Le photographe Loup-garou

La nymphe et le photographe Loup-garou

On est juillet 1981, il n'a que 18 ans pour quelques mois encore. La nuit est tombée sur l'île de Bendor. Au loin, on voit les lumières du port de Bandol qui flottent, remuées par le vent de mer. Tout autour de l'île, les vagues s'agitent et viennent frapper les rochers. Dans le port, les mâts des voiliers aux voiles enfermées dans leur linceul de nuit sifflent une mélodie de sirènes. Il erre le long du quai bordant la petite plage. La discothèque de l'hôtel vient de fermer. Il y a dansé avec cette adolescente si joyeuse qui se déhanche sur les rythmes Marcia Baila des Rita Mitsouko. Jeune, trop jeune, même si elle est jolie et si nature. Toujours sa fichue morale, qui le maintient dans les limites du raisonnable. Son raisonnable à lui… L'île de Bendor est une île pour touristes avec ses hôtels, sa petite plage, ses clubs de voile et de plongée, ses restaurants et ses artisans. Il y a les touristes de jour qui arrivent et repartent vers le continent par les navettes. Puis il y a les touristes résidents, qui y dorment et peuvent bénéficier de cette merveille qu'elle est quand les touristes de jour sont partis.

 

Au milieu, est sa résidence, annexe de l'hôtel ou dorment les clients les moins aisés et le personnel. Il aime bien ce petit ensemble qui se tient au calme, derrière les pins-parasols. La nuit rajoute à ce calme. Loin, des mœurs guindées de l'hôtel, la nuit y a sa vie à elle. Touristes noctambules et personnel se détendant s'y croisent dans ses couloirs, à chaque étage. Au premier, se trouve au milieu du couloir pas si long, un recoin avec une petite table et des bancs collés au mur. C'est là, que des inconnus prennent langues dans la nuit du silence des dormeurs qui les entourent. Ce soir-là, en rentrant, il y trouve une femme d'âge mur, un peu ronde, habillée à la provençale. Il l'a déjà vue. Sa lascivité mystérieuse a attiré son regard de jeune-homme aventureux des contes, mystères et légendes. Au fond de lui, il sent que cette rencontre n'est pas dû au seul hasard. Elle semble attendre quelqu'un. Lui peut-être ?

 

Il lui sourit en lui disant bonsoir. Par un autre sourire, elle lui répond d'un autre bonsoir aux sonorités de bienvenue. Il s'assoit face à elle, la table entre eux deux. Il a l'impression de s'asseoir à la table d'une de ces voyantes qui tiennent boutique dans une vieille maison au bout d'un village de province. Ils entament une conversation de bien séance entre inconnus de la nuit. Elle a un petit sac plastique avec elle. Elle en sort une belle pêche. Elle se saisit d'un couteau à la lame effilée et commence à caresser la peau de la belle et juteuse pêche à la belle teinte dorée.

  • Vous ne l'épluchez pas ?
  • On n'épluche pas une pêche, on la pèle. Ça préserve sa chaire et son jus.
    Vous en voulez une ?
  • Avec plaisir.

 

Il se saisit de la pêche et du couteau tendu et commence à caresser le beau fruit, qui laisse sa peau se froisser, puis s'enlever comme une robe de soie velue, qu'un délicat amant retirerait à sa maîtresse d'une nuit.

 

Il lui demande ce qu'elle fait en dehors de la saison. Elle lui explique qu'elle vit dans la montagne, qu'elle aide les bergers et chevriers, qu'elle leur apprend à lire aussi. Pour ce jeune-homme parisien, elle a tout de ces sorcières des montagnes dont il a rêvées, en lisant enfant les livres de contes avant de s'endormir. Peut-être s'appelle-t-elle Carabosse de son vrai nom. Qu'après avoir redécouvert le mot amour, elle descend l'été de sa montagne jeter des charmes aux jeunes touristes de passages. Que dans ces rencontres nocturnes, sans lune, sous le chant des sirènes de la mer, elle les initie de par ses gestes et paroles simples, simples comme les herbes qu'elle cueille dans la montagne pour en faire des médecines inconnues des médecins, aux mystères se cachant derrière le voile de la nuit. Lui, il est sous le charme, le charme mystérieux.

 

Au cœur de la nuit, les fruits du pêcher terminés, elle lui révèle pourquoi il est là. Elle lui dit ces mots magiques : Tu es un Loup-garou. Il sourit en entendant ces mots. Il se croirait dans un conte initiatique où il serait un chevalier errant rencontrant non une sorcière, mais une fée auprès d'une rivière magique. Elle range les restes de leur repas initiatique, se lève, lui souhaite une bonne nuit, puis s'en va. La reverra-t-il ? Normalement oui, puisqu'elle travaille sur l'île. Et pourtant… La nuit est toujours là. Elle a de nouveau posé son silence sur le couloir et ce petit endroit de rencontre. Il entend une porte s'ouvrir. Dans l'ombre une silhouette avance d'un pas lent. Au fur et à mesure que la faible lumière du coin de rencontre l'éclaire, il la découvre. C'est une femme, à la silhouette fine et sportive, avec de longs cheveux blonds et des yeux d'un noir profond. Serait-ce la fée Morgane ?

 

Elle lui sourit, lui dit bonsoir, puis s'assoit face à lui où était la fée Carabosse quelques temps auparavant. Elle n'a pas sommeil. Elle lui explique qu'elle fait de la plongée sous-marine et qu'elle a eu un accident ce jour-là. Il lui demande ce qu'elle fait en dehors des vacances. Elle lui répond qu'elle est institutrice, qu'elle enseigne aux enfants à grandir.  Il la dévore des yeux comme il a dévoré de la bouche la pêche. Elle est belle dans la peine-ombre. Dehors le vent s'est un peu calmé. Le calme de la nuit bas son plein, moment idéal pour une rencontre, une rencontre sensuelle. Après ces mots de présentation échangés, il se lève et vient s'assoir à côté d'elle. Elle ne porte qu'une chemise-de-nuit de lin qui renforce sa dimension celtique ou scandinave. Il ne sait laquelle choisir, mais ces deux terres sont terres de mystères où les reines-guerrières et les fées-archères rodent dans les forêts-magiques des contes de son enfance.

 

En lui monte un désir, un désir d'homme, d'homme pour une femme. Doucement, il commence par lui caresser ses longs cheveux raides et blonds. Elle garde le silence, sans bouger, la tête penchée en avant, les yeux vers la table, vide à présent. Il lui dégage le cou et l'embrasse tendrement. De son autre main, il commence à caresser sa poitrine sous sa chemise de lin. Ses seins son hauts, ronds et fermes. Puis c'est son ventre et ses hanches qu'il caresse. Son corps est dur et sous sa chemise, il sent les muscles tout en rondeur de la sportive habituée à affronter le danger des profondeurs de la mer. De dessus la chemise, il passe dessous. Sa bouche remplace sa main et il goûte à présent aux fruits du péché que lui offre cette autre fée sortie de la mer, telle la Vénus-Aphrodite de Botticelli sortant nue de l'écume. Leur amour est silencieux, ne rompant pas le silence de cette nuit-magique. A son tour, de ses mains fortes et douces, elle caresse le corps de ce chevalier-errant, égaré sur cette île de Bendor, au milieu des vagues gardiennes de cet espace hors du temps des hommes, le temps du rêve d'une nuit d'initiation à l'amour féérique.

 

Ce bal de caresses, se continue entre leurs cuisses entrouvertes. Chacun prend possession du sexe de l'autre et le masturbe jusqu'à ce que s'en écoule, pour elle le ruisseau d'amour et pour lui, les eaux chaudes et salées de la fontaine de vie, crachées en de hautes saccades. Sans la violence de la pénétration, ils ont échangé leur plaisir sauvage dont ils ont marqué le banc de bois blond ciré. Apaisés, ils terminent cette danse magique en de douces caresses et baisers, bouche à bouche, langue contre langue. Dehors, le ciel commence à rosir. Il la raccompagne à sa chambre et la couche dans le lit défait, qu'elle avait abandonné pour le rejoindre. Il se prépare à partir quand elle lui demande de rester un peu auprès d'elle. Il décline, lui expliquant qu'il doit aller photographier le lever du soleil. Il la laisse triste, seule dans ce lit d'hôtel anonyme où tant d'autres se sont couchés.

 

Il passe à sa chambre et prend son NIKON. Il s'installe à l'Est de l'île et fixe un filtre ambré sur son appareil. Il sait quel genre de photo il veut faire. Il utilise de l'Ektachrome. Il en aime la teinte bleutée de ses diapositives. Le soleil se lève et il photographie en rafale jusqu'à ce que l'aiguille du viseur soit dans le rouge. Il retourne à sa chambre, pose son matériel photographique et s'endort fatigué de cette nuit aux forces magiques. Quelques heures après, il se réveille et va vers l'hôtel principal pour y déjeuner. En entrant, dans le hall, assise dans un des fauteuils de l'accueil, la fée Morgane attend avec ses valises et un grand sac de plongée. Il lui demande si elle part. Question rhétorique. Elle lui répond que oui, que l'accident d'hier l'empêche de continuer son stage de plongée. Il lui sourit. Il sait qu'il y est pour quelque chose dans ce départ avancé. Il sait que s'il était resté prés d'elle, elle aurait bien échangé un stage d'amour d'été contre un stage de plongée. Toute sa vie, il regrettera d'avoir était aussi mufle avec celle qui venait de l'initier à l'amour féérique. Erreur de jeunesse ou destin à réaliser, même au prix des larmes ? En tout cas, elle restera dans sa mémoire comme la fée Morgane au corps parfait.

 

  • Au fait. Comment t'appelles-tu ?
  • Sombrina ! et toi ?
  • Loup-garou !
Nymphe

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