Tu ne sais pas

Tu ne sais pas l’engrenage de mon destin.

Tu ne sais pas la décrépitude de ma vie.

Tu ne sais pas l’intensité de mes émotions vécues ces dernières années.

Tu ne sais pas ce que c'est de voir celle qu'on aime se détruire lentement au lieu de lutter.

Tu ne sais pas ce qu'est de quitter l’entreprise où tu es passé d'adolescent à homme, où tu as trouvé l’amour et la mère de tes enfants, où tu as lutté pour que l’humain soit plus fort que l’argent, où tu t’es battu contre toi et d’autres pour devenir plus instruit, un homme meilleur.

Tu ne sais pas après tout cela ce qu'est de voir le vent de l’outrage entrer dans ta vie pour y balayer honneur et dignité.

Tu ne sais pas ce qu'est de se sentir perdre la raison, de voir sa vie se peupler de fantômes, d’entendre des paroles obscènes jamais dites, de lire des menaces jamais écrites, de vouloir fuir tout cela sans jamais y parvenir.

Tu ne sais pas ce qu'est de chercher et trouver refuge chez les fous pour y rechercher sa raison.

Tu ne sais pas ce qu'est de perdre l’envie de tout, de la joie, du soleil, du désir, ne gardant que l’amour d’une qui te repousse au fond de toi.

Tu ne sais pas ce qu'est d’aimer durant plus de trois ans sans jamais l’être en retour, ne subissant qu’injures et claquements de portes à tes mots d’amour.

Tu ne sais pas ce qu'est d’être l’innocent accusé d'un crime imaginaire, d’être enfermé derrière des barreaux, de dormir à terre dans le froid et l’humidité, sans manger, à attendre une décision toujours incertaine, qui ne dit qu'à demi mot ton innocence.

Tu ne sais pas comment un simple sandwich peut prendre le goût de la liberté dans un train te ramenant chez toi.

Tu ne sais pas ce qu'est de vider ta maison, pièce par pièce, étage par étage, de jeter, de donner, de vendre tout ce qui l’occupait comme si son dernier occupant venait de mourir.

Tu ne sais pas ce qu'est de errer dedans, entre vide et dépotoir, sans arriver à trouver un lieu encore suffisamment entier pour y revivre des souvenirs des temps heureux.

Tu ne sais pas ce qu'est de ressasser un prénom et d’y ajouter des mots de fin ou de colère pour oublier tout l’amour qu'il t’inspira.

Tu ne sais pas ce qu'est d’aller prendre son courrier la boule au ventre depuis que tu n’es plus en mesure d’assurer les charges de ta vie d’avant, ni de celle d’aujourd’hui.

Tu ne sais pas ce qu'est de laisser s’entasser des jours, des semaines, des mois, des enveloppes sans les ouvrir avec l’envie de tout brûler.

Tu ne sais pas ce qu'est de fuir les conseils de ceux et celles qui disent te les dire pour ton bien alors qu'ils ignorent la nature et la profondeur de ta souffrance.

Tu ne sais pas ce qu'est de fuir les solicitudes de tous ceux qui veulent t’aider, te rappellant par elles combien bien bas tu es tombé.

Tu ne sais pas ce qu'est de tourner chaque page d'un calendrier comme un condamné à mort, une mort sociale.

Tu ne sais pas ce qu'est de rester enfermé des jours entre le silence de tes murs, n’allumant radio et télévision qu’à la tombée de la nuit pour pas que son silence ne s’y ajoute, de peur que les cris des fantômes ne reviennent.

Tu ne sais pas tout cela et je te souhaite de ne jamais le connaître.

Dans ta vie chargée et compliquée, tu ignores l’angoisse du vide de l’abîme s’ouvrant sous tes pas. Tu n’y vois que le flou d’un avenir qui t’effraie comme m’effraie le mien. Derrière les brumes de l’apparence tu n’oses aller,  de peur d’y trouver tout ce que tu fuis,  pour rester celle que les autres aiment que tu sois. Cette femme qu'ils disent aimer, que tu as construite patiemment, que tu n’es plus sûre d’être, pourrait elle aussi devenir un fantôme dans sa vie comme je le suis dans la mienne. Nos réussites peuvent devenir des prisons dévoreuses de notre âme autant que peuvent l’être nos défaites.

Ainsi rappelle toi Kipling,  disant à son fils que pour devenir un homme il faut savoir accueillir d'un même front triomphe comme défaite. Pour devenir une femme, il le faut aussi. Il faut savoir que la vie commence par un triomphe, puis n’est qu'une suite de défaites et de triomphes, petits et grands, qui se terminera par une défaite inévitable. A toi de savoir les combats que tu souhaites mener pour qu'au jour de la défaite finale,  tu puisses partir dans l’honneur d’avoir choisi tes armes à défaut de tes combats et adversaires.

Je t'embrasse ma chère amie et te souhaite tout le bonheur possible au milieu de tous ces impossibles que nous pouvons rencontrer dans notre vie. 

19336b6e

Ajouter un commentaire

Anti-spam