Du futile et de l'inutile

Du futile et de l'inutile 

Il y a des soirs où tout semble futile, inutile. Ce sont souvent les soirs de journées bien remplies. J'ai passé ma journée à écrire, deuxième pas dans une aventure littéraire qui restera sans doute à l'état d'ébauche de l'inachevé. J'en suis à 23.032 caractères, à 3.686 mots. Ce n'est qu'une partie du tout futur, un début, un tout aussi en lui-même. Une fois cet inachevé fini, il y en aura sans doute cinq fois ou dix fois plus de mots faits de caractères encadrés d'espaces vides. Ça peut paraître beaucoup, énorme à certains, pourtant ils peuvent être atteints en quelques jours, une semaine, plus ou moins. Pourquoi un temps si court ? Parce que c'est un vomissement, un torrent sortant de la montagne. Tout ou presque ce dont j'ai besoin, je l'ai à portée de main, en moi. Le reste n'est que détails à vérifier, dates à ajouter. J'ai demandé à un presque ami, écrivain de presque profession parallèle, qui a déjà publié plusieurs romans, son avis sur l'idée de cet ouvrage. Les siens se sont peu vendus comme pour la plupart des écrivains dont les œuvres jonchent les étales de librairies avant de finir au retour éditeur puis au pilon. Rares sont les succès populaires. Quelques uns sont des succès d'estime dont on parle parceque son auteur est un homme ou une femme connu pour d'autres raisons que l'écriture dont il ou elle fait œuvre si futile qu'elle en est inutile à la plupart de ceux et celles qui les suivent pour ces autres raisons importantes à leurs yeux. Beaucoup de ces ouvrages littéraires pseudo-professionnels ne sont que du papier gâché. Avec l'arrivée du numérique dans le monde du livre, il n'y aura même plus besoin de gâcher du papier pour éditer publiquement des œuvres que peu lisent, tout juste feuillettent. Mais comment feront leurs auteurs et autrices pour les dédicacer ? Enverront-ils un SMS ? Ce presque ami ne m'a rien dit ce soir quand nous nous sommes vus à la cathédrale. C'est souvent que mes questions restent sans réponse et que nous ne nous en parlons même pas. Il n'est pas le seul destinataire de mes questions à ne même pas accuser réception d'elles. Sans doute parce qu'elles sont des questions inutiles, même pas futiles. Ne méprisez pas le futile, il a son importance, celle de donner de l'importance à ce qui est important. Ainsi en va-t-il de même de la laideur qui embellit encore plus les grandes beautés de sa présence et fait remarquer les petites beautés ordinaires passant inaperçues habituellement. Exhortons les dénonciateurs de l'inutile tellement il est utile à dire ce qui l'est pour mieux montrer ce qui ne l'est pas. C'est ainsi que les grands écrivains producteurs de livres lourds de papier savent parsemer leur ouvrage d'inutile agréable pour nous rendre si agréable le quelqu'utile à l'histoire rendant l'un et l'autre utile à notre plaisir de lire. L'art de bien écrire est de bien jauger l'utile et l'inutile pour éviter l'ennui des lecteurs et lectrices. C'est par son ennui propre à écrire que l'écrivain peut jauger l'ennui de celui ou celle à qui ses mots sont destinés. Toutes ces digressions ne renseignent pas sur le sujet de ce que j'ai écrit aujourd'hui et qui m'occupera dans les jours à venir. Mais est-ce utile à l'intérêt de lire ces mots ici écrits en pleine nuit, lus à une heure tardive ou matinale ? Quel intérêt ont-ils ces mots s'alignant dans une fausse logique rebondissant n'importe comment tel un ballon ayant sauté par dessus un mur ou le grillage séparant les joueurs et les joueuses des spectateurs et spectatrices immobiles ou passant par là. Qui du ballon ou des footballeurs joue avec l'autre ? Qui des mots ou de l'écrivain joue avec l'autre ? Les mots sont des idées et l'écrivain a des idées. Écrire est un jeu de société où l'un et l'autre avance ses idées et quand elles coïncident le point est marqué. Quand, en plus, un lecteur ou une lectrice trouve que le mot correspond à son idée, il compte triple. Ainsi on peut jouer avec des idées et des mots pour en amuser d'autres, distraire la société de jeux de mots idiots ou intelligents dont la côte monte ou descend au tableau de l'utile et de l'inutile que d'autres trouvent si futiles. Mais où en étions-nous déjà ? A ce que j'ai écrit aujourd'hui depuis mon petit-déjeuner tardif pour cause de réveille également tardif en raison d'un coucher tardif pour cause d'ennui de vivre à vivre d'ennui. C'est très prenant l'ennui. Restez quelques temps sans rien faire et vous vous ennuyez déjà. J'aime m'ennuyer, il paraît que l'ennui est créatif. De l'ennui jaillirait ainsi du nouveau, du bien, du bon, du beau comme d'un chaos agité un ordre jaillit du désordre. L'ennui c'est du temps, du temps qui passe au-dessus de là où rien ne se passe. L'ennui de l'écrivain est de laisser passer les mots un à un ou par petits groupes sans les écrire ou sans les raturer à peine écrits. L'écriture est un puzzle dans lequel chaque mot s'emboîte dans un autre. On a des mots posés, emboîtés l'un dans l'autre, puis un vide. Nous avons ainsi des morceaux d'une histoire éparpillés au sol de la grande page du livre en écriture. L'entourage peut être complet et ici, il y a un paysage, là, un visage avec entre eux des monceaux de mots à placer ou à jeter. C'est le vice de l'écriture que d'avoir des mots qui nous servent pas alors qu'il nous manque des mots utiles à l'inutile ou au futile, parfois à l'important. C'est là que l'on atteint le paroxysme de la création littéraire quand tant de mots forment des phrases compréhensibles avec des idées valables et que tout cela ne nous sert pas car l'exigence de notre créativité en exige d'autres. N'est-ce pas là-même la définition de la rencontre du futile et de l'inutile ? C'est ainsi par elle, définition impérieuse de l'utile, de l'inutile et du futile, que l'on trouve tout l'intérêt d'écrire pour ne rien dire comme d'autres parlent pour le même résultat. L'avantage de l'écriture sur la parole, c'est qu'il est plus facile de fermer un livre, d'éteindre un écran que de faire taire un importun dès que l'ennui à pris pas et force sur la passion comme dans une histoire d'amour. Mais tout cela ne dit pas ce que j'écrivais cet après-midi, quelle était cette sainte œuvre qui m'occupait de tant de futile et d'inutile dans lesquels quelques-uns et quelques-unes trouveront peut-être quelqu'utile  sans importance. Cela a-t-il de l'importance ? J'espère que si ça en eût, je vous ai découragée de l'y trouver par cette cascade d'inutile et de futile sur ce qu'il l'est ou ne l'est pas. 

En espérant ne pas vous avoir trop ennuyée, Madame de Normandie, ou plutôt si, vous avoir grandement ennuyée pour que votre créativité en soit revivifiée.  

Bel ennui à vous chère Madame.
De Moi à Vous 

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