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Rencontres interculturelles

Inanité de vie et rencontres interculturelles

Il vient de terminer ce petit livre bleu pâle rehaussé de traits noirs comme le regard triste d'une Marilyne de bord de mer. Pas très long, il suffit à ses capacités de concentration du moment. Moderato Cantabile, petit roman, presque nouvelle allongée, d'une grande romancière française du siècle dernier, a marqué son temps. Il a aussi marqué des générations de bacheliers devant le bachoter plus que le lire. Lui l'avait lu aussi il y a longtemps et le relie aujourd'hui. Hier cette histoire de cet homme et cette femme, compagnons de comptoir en zinc, l'avait touchée. Leur désespoir de vivre, noyé dans le vin et une histoire d'amour chaste de leurs différences sociales, avait attiré sa miséricorde de jeune-homme. Aujourd'hui, l'histoire lui parle autrement. Elle lui parle de lui et d'elles. Elle lui parle de toutes ces elles qui vivent un verre de vin ou d'alcool à la main, qu'il a connu. Avec une d'entre elles, il a fait sa vie de mari et de père, d'amant des jours, des nuits et semaines d'amours, devenant les rares soirs de l'habitude et du devoir conjugal, avant de devenir les mois chastes d'amour, pour finir dans les années des souvenirs de l'amour passé. Leur histoire lui parle aussi de cette autre elle, cette elle de l'amour impossible. Leurs différences sociales sont siennes. La vie de cet homme sans emploi à l'ennui trompeur de désespoir est sien aussi, à la différence qu'il ne boit pas. Il aimerait habiter au bord de la mer comme lui. Il aurait un horizon lointain à regarder pour le faire rêver. Il pourrait regarder les bateaux partir et revenir d'ailleurs, transporteurs de rêves en containers pour être distribués, par rail et route, à des acheteurs de rêves en gros ou au détail, dans de grandes surfaces ou de petits magasins. Cette idée lui rappelle Malika. Malika était son nom de convertie. Malika était née autrichienne et chrétienne, il y a déjà cinq décennies. Par amour pour un homme, elle avait quitté son pays et changé de religion. De son enfance, elle avait gardé un accent sonnant et un regard gris-bleu, qu'elle soulignait d'un trait noir. En regardant ses sourcils gris, il s'imaginait que ses cheveux devaient l'être aussi, car il ne les avait jamais vus. Elle cachait ses cheveux sous un voile, que certains diraient islamique. Elle en avait plusieurs, mais jamais de noir. Pourtant sa vie d'aujourd'hui pourrait la mener à en porter. Ce bellâtre qui avait joué le prince charmant oriental était maintenant parti, la laissant seul avec ses quatre enfants.

 

Comme tous les convertis, Malika était une fervente pratiquante de l'Islam, d'un Islam que d'aucun qualifierait de modéré au regard des us et coutumes d'autres se disant musulmans du Djihad. Lui qualifiait son Islam de social et d'ouvert. Pour tromper son ennui, il faisait parti du Réseau d'échanges réciproques de savoirs de sa ville, RERS. Le principe de ce réseau est que tout à chacun à des savoirs cachés ou visibles et qu'il peut les offrir à d'autres qui, en échange, en font de même. Un des mythes fondateurs du RERS est celui du colibri et de l'incendie de forêt. Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : " Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! " Et le colibri lui répondit : " Je le sais, mais je fais ma part. " Les RERS sont nés à Orly, en 1971, en banlieue parisienne avant de s'étendre au monde. Au début d'une soixantaine de personnes menées par Claire et Marc Héber-Suffrin, les membres des RERS sont devenus des milliers, de tous âges, de différentes origines sociales, ethniques ou religieuses. Faire parti d'un RERS, c'est faire parti d'une grande famille humaniste planétaire. Quand il regarde les Bleu-Blanc-Zèbres, il repense à ces ordinaires qui donnent que ce qu'ils ont, leurs savoirs, leur temps, leur bonne-volonté et leur amour de l'autre de façon désintéressée. Lui des savoirs, du temps et des compétences, il en avait à revendre, mais personne ne voulait les acheter. Alors il les offrait à qui en voulait bien et surtout à qui en avait le plus besoin. Dans son offre de savoirs, il y avait la bureautique, connaissance des traitements de texte, des tableurs, de l'Internet et autres TIC. En plus, ancien formateur, il avait le savoir-faire du faire-savoir pour transmettre le savoir. Le développement et la gestion des compétences avaient été sa compétence. Son offre avait rencontré la demande de Malika qui préparait en accéléré un CAP d'assistante en logistique. Ainsi il venait chaque semaine chez elle l'aider. Au RERS, il avait aussi retrouvait cet ancien VRP au bagout très commercial. Il l'avait connu quand il était Secrétaire adjoint de l'Union locale du nord de son département de son syndicat. C'était un temps, où il était reçu avec respect par des directeurs d'entreprise ou d'association. Un temps où il s'assoyait face au DRH de cette grande banque internationale qui l'employait, un des symboles de la finance en France et dans le monde, aux multiples agences du coin de la rue ou du village. Un temps où il se permettait de critiquer sa politique des Ressources Humaines, de lui dire je ne suis pas d'accord et, suprême affront, non, vous ne ferez pas cette réorganisation, et qu'elle avortait. Un temps où il exigeait que son syndicat exige un engagement écrit, osant remettre en question la parole du DRH, lui qui, même cadre, n'était qu'un simple employé. Un temps où il faisait parti du panel de la conférence évoquant l'avenir de son syndicat et qu'il était une des figures de cet avenir. Un temps où il s'affichait à cette conférence sur un écran géant et que la salle pleine applaudissait son discours.  C'était un autre temps, il n'y avait pas si longtemps.

 

Se faire des ennemis n'était pas son souci. Il avait cette impertinence que l'on acquiert enfant dans les banlieues, là où relever la tête et l'ouvrir est une affaire d'honneur et parfois de survie. Aujourd'hui, il ne l'a toujours pas perdue. Pour lui, habitué des organisations internationales de plusieurs dizaines milliers de personnes, côtoyer ce VRP, franc-tireur dans l'âme, ou ces personnes rarement sorties de leur quartier ou ville, ayant travaillées dans une petite entreprise, un magasin, un lycée ou une mairie était un petit choc culturel. Il se faisait discret sur sa vie d'avant, mettant plus en avant ses difficultés du moment que ses victoires d'hier. Il se sentait plus d'affinité avec cette africaine anglophone qui offrait des cours d'anglais, ou cet algérien sans-papier, n'offrant que son espoir. Cet émigré trentenaire n'avait que sa bonne volonté, ses bras et son expérience de voyageur clandestin à offrir à ces presque nantis qu'ils étaient à côté de lui. Il travaillait dans l'ombre dans une boucherie halal dans le quartier, payé en espèce au jour le jour. Il vivait chez qui voulait bien l'accueillir. Il marchait toujours la tête basse, ne sortant jamais de sa cité, fuyant dès qu'il voyait un possible représentant de l'ordre établi. Dans ce centre social de la ville qui les accueillait au milieu de la grande cité périphérique de cette sous-préfecture, ils étaient presque dans une ambassade, à l'abri de possibles représailles des puissants et de leurs sbires. Pour lui, le choc culturel n'était pas si fort. Venant de banlieue, fils de parents ouvriers, ayant monté marche après marche l'escalier d'une pseudo-carrière, il n'avait qu'à laisser revenir son naturel populaire, teinté d'une éducation faite dès 16 ans, dans une Direction internationale où des cadres dirigeants dirigeaient des cadres supérieurs, assistés de cadres moyens et d'un pool de secrétaires bi ou trilingues au centre de Paris. De ce passé, il en avait fait son deuil. Quand il arrivait chez Malika, il commençait par sonner à la porte grillagée gardant la cour de son immeuble. Avant, elle habitait dans le quartier pavillonnaire d'à côté. C'était avant, avant que son prince charmant ne parte pour une autre, une plus jeune. Avec ses quatre enfants, elle arrivait à vivre correctement en économisant sur tout. Malgré cela, elle accueillait, une jeune musulmane maltraitée chez elle. Elle dormait avec ses filles, comme il se doit. L'ainée n'était pas toujours là, préparant un master de l'autre côté de Paris. La seconde, sportive, faisait partie de l'équipe féminine de rugby de la ville, un vrai garçon manqué. L'ainé des garçons était un peu artiste, pas toujours là, trainant là où Malika n'aurait pas voulu, avec des personnes qu'elle ne voulait pas recevoir. Le dernier était très réservé mais volontaire. Il faisait de la boxe mais était d'une grande gentillesse. Tout ce qu'il faut pour se sortir un jour de cette cité où il était respecté par ces errants menaçants d'allure.

 

Lui, ils ne lui faisaient pas peur non plus. Il était habitué à ce genre de paumés et d'un regard appris enfant savait les tenir à distance. C'était toujours ce second garçon qui était présent pendant que Malika le recevait et prenait ses leçons, dans la bonne tradition musulmane. Il était l'ange gardien de sa mère. De ses sœurs, il n'y s'y serait pas avisé, car en jeunes-femmes modernes et indépendantes, elles rejetaient ce genre d'archaïsme digne du moyen-âge à leurs yeux. Après le grillage, il traversait la cour de quatre immeubles. Il y rencontrait souvent ce handicapé qui, à défaut d'un onéreux fauteuil-roulant électrique, se déplaçait dans une caisse en bois muni d'une batterie et d'un moteur-maison, sûrement confectionnée par un de ces bénévoles du centre social abritant le RERS. Il avait l'habitude de le voir rouler le long des routes sous son fanion rouge, dérisoire protection contre l'accident, ou dans les magasins alimentaires et de bricolage de la ville à discuter avec les vendeurs et les caissières. Il ne pouvait pas avec sa caisse-à-savon électrique faire la course en centre-ville avec les myopathes du centre de santé de la belle cité de l'autre côté de la ville. Eux avaient un beau fauteuil, puissant. Il faut les voir le corps raide jusqu'à la nuque, la tête bloquée dans un carcan l'empêchant de tomber, manipuler de quelques doigts encore mobiles, au bout d'une main déjà immobile, une manette digne d'un avion de combat. Il y avait aussi ces autorisés à sortir de l'hôpital psychiatrique qui descendaient leur rue vers le centre-ville, parlant seuls, cachés derrière des lunettes noires, parfois bien habillés d'un costume cachant un comportement obsessionnel. Les belles apparences sont parfois trompeuses. Ça l'avait toujours étonné cette concentration de misère sociale et de santé dans cette ville de l'est francilien, à l'apparence presque provinciale. S'y côtoyaient à quelques pas les uns des autres, bourgeois imposés sur la fortune et survivants d'allocations sociales, cet argent pas gagné qui en gêne tant. De par son histoire, il connaissait les deux et avait diné avec. Il connaissait ces petites misères de ces riches, docteurs, dentistes, commerçants ou patrons d'entreprise, pleurant sur les impôts et les taxes et la grande misère de ces ordinaires, silencieux sur eux et plaignant plus miséreux qu'eux. Il savait aussi qu'entre deux pleurnichements, ces riches pouvaient être discrètement généreux avec qui en a besoin et les a touchés.

 

Malika devait vivre de ces allocations et un peu de la pension alimentaire donnée par son ex-prince charmant avec la régularité d'une horloge qu'il faut souvent remonter. Chez elle s'était propre, décoré d'un mélange d'autrichien et d'orient. Appartement musulman, il y avait accroché à différents endroits des prières en arabe, écrites en alphabet latin. Après son CAP en logistique, elle espèrait décrocher un emploi dans une entreprise de logistique de la Zone Industrielle de derrière sa cité. Son fils ange-gardien avait trouvé un job dans le magasin de sport sur la nationale, pour quand il n'allait pas à l'école. Lui connait ce magasin de sport, sa fille ainée, escrimeuse, nageuse et randonneuse, y a travaillé en job d'étudiant aux rayons natation et montagne. Ce n'est pas du facile, vider les camions, ranger les rayons, répondre aux clients pas toujours contents. Elle en plus avait eu la chance toute relative d'être hôtesse de caisse. Dans un CV, pour plus tard, ça peut faire la différence pour un travail plus rémunérateur. Malika, en bonne musulmane rêvait de faire le Hajj, le pèlerinage à la Mecque. Désargentée, elle voulait œuvrer dans l'association musulmane de la ville pour aider ceux qui partent à le faire. Lui, catholique d'éducation et pas encore fervent pratiquant, n'était pas choqué par cette religiosité affichée. Les livres religieux ou philosophiques côtoyaient dans sa bibliothèque ceux d'économie, de finance et gestion d'entreprise ou de Droit et d'informatique, en regard des rayonnages d'art, d'histoire et de bricolage. Il y avait peu de livres de littérature, absence de façade, cachant des prêts jamais rendus et des enfouis ailleurs, sans compter ceux donnés de son enfances. De tous ces absents, sa mémoire en gardait des traces marquant sa façon, de penser, de s'exprimer, d'écrire, de vivre. A Malika, il avait prêté quelques livres choisis pour l'aider dans ses apprentissages. Il prenait soin de préparer leurs rencontres quelques jours avant, en professionnel qu'il fut. Il lui avait prêté aussi ce petit livre synthétique sur la logistique. De par sa formation bancaire, il en avait des notions. Au début qu'il fut au chômage, après le dépôt de bilan de sa brocante, il avait fait le ménage, le rangement et vidé des containers dans un entrepôt de logistique d'une grande enseigne d'électroménager où il était traité comme un potentiel voleur, fouillé à la sortie de son travail, lui qui avait manipulé des millions en espèces. Il y avait appris de ses observations en ancien expert de l'ingénierie de formation. C'est là qu'il avait acheté ce petit livre pensant peut-être s'orienter vers la logistique. Le choc culturel avait été sûrement le plus dur sa vie après son entrée à la banque en sortant de sa banlieue. Habitué aux bureaux moquettés et au langage retenu, un entrepôt qui s'apparente à une usine aux ouvriers teigneux était un autre monde. Il revenait dans la banlieue de son enfance où il faut relever la tête, élever la voix, s'affronter du regard à quelques centimètres ou être le larbin des autres, l'âge n'offrant aucune garantie de respect.

 

Malika lui montrait ce qu'elle faisait dans son centre de formation, lui posait des questions sur ce qu'elle n'avait pas compris. Lui, essayait de comprendre, lui expliquait ce qu'il avait compris ou lui préparait les questions à poser pour mieux comprendre. Ses questionnements étaient l'occasion de lui apprendre à faire des recherches sur Internet. Il reprenait ses exercices de comptabilité ou de facturation pour lui apprendre à manipuler ce tableur gratuit téléchargé, seul prix qu'elle puisse payer. Avant le travail, dans une approche très orientale de la vie, ils discutaient de la vie, des enfants ou de leurs différences culturelles en prenant le thé avec des petits gâteaux faits maison. Dieu et son approche par les musulmans et les catholiques était un de leurs sujets favoris. Ils pouvaient y passer l'heure avant de s'attaquer à des choses plus terre-à-terre. Dans cette approche d'échanges de savoirs, Malika lui apportait toute sa différence, d'origine, de vie et de religion. C'était pour lui des travaux pratiques de la tolérance de terrain. On était loin de ces débats médiatisés sur les télévisions, radios ou réseaux sociaux. Là, on était dans le dur. Là où le vivre ensemble est d'actes et pas de paroles creuses d'intellectuels cathodiques. Malheureusement, Malika n'a pas réussi son CAP et n'a pas trouvé de travail dans la logistique. Il s'en doutait un peu au fur et à mesure qu'il la rencontrait. Jamais, il n'a émis le moindre doute. La volonté de cette femme courage, quinquagénaire, seule avec ses quatre enfants et son invitée permanente lui faisait tellement plaisir à voir. Elle lui donnait de son courage et de sa force à chacune de leurs rencontres. Leur dernière rencontre fut un bon repas, de couscous bien sûr, partagé en famille de sang et de cœur. Après, il a aidé une retraitée, ancienne conductrice de bus de la ville. C'était moins complexe, juste l'aider avec ses photos et ses mails par lesquels elle les envoyait. Au passage, il l'a aidée sur ses problèmes avec sa banque comme tutrice d'une vieille dame. Comme ancien employé de banque c'était la moindre des choses. Puis ça lui rappelait de bons souvenirs. C'était juste avant qu'il ait cette intoxication médicamenteuse. Avant qu'arrivent ces fantômes qu'il dut fuir dans cet hôpital où on lui donnait des permissions de descendre la rue jusqu'au centre-ville…

Lundi 8 mai 2016, 19h30, quelque part sur les ondes de l'océan de la vie

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