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Le coussin de roses

Il l'a commandé depuis plusieurs semaines. Son médecin lui avait dit l'amour dur 3 ans. Depuis cette parole, il tourne les pages de ses agendas comme un compte-à-rebours. Cancéreux de l'amour, il a attrapé cette longue maladie en faisant sa connaissance. Dans son cœur, il fut foudroyé. Beaucoup pensaient qu'il s'agissait d'un simple accident, qu'une fois hospitalisé, il irait mieux, qu'il reprendrait une vie normale. Il n'en était rien. Cette attaque d'amour était le début d'un cancer qui allait dévorer sa vie et son corps, laissant son âme pétrifiée par ce sortilège.

 

L'amour dur 3 ans, alors il pensait qu'il en serait guéri à cette échéance. Las, ce n'était qu'une sombre prédiction, la prédiction de la vie qui lui restait à vivre. Mourir, il y a mille façons de mourir. Pas par la corde, le couteau, la balle ou l'accident, non, mourir par le cœur qui s'arrête, qui s'arrête d'aimer. Mourir n'est-ce pas un cœur qui s'arrête ? S'arrêter d'aimer n'est-ce pas aussi arrêter son cœur. Il bat encore mais bat sans utilité. Ce sang qui y entre et en sort ne porte plus rien d'utile, d'utile à son âme. Cet oxygène qui se trouve dans son sang ne lui donne plus vie. Il le brule, le brule de l'intérieur, pas d'un feu d'amour, non, d'un feu de tristesse.

 

Pire qu'un cancer, la tristesse vous dévore jusque dans vos parties les plus intimes, pas celles qui donnent la vie, celles qui donnent l'amour, l'amour vrai. Ronger de toutes parts par la tristesse, vous êtes en vie mais plus vivant. Qu'est-ce être vivant ? Est-ce être un corps qui se meut sans destinée, une bouche qui parle sans envie, sans envie de l'autre, l'être aimé qui ne l'est plus. Guérir de l'amour c'est mourir à la vie, la vraie vie, celle qui sert à quelque chose, qui sert à quelqu'un d'autre. Bien sûr, il y a les rencontres du hasard, qui pourraient nous donner l'illusion d'être toujours utile, utile à quelqu'un d'autre, à un, une ou des inconnus. Mais si ce n'est vous ce sera quelqu'un d'autre qui fera aussi bien que vous voir mieux.

 

Mieux, quand mieux n'est plus qu'un mot vidé de tout sens, demain n'en a plus non plus. Demain n'est plus qu'une brume dans laquelle nos pas se perdent sur un sol disparu. Sur ce chemin de brume, nous savons que demain ou tout à l'heure le sol se dérobera pour que s'ouvre l'abîme. Un abîme qui nous est déjà familier par nos pensées et nos rêves qui s'y perdent chaque fois que le mot futur cherche un verbe à conjuguer. Alors il ne reste plus qu'à conjuguer sa vie au passé, cherchant sans le trouver quelque présent qui ne soit pas un conditionnel où toute condition n'est pas une misère dévorante. Misère et précarité sont des rats, des rats qui gangrènent votre vie petit à petit mais sûrement. Nul besoin d'être à la rue pour cela, non, juste d'en avoir la certitude de l'échéance à venir.

 

De l'extérieur, vous pouvez paraître bien, tromper l'autre, vous dire heureux et plein d'espoir. Mais vous qui vous connaissez de dedans, vous savez les maquillages, les déguisements et les cartons-pâte dont votre vie est faite. Mascarade du théâtre de votre vie, vous l'organisez du mieux entre réalité et imaginaire, cachant vos appels au secours que plus personne n'a envie d'entendre au milieu du bruit de vos sourires et cabrioles de clown.

 

L'aide que chacun veut vous donner n'est pas celle qu'il vous faut ou voulez, mais celle qu'ils veulent que vous preniez sans en discuter l'adéquation à qui vous êtes et à ce qui vous reste de dignité. D'homme, ils veulent faire de vous leur poupée, celle dans laquelle ils mettent leurs fantasmes et leurs frustrations qu'ils veulent que vous assumiez à leur place. Ce n'est pas parce qu'on est miséreux qu'on doit manger dans vos poubelles, celles où vous avez jeté vos restes, vos périmés, vos erreurs et vos dégoûts.

 

Le dégoût, la misère le lui en a retiré le goût. A force de se nourrir aux rejets des autres, il a perdu cette fierté qu'on appelle ses goûts, ses choix. Quand on vit des choix des autres, les vôtres se meurent, asséchés comme une plante plus arrosée délaissée dans un coin. De sa liberté de choisir que lui reste-t-il ? Que lui reste-t-il du droit d'aller et venir quand il doit mendier la permission d'être transporté, quand ni ses jambes ni ses bras ne sont plus assez forts pour ses lourdes courses ou lointaines obligations. Ainsi toute une partie de sa vie devient mendicité, cette mendicité des vieux et des malades, alors qu'il est encore dans une force de l'âge et que sa seule maladie est la précarité.

 

La précarité de demain n'est pas toujours celle du lendemain. Demain est aussi ces échéances plantées comme un couteau dans l'agenda d'une vie. Feuille à feuille les jours tournent jusqu'à ce qu'une page de sa vie se tourne, refermant ce cahier d'écolier ouvert enfant ou plus tardivement. Aujourd'hui, ce 25 mars 2016, il a refermé ce cahier d'amour ouvert il y a 3 ans. Il était si épais qu'il le croyait infini. Mais voilà, ses feuilles étaient aussi comptées. Alors, il va l'enterrer et le couvrir de la lourde pierre-tombale de marbre froid. La seule marque de tendresse qu'il y déposera est ce coussin, ce coussin de roses en forme de cœur car c'est son cœur qu'il enterre aujourd'hui.

 

Le soleil, le vent et la pluie feront leur œuvre jusqu'à ce que cette dernière marque de tendresse ne disparaisse elle aussi et ne laisse que la sombre pierre-tombale sans nom mais pas anonyme. Puis il rentrera chez lui, enfin presque chez lui. Dans quel lit il ira se coucher ? Lui le sait car depuis 3 ans, où qu'il aille, il s'y endort toujours pour y rêver, y rêver d'amour et en froisser les plis de rêves charnels. Aujourd'hui, en rêvera-t-il encore ? Lui le sait, mais n'en dira plus jamais mot, car le silence n'est pas une tombe. Le silence est un coffre où on y dépose ses plus beaux souvenirs avec les plus douloureux.

 

Vendredi 25 mars 2016, 20h15, quelque part sur les ondes de l'océan de la vie

Rose 007

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