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Nuit d'été lyonnaise

C'était une de ces nuits d'été lyonnaises à la chaleur humide, presque tropicale, en juillet ou en août. Il n'y avait plus de place dans son hôtel habituel prés de la gare de La-part-Dieu et il avait été logé dans un autre. Petit hôtel presque miteux, proche du centre, mais dans un quartier qu'il ne fréquentait pas habituellement, il n'était pas climatisé. Les heures passaient et il n'arrivait pas à dormir, alors il se rhabilla et sortit. Malgré l'été et la moiteur, les rues étaient pratiquement vides. Il s'était dit qu'il allait marcher jusqu'à être fatigué et qu'il rentrerait dormir, enfin. A force de venir dans la capitale des Gaules, il la connaissait suffisamment pour s'aventurer la nuit dans ses rues sans avoir peur de s'égarer ou de se perdre. Randonneur expérimenté, il avait aussi ses techniques pour marcher dans des lieux inconnus et revenir à son point de départ sans encombre.

 

Il avait fait une bonne heure de marche, il était prés de quatre heure du matin, quand il se décida à rentrer à l'hôtel malgré l'absence d'envie de sommeil. Il repassa devant cette fontaine où ces femmes étaient toujours assises à discuter avec un de ces égarés de la nuit, peut-être une protection en cette heure avancée. Il savait bien pourquoi elles étaient là. Aussi quand elle l'interpella d'un baby et qu'il lui répondit, il savait ce que cela signifiait. Elle était plutôt jolie, la trentaine, d'origine de pays où le soleil ardent assombrit la peau. Une petite conversation entre noctambules désœuvrés sur un ton enjoué mis à l'aise l'une et l'autre. Puis, ils parlèrent de la suite de la nuit qu'ils pourraient continuer ensembles. Elle lui donna ses conditions. Lui discuta un peu. Loin de chez lui, dans cette nuit sans sommeil, il avait envie de tendresse et de compagnie plus que de sexe.

 

Elle ne bougea pas ses conditions et ils se mirent d'accord sur un temps qui n'ira pas au matin. Ils allèrent jusqu'à une de ces banques automatisées toujours disponibles. Elle essaya une dernière fois d'obtenir la fin de la nuit, lui ne pouvait aller plus loin qu'un temps plus court. En bas de l'hôtel, le gardien ne fit ni commentaire, ni difficulté à voir revenir son client ainsi accompagné. Dans la chambre, ils se déshabillèrent et s'engagèrent dans un corps à corps sans sous-entendus, peau contre peau. On aurait dit deux amants s'aimant pour de vrai. Ce n'était pas une de ces relations vite commencée et vite finie, payée au prix de petits billets. Si la nuit n'avait pas était payée, il avait droit à plus qu'un corps inerte. Généreux, il donnait de son expérience pour rendre ce moment aussi agréable que possible entre deux inconnus qui ne se reverront jamais.

 

Les ébats de Vénus finis, ils étaient heureux tous les deux de cette rencontre imprévue. Au lieu de vite se rhabiller pour fuir dans la nuit, elle entama une discussion échangeant sur leur vie. Après le plaisir savamment donné, autre forme de respect que de s'intéresser à celle qui venait de lui en donner aussi. Elle lui parla un peu de sa vie, d'où elle venait, pourquoi elle faisait ce métier. Mère d'une petite fille, elle prenait régulièrement le train pour quitter son Oise et venir à Lyon cacher sa honte. Plus jeune, il avait souvent pratiqué ce genre de rencontre. Dans sa morale à lui, il n'avait jamais aimé ces plans dragues d'une nuit, que d'autres appellent plans culs. On ne sait pas toujours jusqu'à quel point on trompe l'autre sur nos intentions réelles, qu'on déçoit ses espérances, qu'on l'humilie en le traitant comme un sextoy.

 

Dans ce genre de rencontre, le contrat est toujours clair. Tout sentiment mis en plus dans la relation est une marque de respect, un bonus. Des histoires, il en avait entendues d'autres, qui toutes se ressemblaient. Nécessité de vivre, de manger, parfois de nourrir aussi un enfant ou deux était habituelle. A chaque fois, ce n'était qu'un passage vers un avenir plus normal. Ici un projet de retour au Portugal, là une boutique de prêt-à-porter avec une amie. Dans sa vie d'avant d'être marié, il avait même rencontré et noué une liaison avec une femme devenue secrétaire grâce à la formation pour adulte. Le hasard avait fait que c'est dans l'entreprise d'un de ses anciens clients qu'elle posa une candidature. L'homme l'avait embauchée malgré son passé, ne lui demanda jamais rien d'autre que son travail de secrétaire et garda toujours leur secret secret.

 

Une de ses collègues avait aussi exercé ce métier de la prostitution. Elle s'était exilée en Hollande, ne voulant pas l'exercer dans son pays. Aujourd'hui, elle avait deux enfants très bien élevés et très gentils. Il était peut-être le seul à connaitre son secret qu'il garda. Elle lui avait tout dit dans un bureau où ils avaient eu une conversation faite de sous entendus. Il avait compris ses sentiments pour lui et avait fait semblant de ne pas les entendre. Il était marié et ne se voyait pas vivre cette double vie qu'elle lui proposait. Ses aveux étaient son vatout à elle face à un homme qu'elle aimait secrètement. Face à une épouse légitime belle et intelligente, elle pensait que comme tout homme, il serait sensible à la proposition d'une femme expérimentée dans les arts d'Éros. Lui avait fait un choix, il avait abandonné sa vie de noctambule et s'y tenait. Il s'y tenait jusqu'à cette nuit d'été lyonnaise. La solitude s'était insinuée dans sa vie de couple, des doutes l'avaient effleuré, l'amour s'était affaibli. A force de jouer au chat et à la souris ici et là, il était fatale qu'un jour ou l'autre, un écart de conduite arriverait.

 

La conversation durant, il espérait qu'elle reviendrait sur ses exigences et qu'elle lui tiendrait compagnie jusqu'au matin. Il était prêt à lui offrir un petit déjeuner au lit comme de vrais amoureux. Las, en professionnelle, elle mit un terme à leur rencontre d'une nuit. Ils se rhabillèrent et descendirent. Il n'allait pas la laisser repartir seule dans les rues de la ville en pleine nuit. Sa sécurité faisait partie de son contrat moral avec elle. Il la raccompagna jusqu'à une autre de ses stations de travail où elle retrouva sa collègue dans un lieu bien éclairé. Ni honte, ni fierté, il garda de cette nuit juste du plaisir. Le plaisir d'une rencontre où l'argent fut un don à une mère-célibataire qui souffrait pour élever dignement sa fille, toutes deux abandonnées par un père et une société qui se moquent bien de ce qu'une mère peut être amener à faire pour ses enfants.

 

Quand je regarde le film Tout sur ma mère de Pedro Almodóvar et que l'actrice principale dit à son fils, Tu ne sauras jamais ce que j'ai fait pour toi, je repense à cette histoire qu'un ami me raconta une nuit d'alcool, dans un de ces bars de nuit, à la clientèle d'habitués, sélectionnés sur un comportement exemplaire.

Tout sur ma mere 1999 001

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