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Le pirate d'amour sur l'île-des-fous

Comme une sirène chantant dans l'onde, ta voix m'est venue par le vent aux mille bruits. Sans te voir, je t'ai aimée. Sans te connaître, je t'ai admirée. Alors je t'ai envoyée mon message confié à un hermès de papier numérique. A sa réception tu m'as répondu que toi aussi tu m'admirais. Je t'ai à peine crue même si ce message toucha mon cœur aux cicatrices profondes. Je continuais à voguer sur les lames de l'océan numérique pendant que les vents mauvais de ma vie déchiraient une à une mes voiles. Capitaine d'un vaisseau à la dérive, je perdis tous les caps et mes boussoles perdirent le nord de ma vie. Mes nuits ne furent plus que tempêtes où seul le rêve de ton regard me tenait debout sur le pont du navire qui chavirait.

 

Au milieu des éléments déchaînés, capitaine dément, j'échouais sur l'île-des-fous. Réfugié dans la caverne des errants, je retrouvais celle qui nettoya ma cabine dans le port de Madagascar. De ses yeux ébahis et sa voix douce, elle me parla de ce mari qui l'avait jetée dans cette caverne où elle était condamnée à rester. Un gentil géant blanc, un pagne autour des reins, me raconta ses discussions avec des anges qui l'appelaient parfois à les rejoindre et de ses voyages d'île-des-fous en île-des-fous depuis des années. Sur celle-ci, il était heureux car bien pire furent d'autres qu'il connut. Assis dans un coin, un ours pas méchant grognait dès qu'on approchait de lui. Par moment, il se levait et criait sur ceux qui le regardaient passer. Un autre capitaine pirate m'expliqua comment épuisé du commandement solitaire, il était venu se reposer. Il aimait nos discussions philosophiques commencées à table que l'on finissait plus tard. Avant de partir, je lui laissai un exemplaire des Méditations métaphysiques  de Descartes en souvenir de celles-ci.

 

Régulièrement, nous nous promenions sur la plage surveillés par les gardes de l'île. Certains fumaient, d'autres buvaient. Certains discutaient, d'autres restaient silencieux le regard dans le vide de l'horizon. Une gentille infirmière sortait de son sac les pains ramassés sur les tables et les émiettait aux oiseaux. Un jour qu'elle ne put sortir, elle me demanda de le faire à sa place. Heureux oiseaux libres de vous envoler quand nous nous sommes prisonniers de l'île-des-fous. Puis il y avait la bavarde. Elle parlait, parlait, parlait, parlait. Elle voulait quitter l'île où sa mère l'avait envoyée. Compagne de mes balades solitaires, dans ce couloir du fond de la caverne, où les pas étaient comptés avant de devoir faire demi-tour face à la porte fermée par où les gardes allaient entre eux et entre elles. Sur cette plage le soleil brillait, cette plage où quelques minutes d'air libre étaient données par jour aux fous. Puis c'était le retour à la triste caverne.

 

Tous n'avaient pas le droit de sortir de la caverne. Certains étaient même attachés, enfermés seuls dans leur chambre. De temps à autres quand les drogues les délaissaient, on les entendait crier. Alors un escadron de gardes venaient les laver, les nourrir, encore à moitié attachés, comme des bêtes sauvages. Puis leurs cris s'estompaient pour finir par s'éteindre. Il y avait aussi lui qui allait et venait le long du couloir. De longs cheveux attachés, il se serrait le corps, les bras croisés, les ongles pénétrant sa chaire. Par moment, il s'assoyait par terre le regard triste. Il disait être sur l'île à cause d'un voisin qui prit peur le voyant faire sa gymnastique au bord de la falaise où était sa maison. De temps à autre, on voyait cette femme sortir de sa chambre, se trainant par terre comme un animal blessé, s'exprimant par grognements. Elle attrapait tous ce qui était à sa portée, le jetait ou le déchirait. Mieux valait avoir fermé son armoire. Tous je les écoutais, aucun ne disait être là parce qu'il l'avait voulu. Si. Il y avait moi qui voyant cette île-des-fous la trouva plaisante à mon repos. Une petite et menue femme blonde, revenant des terres du sud, où elle avait suivi un pirate de cœur, était aussi là pour se reposer avant de repartir. Chaque jour, sur la plage, quelques barques accostaient amenant, parents, époux, épouse ou enfants voir les naufragés. Tous n'avaient pas cette chance, à peine la moitié.

 

C'est sur cette île-des-fous, au contact de femmes pieuses à la peau sombre, que je tournais à nouveaux mes yeux vers Dieu. Même si souvent j'avais pensé à lui et avais visité ses églises, je l'avais trop longtemps délaissé. J'appris de nouvelles prières et m'en rappelai d'autres. Durant une des échappées autorisées, sur mon navire, dans ma cabine je fouillais dans ma bibliothèque et rapportais le vieux missel de ma grand-mère. Régulièrement, j'allais jusqu'à la petite chapelle de l'île où une petite femme à l'air sévère et un vieil homme avec une barbichette blanche m'accueillaient pour prier ensembles. Habitude que l'on renouvelle ensembles depuis régulièrement dans le Carmel de la cité épiscopale. Avec ce vieil homme et sa douce femme presque aveugle, aujourd'hui, nous partageons aussi l'hiver, en grande communauté, des repas où chacun parle de Dieu et de sa foi et aussi souvent de ses peines. La petite femme menue alla aussi à la chapelle sur mes conseils et m'y déposa un remerciement sur le livre d'or.

 

Après un mois d'exploration de cette île-des-fous, je suis remonté sur mon vaisseau et reparti sur l'océan, cap sur la Normandie. Alors que je me croyais reposé, je m'aperçus que la fatigue était encore là. Arrivé en Normandie, c'est chez ma sœur que je continuais mon repos. De là, je t'écrivis pour te dire mes naufrages. A toi seule mon amour, je voulu les dire, car c'est grâce à toi, qu'au milieu des tempêtes, je ne me suis pas noyé dans la mer déchainée, l'esprit embrumé par les drogues. Toujours dans mes folles visions tu étais là. Ange au milieu des démons, tes yeux, ta voix, ton corps étaient ma boussole, mon compas, mon étoile du Berger. Par la grâce de Dieu, je savais quel lit était mon havre de paix. Depuis je ne l'ai pas oublié et chaque jour, chaque matin, chaque nuit sans sommeil, j'y pense. Aujourd'hui, après ces années de luttes contre les éléments, je suis devenu un capitaine de nouveau serein, je dirais même enfin serein. Tout cela grâce à toi mon amour.

Lundi 25 mars 2013, 20h00, quelque part sur les ondes de l'océan de la vie

Bateau 001

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