gospel et insuffle une énorme énergie à ses animations. Il l'aime bien. À chaque fois, il ressort dynamiser de ces moments de prières, d'enseignement et de chants. La vie d'un catholique investi passe par ces à côté de la messe dominical, ces messes de semaines, ces temps de prières collectifs et la participation à des groupes d'action sociale. Ils s'embrassent, les autres ne sont pas encore arrivés. Le chapelet de Paulette commence à 15 heures précise, heure de la mort de Jésus sur la croix. Au fur et à mesure, ils arrivent. Il sera le seul homme, comme souvent. C'est l'été, il y a moins de monde que d'habitude. Certaines étaient aussi à la messe du Carmel. Il y a différentes origines, d'Europe, des Antilles, d'Afrique et d'Inde. Chacun avec son accent et sa personnalité. A 15 heures le chapelet commence. Il y en aura deux. Le premier est le chapelet de la miséricorde divine. Le second est celui du rosaire, plus courant. Après, Paulette se lance dans son enseignement habituel. Elle lit un ouvrage de paroles du Christ envoyé à un prêtre au milieu du XXe siècle. Régulièrement, elle précise : ce n'est pas moi qui parle, c'est le Christ. Chacun y croira ce qu'il veut. L'important est que ces paroles soient de sagesse et d'amour; qu'elles nous fassent du bien et nous apaisent. Les unes et les autres font témoignage justement de l'apaisement de leur colère à force venir au chapelet et d'aller à la messe. Les paroles parlent de l'importance d'être chrétien dans sa vie de tous les jours, de vivre humblement, de rejeter les richesses et de ne pas toujours accuser et accabler Dieu des épreuves rencontrées dans sa vie; qu'il a ses raisons; que c'est dans la difficulté qu'on apprend et qu'on mérite le paradis céleste promis. On nous rappelle l'importance d'aider l'inconnu qui vient à nous ou vers qui nous allons, quel qu'il soit. Les bavardes aiment monter en quoi elles le sont et le font. Paulette le regarde, il lui sourit en silence. Elle sait ses difficultés et certaines de ses actions parce qu'elle les a vues ou en a entendues parler. Ils finissent bien sûr par un chant à Marie. En souriant, il remercie Paulette de l'avoir pris si haut. Elle rit. Il est le seul homme et en effet c'était un peu haut pour lui…

 

Il est 17h40, il repart. Le chemin du retour est plus difficile car il monte beaucoup. Il est un peu fatigué; les effets du jeûne se font sentir. Il a mal aux jambes, la marche rapide a aussi laissé des traces. Pas grave, il ne prendra pas le bus. Comment pourrait-il se plaindre quand il repense à ce qui est arrivé au Père Hamel et à tous ces autres martyrs qui, dans ce djihad de la haine, hommes, femmes et enfants, font des milliers de kilomètres et traversent la mer pour fuir cette guerre et souvent y laissent leur vie ou des proches en chemin, un terrible chemin de croix. Il est 18h30, il arrive à une quatrième église, la dernière de la journée. La porte est fermée. Il ouvre son sac, sort sa bouteille d'eau et en boit une autre gorgée. C'est la seconde bouteille, la première est vide. La fontaine municipale de la place est arrêtée. Sans doute une économie d'eau en cet été. Il fait encore beau, le soleil brille, il a chaud. Il sort son trousseau de clés et ouvre la porte de l'église. Il entre et laisse la porte ouverte derrière lui. Dans le bénitier, il n'y a plus d'eau. La chaleur l'a fait s'évaporer. Il fait son signe de croix quand même. Il avance s'agenouille et se signe à nouveau devant l'autel. Il ouvre la sacristie, pose son sac-à-dos et son chapeau et prend la bouteille d'eau bénite dans un placard. Il va en remettre dans le bénitier pour les prochains. Il trempe ses doigts dedans et se signe encore, mouillé du Christ cette fois-ci. Combien de fois s'est-il signé aujourd'hui ? Une dizaine ? Peut-être. Il retourne à la sacristie et sort les objets de culte nécessaire à la messe. Il repense à la religieuse qui ce mardi, jour de martyr, fit les mêmes gestes avant le début de cette messe qui se termina par l'horreur de l'assassinat d'un prêtre mourant devant le Christ crucifié, égorger parce que chrétien, parce que prêtre. Combien de temps se passera-t-il avant qu'à chaque messe, il n'arrête de repenser à ce prêtre et à ces fidèles en se disant que le prochain pourrait être son prêtre, lui, un ou une de ses amis participant à une autre messe parlant et prônant l'amour ? Longtemps, sûrement très longtemps. Des pas. Une de ses amis polonaise d'origine arrive. Elle est heureuse de le voir. Elle a en charge de photocopier les feuilles de chants des messes de la paroisse. Elle l'accomplit pendant qu'il termine de préparer l'autel. Il met deux grosses hosties que le prêtre partagera pour donner la communion, mais une seule suffira sûrement. C'est l'été. D'autres pas, un couple d'amis, ses amis, arrivent. Ils étaient ensembles rue du bac à Paris, il y a quinze jours de cela, retrouvant un Père togolais qu'ils connaissent bien en mission en France. Il est étonné car ils ne viennent jamais le vendredi à cette messe; mais aujourd'hui est un jour spécial… Lui s'appelle Jacques comme le Père Hamel. Puis arrive le Père André. Dimanche sera sa dernière messe avant la rentrée, il part en vacances. Durant le mois d'août, ce sera des prêtres venus du diocèse qui le remplaceront pour la messe dominicale. En semaine, les fidèles habitués se réuniront aux heures de messes habituelles pour prier et chanter ensembles.

 

Arrive Max, un antillais, cela fait longtemps qu'ils ne se sont pas vu, ils sont heureux de se revoir. Puis c'est une dame-cathé. Enfin Rose-Marie, une béninoise mariée à un togolais. Lui est professeur de physique dans un lycée privé catholique. Le mois dernier, ils se sont croisés à la cathédrale. Il était avec sa mère venue en France se faire opérer des yeux. Elle aide dans une école publique de Meaux des handicapés à suivre une scolarité normale. Leurs garçons sont très bien élevés et sont parmi les premiers. Ils vont à l'école publique, un choix notamment financier. Leur fille ainée travaille à Bordeaux. Diplômée d'un master en banque-finance, elle est gentille, magnifique et très croyante. Ainsi sont réunis une partie de la Fraternité Sainte Philomène locale dont il fait partie. Tout à l'heure, il lui a déposé un cierge et lui a fait une prière en insistant sur les personnes à guérir, dont deux petites filles atteintes de leucémie, en France et au Canada. On attend l'habituelle retardataire qu'il a vu le matin au Carmel. Finalement, elle ne viendra pas, sans doute un problème cet après-midi. La messe commence. Une fois finie, il range les objets de culte pendant que le Père prépare le Saint Sacrement. Une demi-heure d'adoration va suivre. Après, il y aura un chapelet. Celle qui le conduit habituellement n'est pas là, il est fatigué, il rentre avec ses amis. Le Père lui dit à dimanche, c'est vrai qu'ils doivent déjeuner ensembles après la messe chez ses amis. Ancienne coiffeuse, elle en profitera pour lui couper les cheveux et lui tailler la barbe. Une économie non négligeable dans son petit budget. En rentrant, ils parlent de celle pas venue. Elle se croit persécutée par un démon. Ils la plaignent. Ce midi, ils ont fait maigres. Leur santé ne leur permet pas de faire plus. Ils le déposent chez lui. En rentrant ses animaux l'attendent, ils ont faim. Il dépose la bouteille d'eau qu'il a remplie à l'église et a fait bénir par le prêtre. Il ira la mettre demain à l'église de son village, pour qu'il y en ait pour la messe de dimanche. Il pourra y aller quand il veut, il en a aussi les clés. Il a faim. Il est tenté. Il se sert un verre de soda et se met devant son ordinateur pour reprendre le cours de sa vie virtuelle, sans délaisser sa vie spirituelle. On est chrétien à plein temps ! Tant pis pour ceux que ça dérange et comme sa vie est entièrement entre les mains de Dieu, il la prend comme elle vient. Advienne que pourra. Amen.

Pere hamel martyr 2016

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